Vous êtes à Christ et Christ est à Dieu

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"Galates stupides ! Qui vous a envoûtés ?"

Qu'ont donc fait ces pauvres Galates pour mériter une telle apostrophe ? Que leur est-il arrivé ? Dans quel panneau sont-ils tombés ?

Ils ont cru à la prédication de Paul. L'Esprit saint s'est manifesté au milieu d'eux : des guérisons, des prodiges se sont produits : il y a eu dans la vie, plus de joie, plus d'amour, plus de liberté aussi, à coup sûr! Puis Paul s'en est allé. Les Galates avaient changé de vie. Ils avaient perdu leurs points de repères habituels. Paul parti, ils ont pris peur. Ils ont reculé. Ils ont eu besoin de retrouver leurs repères habituels - les valeurs sûres" - liés à ces mystérieux "éléments du monde". Probablement les principes de base, les structures du cosmos, ainsi que toutes sortes de forces non maîtrisables donc inquiétantes qui "flottent" si je puis dire entre ciel et terre. Des forces qu'il s'agit donc de se concilier ou dont il faut se protéger, en observant certains rites, scrupuleusement.

Comme toujours en période d'insécurité, des prédicateurs itinérants ont voulu profiter de cette situation. Etaient-ils bien ou mal intentionnés ? C'est difficile à dire. Mais le contenu de leur prédication est connu, dans les grandes lignes :"Vous devez connaître la Loi de Moïse, observer le Sabbat. Vous faire circoncire. Vous avez besoin de cela. Ainsi d'une part vous serez rassurés, parce que nous vous offrons des points de repères solides; d'autre part vous serez de meilleurs chrétiens, plus complets; en ce moment il vous manque quelque chose".

Les Galates semblent avoir été assez vite convaincus... Mais en fait avons-nous vraiment besoin de savoir exactement ce qui s'est passé en Galatie quand les choses se passent chez nous de façon analogue ? Le monde et la vie, l'homme lui-même ne sont pas pour nous plus clairs ni plus rassurants que pour les apprentis chrétiens de Galatie. Pour des raisons assez différentes, nous connaissons une même insécurité.

D'abord, tout change. Très vite. Trop vite pour que nous nous adaptions vraiment. Nouvelles techniques, nouveaux métiers. Formation permanente. Sans cesse se recycler. Insécurité de l'emploi, durable, inquiétante. Changements dans les relations hommes-femmes qui rendent perplexes les uns et les autres, mettant à nu nos fragilités longtemps camouflées. Nos vies de famille aussi ont tellement changé. Et ne parlons pas de géopolitique...

Nos éléments du monde, ce sont l'air, la terre et l'eau. Eux aussi, qui assuraient notre sécurité, qui étaient fiables en dépit de convulsions redoutables, ont cessé de l'être. Par notre faute, mais qu'est-ce que ça change à notre inquiétude si ce n'est de la pimenter d'une vague culpabilité collective...

Enfin, pour les forces mystérieuses, réelles ou fantasmées, nous sommes gâtés, nous avons l'embarras du choix! Les images mentales qui circulent forment l'opinion publique sans qu'on sache trop comment - on dit "c'est dans l'air" -; les réseaux de communication anciens ou nouveaux, ceux du café du Commerce comme ceux des médias les plus sophistiqués. Les ondes, positives ou négatives, dont tout le monde parle, mais est-ce la réalité, est-ce imaginaire ? (je ne parle pas ici des ondes radio, bien réelles!). Sans parler des mécanismes économiques, et des décisions politiques qui, même en démocratie, semblent nous échapper. On dit :"ce sont eux qui décident, de toute façon; eux qui ont la parole, l'argent, le pouvoir..." Est-ce vrai, est-ce faux? "C'est dans l'air"...

Tout cela vient alerter, réveiller notre fragilité de base, alimenter notre inquiétude. Celles que nous avons peine à reconnaître, à accepter face aux autres comme face à nous-mêmes... Il faut le dire clairement même si ce n'est pas original: la vie d'aujourd'hui est déstabilisante! Elle nous fait problème. C'est un vrai problème! L'homme n'a pas été créé pour le stress du changement continuel!

Dans ce contexte désécurisant, il est normal que nous réagissions comme les Galates: ou nous nous replions sur les vieux principes, les valeurs dites sûres; ou nous nous précipitons sur les derniers gadgets pour y chercher une planche de salut. Ce sont parfois de vieilles choses remises au goût du jour. Regardez le succès fou de diverses formes d'astrologie.

Il n'est pas nécessaire de savoir ce qui se passe en Galatie, car le mécanisme est parfaitement clair: livré à l'inquiétude, fragilisé, l'homme veut d'autant plus maîtriser sa destinée, n'importe comment. Faible, l'homme veut jouer au fort. Dépendant, il veut s'affirmer autonome, la tête haute. Il y a ainsi , ancré en chacun de nous, un besoin de nous justifier, de nous assurer, de nous garantir. Mais toujours en tenant les rênes, en gardant le pouvoir (même pour les loteries on nous donne l'illusion d'être actifs en nous faisant gratter un vernis recouvrant un numéro). Nous sommes très doués pour tenir, si peu pour lâcher.

"Galates stupides".

C'est exactement en ce lieu qu'interviennent l'inquiétude et la colère de Paul. C'est le coeur de l'Evangile qui est en cause en Galatie et chez nous ce coeur n'est constitué ni par la morale ni par la doctrine. Jamais Paul n'est intervenu avec des accents pareils pour des questions de conduite ou de doctrine! Le coeur de l'Evangile est lié à la question du point de repère, du point fixe dont nous avons tous tellement besoin. Un point fixe qui, étrangement, inverse l'orientation profonde de notre être. Nous ne sommes pas invités à faire encore plus, produire plus, observer plus, nous perfectionner davantage, maîtriser encore mieux. Nous sommes invités à laisser un Autre faire, celui qui a dit :"Tout est accompli". Un point fixe nous est donné, qui permet de voir et d'accepter que le roi est nu, faible, vulnérable, mais qu'un Autre l'habille, le fortifie, le protège.

A la place d'un système où d'une façon ou d'une autre nous observons rites et lois pour nous conforter et garder la main, Dieu nous offre une relation. J'aime que, dans les deux textes qui vous ont été lus, cette relation s'exprime par le cri... Cri de confiance, suscité en nous par l'Esprit, attestant notre filialité. "Père". Personne ne peut nous l'ôter. Jésus a gravé cette relation en nous donnant le Notre Père. Cri d'appel au secours. Cri d'urgence. Cri de l'aveugle: voilà un homme qui ne possède rien. Il n'a que son cri. Sa vie est l'image de l'insécurité. Aucun code de loi, aucun statut ne lui donne le minimum vital de sécurité sociale ou religieuse. Il n'a que son cri, mais il l'impose, ce cri, avec autorité, avec une souveraine liberté. Qui lui permet de braver la bienséance et le fatalisme et de triompher des bien-pensants qui veulent le faire taire.

Le désarroi du monde demande la claire présentation de Jésus-Christ crucifié, démasquant les fausses sécurités. Notre désarroi de chrétiens demande que nous nous laissions inlassablement réévangéliser. Tous nous avons besoin de points de repère pour vivre. Ce qui doit rester planté comme seul point fixe, comme repère unique chez les Galates de l'an 50, comme chez nous et partout ailleurs en 1995, c'est Jésus-Christ crucifié, événement à la fois infiniment mystérieux et extraordinairement précis : de là jaillit la vie et toute forme de renouvellement, "dans nos coeurs et dans le monde". En nous retirant nos fausses sécurités, simultanément il nous en libère. Il nous offre de lâcher ce que nous tenons pour saisir à pleines mains ce qu'il nous offre. Il nous comble et fonde notre liberté : tout est à vous, mais vous êtes à Christ et Christ est à Dieu.

Amen.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Jean-Christophe Geiser
Musique
Choeur Ardito, dir. Claire-Lise Kunz