Le catéchumène Jacob quitta donc son père et sa mère. Pas pour se marier : ça c'est une autre histoire, mais pour entreprendre un voyage de formation qui ressemble beaucoup au voyage de la vie. Une marche. On marche beaucoup dans la Bible : Abraham, Jacob, Moïse, Elie, Jésus sont des marcheurs. Pas des sportifs, non, c'est autre chose, mais des gens qui savent ou qui ont dû apprendre que la vie est une marche.
Nous avons nous aussi marché, vendredi soir. Et notre marche a récapitulé notre démarche, cette dernière année de catéchisme, centrée sur la paix, une paix dont nous avons besoin, que nous recherchons mais que nous ne savons pas forger nous-mêmes, ou mal; nous avons besoin de la recevoir.
Paix avec soi-même, avec les autres, avec la création, avec Dieu. Une paix qui ne soit pas seulement absence de guerre, mais une vie forte, vraie, pleine, avec couleurs et saveurs.
Le catéchumène Jacob n'a pas eu quatre années, mais une nuit de caté. Pas même une nuit : un flash, un rêve, une vision. Ce qu'il a compris, on ne le sait pas ! Il se réveille, il a froid, il a peur : Dieu est devenu pour lui bien réel, mais un peu effrayant.
Vous n'avez pas peur de Dieu. C'est que Jésus est venu nous dire à tous que Dieu n'est pas effrayant. Qu'il ne prend pas, mais qu'il donne. Qu'il est un allié et non un ennemi. Nous vous avons dit «Dieu» à travers les mots de confiance, de chemin, de soif et de surprise. Nous vous l'avons beaucoup répété et vous nous avez crus : le Dieu auquel vous croyez - tout en vous disant parfois : «Est-ce qu'il existe vraiment ?» - est un ami sûr.
Revenons à Jacob. Vous êtes différents : il a peur, vous avez confiance. Mais il existe aussi une ressemblance : comme vous, Jacob a besoin d'un Dieu qui s'occupe de lui. Je cite vos propres paroles : «On a toujours besoin d'un Dieu qui s'occupe de nous, d'un Dieu qui nous corresponde.» Et je cite la prière de Jacob : «Si le Seigneur est avec moi et me protège, s'il me donne de quoi manger et m'habiller, si je reviens sain et sauf, alors le Seigneur sera mon Dieu.» Rien à redire à cette prière ! Quand je me sens seul et que j'ai peur… quand j'ai faim, quand j'ai froid… je demande à Dieu de me nourrir, de prendre soin de moi et de m'accompagner. Dieu qui a créé la vie en général (et ma vie en particulier) doit aussi veiller sur la vie en général (et sur ma vie en particulier) ! C'est son travail. C’est son rôle. C'est ce qu'on attend de lui.
Certains d'entre vous, pourtant, ont été gênés par les «si» de Jacob. Vous y décelez plus de méfiance que de confiance. Quelque chose d'intéressé. Une forme de marchandage. Une trace de chantage même si on pousse le raisonnement : «Si tu ne t'occupes pas de moi, alors tu ne seras pas mon dieu et je ne te donnerai rien du tout.» C'est que Jacob traite avec un inconnu. Il est sur la réserve, il doit découvrir encore celui qui va l'accompagner. L'histoire commune de Dieu et de Jacob ne fait que commencer. Vous êtes plus avancés que votre ancêtre, la catéchumène Jacob.
Nous vous avons demandé il y quinze jours : «Quelles sont vos clés ?» Vous n'avez pas compris tout de suite ce que nous entendions par là ! Quels sont vos outils, vos atouts, vos ressources sur le chemin de la vie, sur le chemin de la paix recherchée ? Clefs, parce que la vie se présente souvent sous forme de portes fermées qu'il faut ouvrir; d'énigmes qu'il faut élucider, de trésors cachés dans des sortes de coffres-forts dont la serrure est chiffrée. La clef des songes. La clef du bonheur. La clef de la réussite. Toutes les pubs du monde vous proposent des clés. Quelles sont les vôtres ?
Vous les parents, nous les adultes, imaginez-vous la direction de leurs réponses ? Voici quelques indications : en tête, le dialogue, la relation, en particulier, l'amitié ! Sachons-le : à quinze ans, ils aiment avoir des relations confiantes et amicales, avec leurs semblables, camarades du même âge (d'où ces interminables téléphones alors qu'on vient de se quitter à la sortie de l'école !), mais aussi avec des adultes disponibles, bien présents mais non jugeants, offrant des points de référence solides, mais aussi de la souplesse…
Mais tout de suite après l'amitié confiante, vous mentionnez d'autres clés bien intéressantes aussi, peut-être inattendues : le silence, eh oui ! et la prière ! et la solitude !et Dieu, et la famille ! Des clés, aucun doute, vous en avez ! Un large éventail d'atouts. Une boîte à outils bien équipée. Vous devancez Jacob de quelques années, Jacob qui n'a pas très bien su se débrouiller, ni avec son père un peu absent, ni avec sa mère envahissante, ni avec son frère un peu primaire.
Un Dieu qui s'occupe de moi : des atouts, des clefs, en suffisance. Avez-vous eu le sentiment que ça ne suffisait pas ? Pressentez-vous vaguement que la vie est plus que cela encore ? Quelle corde a vibré en vous pour que vous choisissiez aussi ces versets de l'évangile de Jean ? «Je vous donne ma paix. Je ne vous la donne pas comme le monde la donne.» Qu'est-ce que Jésus apporte d'autre ? «Je suis venu pour que les hommes aient la vie, et qu'ils l'aient en abondance.» N'est-elle pas suffisamment abondante, la vie ?
Deux sortes d'indices me font répondre : non. Le premier indice s'appelle Pépito. Vous l'avez entendu tout à l'heure. Pépito est un superbe perroquet, hôte inattendu de l'abbaye bénédictine où nous avons fait retraite il y a 15 jours. Pépito a remporté un succès fracassant auprès de vous. Il n'est pourtant ni très intelligent (non, ne protestez pas !), ni très productif, ni très efficace. Mais il est vivant, il a des couleurs extraordinaires, il invite au jeu, il vient d'ailleurs. Pépito nous dit que vous avez besoin de gratuité, de poésie, de jeu. Pépito nous rappelle que le coeur de la vie n'est pas le sérieux, le travail et l'efficacité, bien que tout cela soit indispensable. Quand un clown, un poète ou un perroquet surgit, la vraie vie est là. Jésus a raconté, il n'a pas écrit de traités de théologie.
Le second type d'indices remonte à notre marche de vendredi. Vous y avez entendu que la fraternité, la paix cherchées, voulues au nom de Jésus sont plus profondes, plus exigeantes aussi que l'attirail standard de notre trousseau de clés.
Au nom de cette paix, Jan de Haas et d'autres accueillent à la Chapelle de la Maladière des gens qui sont en marge. Au nom de cette paix, Shafique Keshavjee et d'autres dialoguent avec des hommes et des femmes de toutes religions sans convertir ni récupérer, mais sans rien renier non plus. Au nom de cette paix, Anne-Claire Félix écrit pour qu'un prisonnier d'opinion garde au moins un lien avec le monde extérieur et par là un espoir de liberté. Au nom de cette paix, il y a eu trente ans hier, Martin Luther king se faisait assassiner parce qu'il a lutté pour que la vie ne soit pas seulement la survie ou la vie comme elle va, comme elle vient, souvent mal fichue… Mais la vie en abondance, la paix en abondance, c'est-à-dire, dans la justice et la vérité.
C'est ce chemin-là que nous avons essayé de vous montrer. Nous tentons d'y marcher nous-mêmes, fragiles et éternels catéchumènes, accompagnés par un Dieu qui nous bénit.
Amen.