La mort est vaincue ! Oh ! elle n'a pas disparu, elle n'est même pas affaiblie ! Elle est partout présente dans nos vies, dans chacune de nos cellules, dans le moindre de nos gestes, dans nos relations, dans nos institutions, dans notre histoire, celle de l'homo dit sapiens comme celle du cosmos, puisque la fin de notre bonne planète est d'ores et déjà agendée, d'ici à 4 ou 5 milliards d'années. Intensément présente, la mort ! Mais vaincue !
Elle n'a pas, elle n'aura pas le dernier mot. Quelqu'un l'a dépassée, l'a traversée, C'est un grand mystère, c'est une certitude, totalement indémontrable. Les récits bibliques qui évoquent ce mystère sont étranges, tremblés comme une photo prise par un débutant. Flous. On les dirait désamarrés de nos repères habituels : le temps, l'espace, la vue, le corps ne sont pas ce qu'ils sont habituellement, ne fonctionnent plus bien. Justement à cause de ce mystère, dont ils tentent de rendre compte. Ainsi se troublent les boussoles quand on s'approche du pôle magnétique qui habituellement les oriente…
Merci aux savants qui sondent ces textes ! Et merci aux auteurs de la série télévisée «Corpus Christi», que certains d'entre vous suivent, avec beaucoup d'intérêt, et parfois avec une pointe d'inquiétude ! Tous ces récits désignent une limite, une frontière. On ne sait même pas exactement où la situer, cette frontière. Mais il faut s'approcher avec toute son intelligence, en sachant qu'on ne pourra ni tout expliquer, ni tout comprendre. Et il faut tenter de dire, de trouver les mots les meilleurs, en sachant qu'ils ne peuvent pas être réellement adéquats à ce qu'ils tentent de dire. Vient un moment où le savant, le théologien se découvrent moins bien outillés que le poète ou l'enfant pour dire…
Le poète ou l'enfant ou le musicien… Vous êtes à l'écoute d'une Cantate. Elle vient de loin ! Musicalement, elle remonte à une mélodie du XIIe siècle, m'a-t-on dit. Spirituellement à travers Bach et Luther, elle puise ses racines chez Paul et chez les Pères de l'Eglise, pour qui la résurrection est l'issue du combat : «Es war ein wunderlicher Krieg : ce fut une guerre étrange, étonnante", entendrez-vous tout à l'heure. La musique garde des échos passionnés de cette lutte. Et pourtant c'est bien une musique pascale qu'a composée le 5e évangéliste : la victoire du Christ projette sa lumière sur l'ensemble de l'oeuvre, en dépassant sans la nier l'âpreté de la lutte ! Cette lumière est d'une grande douceur et je trouve que Bach rejoint ici le 4e évangéliste, Jean, quand celui-ci nous raconte la rencontre de Marie-Madeleine et de son Maître, le Ressuscité.
De cette rencontre, je choisis 3 paroles, 3 paroles de Jésus, le Ressuscité, que je vous relis :
• Pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ?
• Marie !
• Ne me retiens pas.
D'abord cette double question : Pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? Ces questions préparent le chemin, ils l'ouvrent. Elles sont à double niveau, comme tellement de paroles de Jésus :
• Pourquoi pleures-tu ? Au premier niveau, Marie pourrait dire ce que Jésus sait bien : je pleure parce que ma tristesse est comme un puits sans fond. Je t'ai aimé. J'ai cru en toi. Puis je t'ai vu sur la Croix. J'ai vu ton corps porté en tombe. Le monde est maintenant pour moi froid, vide, sans saveur et sans espoir. Ma vie est cassée. Voilà pourquoi je pleure…
Mais au second niveau, c'est Jésus qui pourrait prendre la parole : pourquoi pleures-tu ? Tu n'as plus de raison de pleurer. Je ne suis pas le jardinier. Je suis la graine qui a été plantée et je suis la récolte qui surgit devant toi. Dieu ne m'a pas laissé. La mort n'a pas gagné…
• Qui cherches-tu ? Au premier niveau, Jésus pourrait dire : je sais bien que tu cherches mon corps. Une chose. Tout ce qui reste de moi. Un pauvre trésor dont ta mémoire ne gardera que des cendres de plus en plus froides. Est-ce vraiment à cela que tu aimerais te raccrocher, Marie ? Mais c'est vrai que parfois, espérer fait mal ! On en a trop vu. On a trop souvent été déçu. Se remettre en route ? Attendre encore quelque chose ? Croire que ça va changer ? Pour être déçu encore une fois ? Ne me parlez pas d'espérer ! Je préfère me replier sur mes illusions mortes, c'est plus reposant. Pourtant la vraie réponse, la réponse de la vie qui afflue, elle sonne autrement : «Qui cherches-tu ?» Mais tu cherches un vivant, Marie ! Tu ne le sais pas vraiment parce que c'est caché en toi. Mais la vie en toi n'a pas besoin d'un monument aux Morts. Elle a besoin du vin de Cana, elle a besoin de l'époux, et de la noce.
Le chemin ainsi tracé, pour que Marie s'y engage, il faut qu'elle reconnaisse Jésus. Pour cela, il faut que Jésus l'appelle, la nomme, et qu'elle réponde, qu'elle le nomme à son tour : Marie ! Même si la résurrection de Jésus concerne le cosmos, parce qu'il s'agit du salut du monde et non du salut de l'âme, la nouvelle, la foi en la résurrection chemine de coeur à coeur, de parole à parole, d'un je à un tu. Marie ! Rabbouni ! Et vous sentez que dans ce très petit échange se produit une chose immense qui est la résurrection de Marie, la vie neuve de Jésus étant ici transmise à celle qui l'a enfin reconnu…
Il faudra encore que Marie ne se méprenne pas sur la nature du Ressuscité. C'est bien lui, mais son corps est autre. C'est le Jésus d'avant, mais pas tout à fait. Alors : Ne me retiens pas ! Le corps de Jésus appartient déjà au règne qui vient. Impossible de spéculer sur la nature de ce corps : ce serait justement une façon de «retenir» ou de «tenir» ou de vouloir mettre la main sur le mystère. Le Ressuscité est autre, tout simplement. Il nous parle de la Jérusalem céleste, des nouveaux cieux, de la nouvelle terre. Il est, oui, nouveau…
Voilà, tout est dit. Tout est là, en douceur, en dévoilement progressif. Il n'y a pas de trompettes, de manchettes, de conférence de presse, de spot, de clip. Juste des histoires étranges qui viennent déranger nos résignations, ébranler nos structures mentales et affectives un peu figées. Comme on dévisse des boulons trop bien serrés. Il y a du jeu, tout à coup. C'est un peu inconfortable, ça bouge, mais ça vit ! Ces histoires elles-mêmes bougent, ne semblent pas bien arrangées, pas systématiques, pas toujours cohérentes.
C'est le suaire, ce sont les linges dans le tombeau qui sont «bien roulés, bien rangés, chaque chose à sa place». Dans le jardin de la résurrection, la pelouse n'a pas été tondue, et il n'y a pas de petits nains ni de rocailles. Des jouets d'enfants traînent partout avec des oeillets de poète. Parce que la vie est passée par là.
Amen.