Le sacrifice du Christ

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L'évangile selon saint Jean chapitre 8 au verset 32 nous dit : «Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libres» et nous lisons dans les autres évangiles, chez Saint Matthieu que Dieu désire bonté et non sacrifices et dans l'évangile selon saint Marc la parole de Jésus : «Aimer son prochain comme lui-même» est mieux que de présenter à Dieu les sacrifices. Chaque année pendant la période de Carême, je suis troublé, très troublé par le message que j'ai reçu de la part de Jésus et le message que j'ai reçu de la tradition théologique des Eglises, que Jésus va vers sa mort, libre, avec bonne volonté, avec amour pour nous. Je suis sûr et certain que Jésus est mort pour moi, je suis totalement convaincu et pourtant, dans le message que nous avons reçu traditionnellement pendant le Carême, il y a des choses qui me troublent.
Et dernièrement, mes incertitudes, mes doutes et mes questions se sont concrétisés autour du mot sacrifice. Ce mot m'a donné quelques malaises, quelques questions et a provoqué chez moi la réaction suivante : si on me dit que Jésus s'est sacrifié pour moi, ça me trouble. Parce que Jésus est venu pour me libérer et non pour me donner l'impression que je dois être culpabilisé par son décès. «Vous connaîtrez la Vérité et la Vérité vous rendra libres», Jésus est venu pour me libérer, il faut admettre qu'à l'intérieur de moi-même, je n'ai rien demandé du tout. Je n'ai pas demandé la présence d'un Sauveur et même, comme tout le monde, je suis convaincu que je suis très loin d'être parfait. Pourtant, je ne suis pas certain que mes péchés soient si terribles que ça mérite le sacrifice du Fils de Dieu.

Alors, qu'est-ce que tout cela veut dire ? J'espère aussi que je suis une créature qui a été créée par Dieu et quelque part si je ne suis pas parfait, c'est parce que Dieu a voulu me mettre en face de certains choix, de certaines décisions dans ma vie, sur lesquelles, moi, j'ai une certaine responsabilité. L'imperfection, ça fait partie de notre nature. Et en face de notre Carême, nous risquons de nous trouver culpabilisés à plusieurs niveaux : culpabilisés parce nous sommes convaincus que nous sommes tellement mauvais que nous avons besoin d'un Sauveur, culpabilisés par la mort de Jésus-Christ, qui est mort pour nous, car, Lui, il était bon et pur et innocent, et en comparaison nous sommes corrompus, des misérables pécheurs, culpabilisés donc que nous avons l'impression que nous sommes tellement mauvais que nous avons tué le Fils de Dieu et on peut même avoir un message de culpabilité envers Dieu lui-même, parce qu'on peut prêcher Pâques en donnant l'impression que c'est Dieu qui a tué son propre fils, comme une sorte de sacrifice de printemps, un père sacrifiant son fils comme Abraham tellement admiré, aurait voulu le faire dans l'Ancien Testament.

Je répète Jésus n'est pas venu pour nous culpabiliser, il est venu pour nous libérer : «Vous connaîtrez la Vérité et la Vérité vous rendra libres», ça c'est notre message. Notre message de Carême et de Pâques n'est pas un message de blâme et de culpabilité, mais un message d'amour, un message de libération. Et si je trouve que dans beaucoup de discours au sujet de Pâques, il y a un élément de culpabilité, je me tourne instinctivement vers les paroles de Jésus lui-même, paroles chez Matthieu quand Jésus dit : «Dieu désire la bonté et non des sacrifices…» et dans Marc : «aimer son prochain comme lui-même» c'est mieux que de présenter à Dieu les sacrifices.

Alors, si je me pose la question : «Est-ce que Jésus s'est sacrifié pour moi ?», je dois admettre qu'il ne le dit pas. Le mot «sacrifice» ne fait pas partie de ses paroles, de ses mots. Regardez bien la Bible, regarder bien les Evangiles. Le mot sacrifice ne se trouve jamais dans l'Evangile selon saint Jean, jamais. Et dans Luc le mot n'est jamais utilisé par Jésus lui-même, alors il faut commencer à se méfier d'un discours plein de culpabilité, qui dit que Jésus s'est sacrifié pour moi. Parce que, lui, ne le dit pas, il ne le dit même jamais. Il ne dit jamais : «Je me sacrifie pour vous», il ne nous culpabilise pas, il est venu pour nous libérer. Jésus ne parle pas de sacrifice pour lui-même, il dit même que Dieu désire bonté et non sacrifice, aimer son prochain comme soi-même est mieux que de présenter des sacrifices à Dieu.

Ainsi un Jésus qui parle de sacrifices, c'est une image qu'on ne trouve pas. Si on a l'énergie de regarder dans la Bible, si on a l'énergie de regarder dans les Evangiles et dans les paroles de Jésus lui-même - c'est comme la pomme dans le jardin d'Eden qui n'existe pas, qui n'est jamais mentionnée, c'est comme la baleine dans Jonas qui n'est mentionnée nulle part, c'est comme les trois rois mages qui ne sont ni trois, ni des Rois dans la Bible - ce sont des images que nous avons calquées sur la Parole de Dieu. Mais nous, en tant que protestants responsables, notre responsabilité est de regarder le texte, de regarder la matière pour trouver ce qu'il y a là-dedans. Mais on ne trouve jamais dans la Bible, un Jésus qui dit qu'il s'est sacrifié pour nous.

D'où vient donc cette idée ? L'idée, il me semble, prend forme quelques décennies après la résurrection de Jésus. Il me semble que le centre provient de l'Epître aux Hébreux c'est un livre que certains pensent être un peu en marge du Nouveau Testament. C'est un livre qui appartient à un milieu chrétien, bien sûr, mais des chrétiens tellement imbibés de judaïsme et c'est un livre qui date de l'époque de la destruction du Temple de Jérusalem après la guerre avec les Romains. La différence entre la synagogue et le Temple de Jérusalem, c'est qu'au Temple on avait des rites, des sacrifices. Le temple des Juifs, comme les temples de toutes les religions du Moyen-Orient, était considéré comme un endroit où la terre et le ciel étaient unis et les sacrifices étaient là pour nourrir le dieu, qui maintenait l'équilibre entre le cosmos et le chaos, un dieu qui gardait l'ordre de l'univers et qui rendait la vie possible. Et les Juifs qui étaient attachés au Temple avaient peur que le Temple ne cesse d'exister et que le monde ne tombe dans le chaos. Et les rites ont pris fin en septembre avec la destruction du Temple. et ce n'est peut-être pas tellement faux d'imaginer que dans un certain milieu les rites du Temple étaient remplacés dans l'imagination des gens par une sorte de sacrifice permanent de Jésus-Christ. Voilà la victime, voilà la victime qui fait plaisir à Dieu.
Et Jésus dit : «Vous connaîtrez la Vérité et la Vérité vous rendra libres.» Jésus disait que Dieu désire bonté et non sacrifices, Jésus disait qu’aimer son prochain comme soi-même, c'est mieux de que présenter à Dieu des sacrifices, mais l'idée que Jésus s'est sacrifié, c'est une idée qui a été souvent utilisée pour culpabiliser l'humanité. L'humanité est loin d'être parfaite, ça on le sait après Srebenica, après Auschwitz, après le Rwanda. Jésus n'est pas venu pour nous culpabiliser davantage, il est venu pour nous transformer, pour nous sauver par son amour. Il n'est pas facile de suivre Jésus. On porte chacune et chacun sa croix et Jésus est venu chercher les perdus comme vous et moi. Il n'est pas du tout dans les relations avec nous, comme ce parent qui culpabilise ses enfants en disant : «Je me suis sacrifié pour vous.» Il ne le dit jamais, parce que nous, nous n'avons rien demandé. On n'a pas demandé de naître, et si on est imparfait, si on a la possibilité de se rebeller contre notre Dieu, ça fait partie de notre nature. Il n'est pas venu pour nous faire violence, moi je me méfie de ces discours où on dit trop facilement que Jésus s'est sacrifié pour moi, parce que l'idée de sacrifice est très dangereuse.

Et puisque l'idée a reçu une certaine respectabilité avec Jésus, l'idée a fait son chemin. Sacrifice ça peut être un instrument de répression. Il y a des générations qui ont cru qu'il fallait tout sacrifier pour l'état, comme les soldats de la Première Guerre. Aujourd'hui, il y a beaucoup qui pensent qu'il faut tout sacrifier pour l'entreprise, avec un certain cumul de suicide et d'autres crimes, qu'il faut sacrifier un endroit pour un autre, qu'il faut sacrifier les doutes - mais Jean-Baptiste avait des doutes, les gens qui voyaient l'ascension avaient des doutes - il faut sacrifier sa sexualité, il faut sacrifier sa famille, sacrifier sa jeunesse, sacrifier pour les sports, sacrifier pour faire plaisir à ses parents, mais l'idée du sacrifice est une idée malsaine. Parce que Jésus ne nous a pas demandé de mourir pour lui, il nous a demandé de vivre. Mais si Jésus ne s'est pas sacrifié pour nous, s'il n'utilise pas le mot, s'il ne le dit jamais, qu'est-ce qu'il faisait en marchant vers sa mort à Jérusalem sur le tas d'ordures de la ville, crucifié entre deux voleurs ? Qu'est-ce qu'il faisait ?
Moi, je crois tout simplement que Jésus est venu pour partager notre vie, notre expérience. Jésus savait très bien que le plus grand mystère et la plus grande peur est la mort qui nous attend, chacune et chacun. Et dans le carême, il est en train de nous prendre par la main pour marcher avec nous pour nous dire : «Viens avec moi, viens avec moi à travers la mort parce qu'il y a la résurrection, parce qu'il y a le pardon, il y a la grâce, il y a la vie éternelle.» Il ne cherche pas les sacrifices : «Vous connaîtra la Vérité et la Vérité vous rendra libres.» Jésus ne cherche pas les serviteurs qui meurent pour lui, mais les chrétiens qui vivent avec et pour lui dans ce monde, pour proclamer l'évangile, le pardon, la tolérance, l'espoir. «Vous connaîtrez la Vérité et la Vérité vous rendra libres.»

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
François Delor
Musique
Les Petits Chanteurs de la Cathédrale, dir. Pierre Favre-Bulle