Confiance malgré la tempête

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Une barque en danger de naufrage au milieu d'un lac que démonte un vent tempétueux…
Un équipage épuisé de ramer contre le grain, isolé loin de tout secours, livré à lui-même…
Une apparition, des cris, les lois de la nature deux fois bafouées, un homme qui se noie… on a tous les ingrédients d'un film d'horreur de série B dans le récit de Matthieu qu'Anne-Françoise nous a lu tout à l'heure.

Entrons un peu dans son scénario du point de vue de l'équipage, de ces disciples que Jésus a contraints à ramer d'un côté à l'autre du lac pour la seconde fois de la journée; la nuit tombe; le jour a été épuisant d'émotions; on a écouté Jésus, nourri une immense foule, baigné dans l'agitation et le miracle : pensez, cinq pains et deux poissons pour cinq mille personnes ! Et au moment où on va pouvoir souffler, se réjouir du succès de l'affaire, se reposer un peu des fatigues du jour, profiter du calme revenu, aussitôt voilà qu'il nous oblige à repartir, Jésus, à ramer à nouveau comme on l'avait fait pour venir mais, cette fois, sans lui. Lui, il va prier, nous, on rame… Il aurait pu au moins nous féliciter, nous encourager, nous emmener avec lui; non, il nous renvoie comme des malpropres…Evidemment, maintenant qu'il n'a plus besoin de nous… ! En plus, voilà que le ciel se couvre, que le vent rugit, que les vagues se creusent… Voilà que les embruns nous trempent et nous gèlent dans le noir, voilà que disparaissent les repères familiers… C'est long, c'est douloureux, c'est décourageant de ramer ainsi au creux d'une nuit que n'éclairent ni les feux de la côte ni les étoiles, ni même la présence de Jésus. Elle est fragile, la barque, face à la fureur des éléments, et plus fragile encore est le moral de l'équipage solitaire et transi. Et comme si ça ne suffisait pas, le froid, la déception, la fatigue, la peur, voilà qu'apparaît au loin, semblant surfer sur les vagues, une forme humaine qui s'approche… Le froid se fait plus vif, la fatigue, la peur devient panique ! Personne ne marche sur l'eau si ce n'est un fantôme, un esprit, un démon !
Il y a dans la barque ceux qui hurlent de peur, ceux qui ferment les yeux, ceux qui recommandent leur âme à Dieu. Plus personne ne rame, la barque n'en roule et tangue que plus fort, c'est la fin…

La voix venue par-dessus la tempête disant : «C'est moi, confiance, n'ayez pas peur» peut être d'autant plus trompeuse qu'elle devrait se perdre dans les hurlements du vent, et on sait bien comme les démons s'entendent à tromper… «Si c'est bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux…» : il en a fallu du courage à Pierre, le seul qui ait encore un peu de voix, le seul aussi dans le récit qui soit nommé par son nom, pour interpeller ainsi le supposé fantôme ! Et quelle force d'âme, quel élan d'espérance aussi, pour enjamber le bordé et marcher à l'appel de la voix qui lui répond : «Viens !» Mais vous l'avez entendu, ce sursaut d'espoir, cet élan de confiance n'a pas duré plus que le temps nécessaire pour ressentir la force du vent… et voilà Pierre qui coule, comme de bien entendu !
Il n'appartient pas à l'homme de marcher sur les eaux, de défier les lois de la nature et de la peur, au Christ peut-être : «Seigneur, sauve-moi !» Une main se tend, solide heureusement, pas ectoplasmique. Une voix s'étonne : «Homme de peu de confiance, pourquoi as-tu douté ?» on rejoint la barque sur le lac apaisé… Fin de l'épisode sur le chœur des disciples à la voix dénouée : «Vraiment, tu es le fils de Dieu !»

Happy end un peu convenu, presque un peu décevant, mais rassurant aussi : tout est redevenu normal, Christ est avec les siens dans la barque, la tempête s'est calmée, plus personne ne marche sur l'eau, il n'y a rien à raconter.
De ce scénario matthéen je tire trois lignes de réflexion pour nous aujourd'hui :
- pour le croyant que j'essaie d'être, qui rame à contre-courant de la majorité de mes contemporains plus raisonnables que moi en trouvant souvent que je suis bien seul, que le Christ est bien trop discret, mon église trop peu nombreuse et l'adversité bien trop lourde, je découvre dans cette histoire que mes peurs et mes échecs, mes élans et mes doutes sont tous autant d'occasions d'approfondir ma connaissance de Christ. Il n'est pas à ma disposition, pas souvent là où je l'attendais, dans ma prière, dans ma Bible ou dans mon église, mais il est là aussitôt que je perds pied, et ça, ça compte plus que tout !
- pour l'église qu'avec tant d'autres je tente de vivre, cette barque ballottée au vent des crises financières, restructurations, nouveaux élans et autres "orchidées", pour ces églises apeurées dans la tourmente du monde, tentées de se replier sur elles-mêmes, sur leurs structures, constitutions et règlements, je découvre que le Christ vient à nous précisément du dehors de nos barques, comme Cyrus de dehors d'Israël, je découvre que le Christ vient à nous de ce monde apparemment hostile où nous sommes invités à reconnaître sa présence, quitte à ce que, dans un premier temps, cela augmente notre confusion; il suffit pour cela d'un Pierre, et les autres suivent. A l'occasion, chacun de nous peut être ce Pierre là…
- enfin, pour le monde effroyablement agité et affolant où je vis, dans lequel tous les repères habituels s'effacent ou changent au gré de tempêtes que nul ne semble contrôler, dont les intérêts particuliers, les luttes de pouvoir et la pression dictatoriale de l'argent augmentent encore les dangers naturels, je découvre qu'il y a dans la tempête même des barques d'espoir, églises ou ONG ou organisations de toutes sortes, fragiles, menacées parfois, craintives souvent, mais aussi envoyées par le Christ, porteuses d'espérance et, surtout, portées par la prière de Jésus… quelquefois même par sa présence !

Alors, pour le monde, pour l'Eglise et pour moi c'est une bonne nouvelle : «Vraiment, tu es le fils de Dieu !» Le film d'horreur s'est transformé en invitation à la confiance et à l'espoir : «Source de tout bien, Seigneur des vivants, souffle de vie, apprends au faible instrument que je suis à faire résonner au loin ta force et ta louange.» (Texte du choral de J.S. Bach chanté ensuite).

Amen.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Josette Barbezat
Musique
Sandra Barbezat (hautbois), Danièle Roulet (alto)