Écouter le culte :
Il y quelques semaines ma collègue de RTSreligion, Anne-Julie Ruz, diffusait une capsule digitale sur le site de la RTS et les réseaux sociaux. En voici un extrait.
Extrait vidéo: https://www.rts.ch/play/tv/lactu-en-video/video/la-collapsologie-nouvelle-foi?urn=urn:rts:video:13163775
Texte de l'extrait vidéo:
Quel est le lien entre l’idéologie soviétique, le réchauffement climatique et une bête à sept têtes? La réponse : la collapsologie. C’est un terme qui désigne la science de l’effondrement. […]
En réalité, la collapsologie, c’est un courant de pensée qui se base sur un ensemble d’études scientifiques qui ne sont pas forcément liées les unes aux autres. La collapso s’intéresse autant au climat qui se réchauffe qu’aux bulles spéculatives du monde de la finance, en passant par l’appauvrissement de la biodiversité. Une chose est sûre pour les collapsologues : notre civilisation basée sur les énergies fossiles va s’effondrer. Et c’est pour bientôt!
Êtes-vous collapsologues ou êtes-vous simplement inquiets sur l’avenir de la planète ? On peut ne pas être collapsologue – je ne le suis pas – mais difficile d’esquiver le débat.
Nombre de penseurs, d’intellectuels, mais aussi de militants et de méditants s’engagent et s’expriment autour du changement. Comme le dit Boris Cyrulnik dans un petit livre visionnaire qu’il a écrit avec Edgar Morin en 2000 déjà, il y a plusieurs «équipes mentales». Dans leur livre intitulé « Dialogue sur la nature humaine » ils font partie d’une équipe mentale, celle de la diversité. Leur livre est un plaidoyer pour trouver des passerelles entre les différences, pour faire évoluer notre espèce humaine. Le changement qu’ils attendent c’est celui de valoriser et articuler positivement la diversité.
Cynthia Fleury et Antoine Fenoglio sont dans une autre « équipe mentale ». La charte qu’ils viennent de publier chez Gallimard en 40 pages, est un texte remarquable axé, lui, sur un écosystème du soin, un humanisme pour la vie bonne. La charte s’intitule «Ce qui ne peut être volé». Ici il s’agit de se prémunir contre des changements qui voleraient l’humanisme de nos sociétés, au nom de la technocratie. C’est l’équipe mentale du « plaidoyer pour la vie bonne ».
Autre équipe mentale, celle des lecteurs de Maurice Sachot. C’est un des plus fins observateurs des changements sociétaux qui ont conduit le bassin méditerranéen à voir les mondes sémitique, grec, puis latin, donner naissance au monde chrétien, dont le Moyen-Âge a été l’apogée. Il vient de publier un manifeste intitulé : « La grande révolution : réinitialiser la République laïque et citoyenne ». C’est un appel puissant signé d’un historien que j’ai eu le privilège d’interviewer en son temps sur cette chaîne pour nos émissions. Devant le triomphe de ce qu’il appelle le libéro-capitalisme, il lance un vibrant appel au changement, il appartient à l’équipe mentale d’un « nouveau système politique ».
Et vous, de quelle équipe mentale êtes-vous proches ? La diversité, la vie bonne, ou le nouveau système politique ?
Deux modes de changement
Comment ne pas être stimulé par les projets de toutes ces équipes mentales, mais aussi démuni pour en faire la synthèse ou simplement les faire fructifier ? Il faudrait plusieurs vies ! Comment ne pas être aussi un peu dubitatif devant l’absence de prise en compte de la dimension spirituelle et religieuse de l’humain, qui marque trop souvent (mais pas toujours) ces « équipes mentales » contemporaines.
En pensant à ce culte, je me suis donc interrogé : autour du changement, y aurait-il une « équipe mentale des croyants » ? Ne serait-elle pas particulièrement bien présente chez les prophètes ? Alors, prenons-en un, solide, reconnu, assez radical, un peu excessif même, Amos, et voyons de quels changements un de ses oracles est porteur, annonceur !
Dans le chapitre 8 du récit d’Amos, j’ai découvert deux conceptions du changement. La première n’est pas vraiment nommée, mais elle est clairement décrite, dans des versets qui précèdent le texte que nous avons entendu.
Amos reproche au peuple hébreu « de fausser des balances menteuses » pour s’enrichir. Une critique dure et récurrente. Le changement décrit ici correspond au mot latin « cambiare » : échanger, à la racine du mot changement. C’est un changement d’équilibre, qui repose la contrepartie. Celle-ci pouvant être raisonnable ou démesurée, injuste. Ce changement est de nature horizontale, puisqu’il est négocié entre des parties.
Un exemple : la négociation avec nos adolescents pour leurs heures d’accès au téléphone portable. Autre exemple : le passage à des produits de consommation au bilan carbone plus doux… mais au prix plus élevé. La discussion avec son employeur pour aménager ses horaires de travail ou passer en partie au télétravail.
Une forme dominante du changement horizontal aujourd’hui, c’est le recours aux nouvelles technologies. Devant les impasses, le changement judicieux passera par de nouvelles solutions techniques. C’est sans doute vrai, mais comme le disait sur l’antenne de La Première, le biologiste Denis Duboule, au micro de Manuela Salvi, dans « A voix haute », ce changement horizontal n’est peut-être pas suffisant.
Extrait audio: https://www.rts.ch/audio-podcast/2022/audio/a-voix-haute-la-planete-le-vivant-et-nous-comment-definir-le-vivant-25840386.html
Texte de l'extrait audio:
Et aujourd’hui, même les gens qui sont dans la technologie commencent à dire : « On ne va pas pouvoir s’en sortir avec la technologie », et ça c’est un autre point de bascule. Ces plastiques dans l’océan, on va pouvoir mettre des bactéries pour aller les bouffer, etc. Aujourd’hui, on se dit, ça ne va pas être aussi facile, les gars. Peut-être ce serait bien d’arrêter de mettre autant de plastique, parce qu’on ne pourra peut-être pas trouver la solution…
En résumé : on ne pourra peut-être pas trouver toutes les solutions dans le changement horizontal, dans les solutions technologiques.
Dans l’oracle d’Amos, un autre changement est annoncé, explicitement, au verset 10 : « Je changerai vos fêtes en deuil et tous vos chants en lamentations. ».
Le verbe hébreu a la racine HPK (Hafakh) qui ne vient pas d’échanger, comme le latin, mais de l’action « tourner » ou « retourner ». Ce n’est pas du réciproque, mais de l’unilatéral.
Avec ce changement, Amos plonge dans « l’équipe mentale des croyants ». Que serait la spécificité des changements de cette équipe mentale ? Souvent on la réduit à une simple obéissance : les croyants changeraient parce que Dieu le leur demande. C’est bien trop réducteur : il faut chercher le mécanisme en Dieu. Si les croyants peuvent changer, c’est parce que Dieu lui-même est changement.
Relisons le verset 9 : « Je ferai coucher le soleil en plein midi ; en plein jour le pays sera plongé dans l'obscurité ».
C’est Dieu qui change de discours. J’appelle ce changement un changement de nature verticale. Son auteur en a une pleine et libre initiative. Il ne s’agit en rien d’une négociation, comme on le trouve dans d’autres récits bibliques. D’ailleurs le changement vertical n’est pas bon ou mauvais, il dit quelque chose de la liberté divine comme de la liberté humaine.
Le changement vertical actuel le plus en vue, c’est une déclaration de guerre. Celle du Président Poutine à l’adresse de l’Ukraine. C’est un changement vertical. Et c’est précisément parce que c’est un changement vertical, il faut lui accorder la plus grande attention et l’analyser pour ce qu’il est : l’expression d’une « équipe mentale » spécifique (qui n’est pas tout le peuple russe). Souvent un divorce (même si pas toujours) est un changement vertical. A l’opposé, une déclaration d’amour ou le don d’un pardon aussi sont aussi des changements verticaux…
En préparant cette prédication, j’ai fait une découverte intéressante : les psychologues observent eux aussi deux stratégies de changement. Elles s'expliquent par la dualité, dans le cerveau, entre les systèmes chargés de la récompense et les parties du cerveau plus évoluées qui cherchent à créer du sens à nos actions.
Pratiquer le changement vertical
Quand nous utilisons les mots « changement » ou « changer », de quels changements parlons-nous ? Horizontal ou vertical ? Je vais changer de voiture et passer à l’électrique. Cette année nous avons changé de destination de vacances. Je change de mode de transport, je prends le train et plus la voiture pour aller au travail. J’ai décidé de changer mon temps de travail pour être plus souvent avec les enfants.
Ce qui frappe c’est que la plupart du temps, les deux dimensions sont présentes (verticale et horizontale), mais il reste toujours une dimension première, dominante : d’abord du « cambiare » ou d’abord du retournement ?
Prenons l’exemple de la canicule que nous traversons. Nous manquons d’eau. Il nous faut évidemment adapter notre consommation d’eau. C’est d’abord du changement horizontal : trouver un nouvel échange avec notre environnement. Mais au fond, ne sommes-nous pas aussi devant une situation nouvelle où notre planète nous envoie un message nouveau ? Elle n’arrive plus à s’adapter, elle, à nos productions de gaz à effet de serre, elle nous tourne le dos. N’y a-t-il pas du vertical là-dedans ?
Revenons à Amos et à l’équipe mentale que le texte biblique fait advenir : ce qui va manquer, ce n’est pas l’eau – ou plutôt une eau spirituelle – ce qui va manquer, c’est la parole du Seigneur.
Verset 11 : « Les jours viennent, dit le Seigneur, où j'enverrai la faim dans le pays. Les gens auront faim, mais non de pain ; ils auront soif, mais non pas d'eau. Ils auront faim et soif d'entendre la parole du Seigneur. »
Autrement dit, Dieu excite le besoin de sens, de spiritualité, mais les gens n’entendent pas la Parole… qui pourtant est là. Qu’est-ce à dire ? Que le peuple a fait le choix du changement horizontal. Le mauvais ! Il cherche à combler le vide ailleurs, dans d’autres espaces spirituels ou religieux que le sien.
C’est ce que l’oracle d’Amos annonce au verset 12 : « Ils erreront en vagabonds du sud du pays vers l'ouest, puis du nord vers l'est, pour chercher à entendre la parole du Seigneur, mais ils ne la trouveront pas ! »
Il n’est pas dit que les gens ne seront pas ou plus à la recherche d’une parole de sens, ce besoin d’horizon spirituel restera très présent. Mais rien ne viendra vraiment le combler. Une équipe mentale en déshérence. Les croyants cherchent à comprendre le sens de la période qu’ils traversent, mais aucune parole divine n’émerge vraiment.
Que serait un changement vertical ? Simplement écouter Amos ? C’est le sens même de son activité de prophète. Ce ne sera pas le cas, il sera expulsé de Jérusalem.
A en croire les exégètes du premier Testament, le changement vertical pour Israël, cela aurait été de retourner à ses racines spirituelles et non pas de chercher d’autres divinités locales et exotiques pour s’assurer contre les dangers.
Les grands arbres prennent racine dans des terrains accidentés
Qu’est-ce que retourner à ses racines spirituelles ?
Un exemple, avec l’histoire de Zachée, que nous avons entendue. C’est un récit des Évangiles qui présente un changement vertical ; vertical au sens quasi physique. Ce taxateur peu scrupuleux joue avec la loi et abuse de son pouvoir. Quand passe Jésus, il monte sur un arbre, pour mieux apercevoir l’illustre personnage. Du vertical ! Et quand Jésus le voit, il lui demande de descendre et s’invite chez lui – du vertical à nouveau – tellement c’était improbable. Si ce changement vertical est premier, cela ne veut pas dire qu’il ne sera pas suivi par des changements horizontaux : Zachée va rembourser ce qu’il doit et rééquilibrer les échanges (du bilatéral).
Pourquoi ce changement vertical est-il si important ? Pourquoi est-il aujourd’hui aussi difficile à entendre dans nos sociétés en recherche de sens, mais souvent déconnectées de leurs racines ? Peut-être parce que nous confondons trop souvent recherche de sens et recherche de solutions ?
Une inspiration m’est venue d’une visite en forêt, pilotée par un ingénieur forestier. Il nous a fait visiter les forêts autour et au-dessus de Cergnement, dans la région de Gryon. Il nous a rendus attentifs aux développements des forêts, nous montrant que les arbres qui tiennent, qui résistent, sont ceux qui prennent racine dans des terrains accidentés.
Sur la photo en haut de cette page, on voit un petit massif d’arbres bien verticaux, accrochés à un terrain accidenté, au milieu d’une plaine d’un vert tendre… là où aucun arbre n’a pu résister, tenir.
Ces arbres nous disent quelque chose du changement vertical pour « l’équipe mentale des croyants ». Ce changement vertical, ce n’est pas gagner à nouveau du terrain, retrouver les parts de marché perdues dans le domaine religieux ou la recherche de sens.
C’est en puisant dans son enracinement que l’on trouve le sens et la force de faire face aux nouveaux défis. Pourquoi ? Parce que les racines des grands arbres ne poussent jamais mieux que sur des aspérités, des obstacles auxquels il a fallu s’adapter.
Je sais, c’est un peu contre-intuitif, mais le vertical est souvent contre-intuitif. Rappelez-vous : il ne cherche pas la récompense, il s’accroche aux obstacles pour prendre la mesure de sa situation.
Amen.