Écouter le culte :
« Josias était debout sur l’estrade et il conclut l’alliance en présence de l’Éternel. Chacun s’engageait à rester fidèle à l’Éternel, à obéir de tout son cœur et de tout son être à ses commandements et à ses lois, à mettre en pratique tout ce qui est écrit dans le livre de l’alliance. »
Voilà l’image d’une belle communauté, rassemblée autour de son roi, un homme pieux qui a ramené son peuple dans le giron de l’Éternel son Dieu, après plusieurs années de travail acharné.
Qu’a fait Josias pour en arriver là ?
- En premier lieu, il a suivi son propre chemin spirituel. C’est d’abord pour lui-même qu’il se met à chercher le Dieu de son ancêtre David, avant d’impliquer l’ensemble de son peuple et de son royaume dans cette quête.
- Josias fait ensuite un grand ménage, un grand tri dans les pratiques religieuses et dans le panthéon des dieux qui sont adorés par son peuple.
- Puis Josias rénove le temple de Jérusalem, laissé à l’abandon – tant matériel que spirituel – depuis bien des années.
- Enfin Josias se met à l’écoute de la Parole de Dieu, d’abord dans le rouleau retrouvé à l’intérieur du temple, puis dans la parole transmise par la prophétesse Houlda, qu’il avait envoyé consulter pour vérifier son interprétation du rouleau.
C’est après tout cela qu’il rassemble son peuple pour la refondation de l’alliance dans une grande célébration. Après un travail qui a pris de longues années, tout semble donc aller pour le mieux et la recette d’une communauté célébrante et vivante est limpide : un leader pieux, l’abandon des idoles, un lieu de culte purifié, du personnel ministériel remotivé et un peuple obligé de suivre. Allons-y et faisons de même donc !
Mais attendez, ça ne vous gêne pas un peu d’entendre que le peuple était obligé d’adhérer ? Moi oui ! Pourtant c’est bien ce qui est dit : « Le roi fit prendre ces engagements à toutes les personnes qui se trouvaient à Jérusalem, ainsi qu’aux membres de la tribu de Benjamin. Josias (...) obligea tous les habitants à adorer l’Éternel leur Dieu. »
Ça accroche mon oreille, et le dernier verset du chapitre ne me rassure pas tellement : «Tant que Josias était encore en vie, aucun d’eux ne se détourna de l’Éternel.» Autrement dit, ce qui paraissait au premier abord un bel élan spirituel populaire n’était en fait qu’une apparence, maintenue par la main de fer de Josias.
Il semble donc que tout n’est peut-être pas à imiter dans ce récit… comme c’est souvent le cas d’ailleurs dans les récits bibliques, qui ne nous proposent pas des modèles à imiter ni des recettes toutes faites, mais nous invitent à réfléchir.
Réfléchissons donc à cette histoire. Si la belle image finale n’est qu’une image de façade, il y a pourtant un moment du récit où Josias n’est pas seul, où l’on voit une communauté qui travaille ardemment, dans un réel élan partagé. C’est le moment où tout le peuple s’active, sous l’impulsion donnée par Josias, pour remettre le temple en état et faire un grand tri à l’intérieur.
A ce moment-là en effet, le récit prend la peine de nommer les différents corps de métier, et de préciser que tous travaillent honnêtement, sans qu’on ait besoin de contrôler qui que ce soit. On a, à ce moment-là du récit, des gens qui travaillent ensemble, qui cherchent ensemble. Avec une organisation solide, certes, mais qui soutient sans contraindre, rendant des découvertes possibles. Avec une impulsion venue de Josias, certes, mais à laquelle chacun adhère et participe de bon cœur parce qu’elle fait sens pour lui.
Ce qui n’est pas le cas, nous l’avons vu, de la fin du récit où le roi doit obliger le peuple à adorer l’Éternel et à signer une alliance dans laquelle il ne se reconnaît visiblement pas, puisqu’il l’abandonne aussitôt le roi disparu.
Dans notre recherche d’un fondement solide sur lequel adosser une communauté, comprendre ce qui s’est passé entre les deux situations est essentiel. Et à y regarder de près, il me semble que tout se joue dans le passage de la question à la réponse.
Josias cherchait le Dieu de David : pour lui d’abord, puis pour son peuple. Dans cette recherche, chacun avait trouvé un sens et sa place. En dévoilant les questions qui l’habitent – qui est le Dieu de David, où est-il aujourd’hui, comment le rencontrer ? –Josias avait ouvert à son peuple la possibilité de découvrir que ces questions-là l’habitaient aussi.
Chacun et chacune participait à la quête commune à sa manière, avec son histoire, ses compétences, ses capacités. Ce travail commun a permis de mettre à jour un rouleau qui porte la trace de ce Dieu. Autrement dit, un rouleau qui donne un langage pour parler de ce Dieu qu’on cherchait ensemble.
Mais cette découverte commune est en quelque sorte confisquée : elle est interprétée par quelques-uns seulement. Le roi, s’étant fait lire le rouleau, comprend l’écart entre l’espérance de Dieu et la réalité de son peuple comme une condamnation sans appel. La prophétesse Houlda qu’il envoie consulter abonde dans son sens : oui Dieu condamne son peuple, oui Dieu est en colère, oui Dieu va frapper.
Josias alors tente de sauver son peuple, intention louable s’il en est, en le rapprochant de ce que Dieu espère des humains, en l’obligeant à se conformer à sa vision. Mais là où sa question avait remporté l’adhésion du peuple, sa réponse ne suscite que la soumission : il faut bien suivre, puisque le roi l’ordonne et qu’il a les moyens de se faire obéir, mais ni le cœur, ni les forces, ni l’intelligence n’y sont plus.
Peu importe au fond que l’interprétation de Josias et Houlda ait été juste ou non : du moment qu’ils l’imposent à tout le monde, elle est en tout cas faussée et devient mortifère. Le rouleau retrouvé est déjà une interprétation à plusieurs voix de la Parole, Josias y ajoute son interprétation, tout à fait légitimement, puis celle d’Houlda, tout aussi légitimement.
Là où ce n’est plus légitime, c’est quand il prétend fermer l’interprétation du rouleau, l’enfermer dans sa compréhension que tout le peuple devrait adopter non seulement comme sienne, mais comme seule valable.
Si donc nous cherchons sur quoi fonder une communauté vivante, vibrante, il semble que la question « Qui est Dieu ? » soit un meilleur fondement que toutes les réponses qu’on peut y apporter. Laisser la question ouverte, chercher ensemble, proposer des éléments de réponse et de compréhension, les discuter, les laisser résonner, trier sans cesse entre ce qui nourrit et ce qui empoisonne, entre ce qui fait vivre et ce qui fait mourir, c’est là le fondement d’une communauté vivante.
Bien sûr que les éléments que nous avons relevés en premier lieu sont important : un leader, un lieu, une écoute. Mais l’histoire de la réforme avortée de Josias doit nous aider à les remettre à leur juste place, à la lumière aussi du ministère de la mort et de la résurrection de Jésus.
Ainsi :
- L’épisode de la réforme de Josias, comme toute l’histoire des rois d’Israël, et beaucoup de nos expériences nous mettent en garde sur la place que nous donnons à nos leaders. Le Christ a toujours refusé d’être mis à une place à laquelle il risquait par trop d’être idolâtré. Si le Christ est bien la tête de l’Église comme le dit Paul, il est une tête qui s’est mise en retrait et qui refuse qu’on attende d’elle des réponses toutes faites. Et nos fonctions humaines de pasteur·e, président·e et autres gagnent à s’en inspirer !
- Le tri dans nos pratiques, nos croyances, nos images de Dieu est, lui, une démarche à toujours garder en chantier ouvert. « Ecclesia semper reformanda » disaient les Réformateurs du 16ème siècle ! Si les lieux sont importants, et ce n’est pas ici, dans ce lieu tellement symbolique, que je vais dire le contraire, les lieux ne sont pas sacrés. Ce sont les communautés qui s’assemblent pour y prier qui le sont. Et ce sont elles qui sont d’abord à garder vivantes, aérées, dégagées de tout encombrement qui entrave la marche.
- L’écoute de la Parole est à coup sûr centrale pour une communauté chrétienne. Encore faut-il que ce soit une écoute ouverte, et non une écoute confisquée comme cela semble avoir été le cas lors de cette célébration au temple rénové de Jérusalem… et comme cela est un risque permanent dans nos églises. Pour éviter de tomber dans cette tentation, nous disposons de cette bibliothèque polyphonique qu’est la Bible, riche de plusieurs courants qui débattent, parfois vivement, se répondent, s’enrichissent, s’approfondissent mutuellement. Nos communautés rassemblées sont à l’image de cette bibliothèque : diverses, colorées, parfois en tension. Tout l’enjeu est de préserver la diversité des interprétations plutôt que se croire obligé de choisir et de d’imposer ce choix !
Ma réponse provisoire donc à la question « Sur quoi fonder une communauté ? » pourrait donc se formuler ainsi, sur une question peut-être : « Qui est ce Dieu qui m’appelle, qui nous appelle, qui en a appelé tellement d’autres et qui en appellera d’autres ? ». A cette question, je nous souhaite de ne jamais donner de réponse fermée et définitive !
Amen.