Un oracle de Malachie

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" Ce qui, chez l'être humain, prend la forme d'une résistance à la cruauté du monde, c'est cela que j'appellerais espoir. " Edgar Morin

Le livre du prophète Malachie occupe une place singulière. Il clôt le cycle des prophètes, et dans nos versions protestantes de la Bible, met un terme à la chanson de geste d'Israël. Au coeur du lecteur, quel retentissement a cette question ? En quoi nous as-tu aimés ? On y entend une plainte, mêlée de déception et de reproche, émanant de ce peuple qu'un jour Dieu s'est choisi pour porte-parole.
L'Ecriture sainte n'évite pas les mises en cause les plus radicales. C'est le débat entre la foi et le doute qui confère au spirituel toute sa gravité. En quoi nous as-tu aimés ? Au terme d'un siècle, à bien des égards prodigieux et terrifiant, nous pouvons reprendre cette interrogation à notre compte.
Que peut bien signifier, dans le monde tel qu'il est, cette énigmatique notion : l'amour de Dieu ? Quelles en sont les assurances ?

Un malentendu
Commençons par dissiper un malentendu : les chrétiens abusés du mot amour. Parfois, pour se mettre à l'abri des atteintes du réel, ils se réfugient dans une sentimentalité lénifiante, réduisant Dieu au rôle de gentil moniteur d'une vaste nursery. Mais peut-on baptiser " amour " ce qui nous évite les risques inhérents à la vie et aux possibilités qu'elle offre ? Ce qui nous fait renoncer à l'expérience, dans la liberté, du sérieux de notre vie ? Evidemment non. Aussi suivra-t-on le conseil du prophète Malachie : vous voulez savoir en quoi Dieu vous a aimés ? Alors déchiffrez bien l'histoire qui est la vôtre, vous y découvrirez peut-être un authentique amour agissant, mais pas forcément là ou vous l'attendez.

Première assurance : l'appel à être plus
Pour l'homme, exister c'est au sens strict, la moindre des choses... Cependant, il ne s'agit pas seulement d'exister, mais encore d'être, de progresser dans l'acquisition de l'être. Nous le savons : une fois les besoins matériels satisfaits surgissent des besoins plus profonds. Il y a en nous une sorte de soif intérieure qui brûle de s'abreuver à la Source, disait Saint Augustin. Cette soif est l'Appel que Dieu adresse à l'homme pour lui dire : si tu le veux, avec moi, tu achèveras de t'accomplir, tu deviendras un être libre, tu seras responsable de toi-même. Tu ne te contenteras pas d'exister, tu seras.
Eveille-toi à la conscience du mystère qui t'habite ! Même si tu existes dans le transitoire, tes racines plongent dans ce qui demeure. Et ta vocation dernière est de faire lien entre la terre et le ciel. Pour cela, bien sûr, tu dois apprendre à surmonter ce qui s'y oppose et qui très largement dépend de toi. Tu dois faire le sacrifice de ta tendance naturelle au moindre effort.
C'est pourquoi l'histoire biblique est une suite d'arrachements. Adam et Eve sont éjectés du cocon originel. Abraham est arraché à la quiétude de son existence provinciale. Moïse arrache les Hébreux à la captivité certes, mais aussi à une Egypte qui eut aussi des aspects accueillants. Quant aux prophètes, prêchant le retour aux sources, ils ne cessent d'arracher leurs contemporains à l'inertie spirituelle et morale. Ainsi d'arrachement en arrachement, l'Appel nous approfondit dans l'ordre de l'être : tu peux être plus...

Il est des moments où, arrachés à notre léthargie, nous parvenons à surmonter certaines de nos contradictions pour atteindre à un peu plus d'unité personnelle. Dans ces moments-là, nous avons l'impression d'avoir fait un petit pas vers l'essentiel. Ces moments-là sont signe de la présence aimante de Dieu.

Seconde assurance : la possibilité du Bien
Dans les années soixante, l'un des esprits philosophiques les plus aiguisés de ce temps, Hannah Arendt, fit scandale en parlant de la banalité du mal. Elle voulait dire que le mal ici-bas n'a rien d'exceptionnel. Il est plus aisé à faire que le bien, il est rapide, sans effort, ordinaire et universellement répandu.
Par contraste, c'est le bien qui fait figure d'exception. Ce célèbre paradoxe conduit à voir les Dix Commandements comme un signe de l'amour de Dieu. Le don du Décalogue n'est-il pas en effet un formidable acte de foi dans l'être humain ? Que dit cet acte de foi ? Il y a en toi ce débat entre le bien et le mal; de ce débat tu peux sortir vainqueur et par ton intermédiaire, le bien peut entrer dans le monde. Dieu te fait confiance pour ça.

Parce que fondamentalement, l'univers est indifférent, c'est une illusion naïve de croire que l'univers a été fait pour nous. Depuis la déflagration initiale qui l'a fait naître, il obéit à des forces aveugles. La cruauté involontaire en est une conséquence, elle est une sorte de prix à payer pour la solidarité de la biosphère, elle est inéliminable de la vie biologique. Nous sommes nés dans la cruauté du monde et de la vie. Nul n'en connaît la raison, mais c'est ainsi. Cependant, il y a des résistances : les forces de coopération, de compréhension, d'amitié, de communauté, d'amour à condition qu'elles soient accompagnées d'intelligence. Tout ce qui est indiqué par le Décalogue. Elles sont certes plus faibles, pourtant c'est grâce à elles qu'il y a des sociétés viables, des familles aimantes, des amitiés fidèles, des amours lumineux, des dévouements, de la compassion, et que grosso modo le monde va, sans sombrer dans la barbarie.
Et surtout ces choses faibles passent par toi. Ces petites veilleuses te permettent de résister à la cruauté du monde. L'exception du bien permet de croire à la vie. En ce sens, " tu es ouvrier avec Dieu ". Tu peux le faire. Chaque fois que tu résistes à la cruauté du monde, l'amour de Dieu est actif à travers toi.

Troisième assurance : l'assurance christique
La troisième assurance de l'amour de Dieu dans la pratique vitale de l'existence est attachée spécifiquement au message du Christ - auquel la proximité de Noël nous introduit - je l'appellerai d'une formule désuète : le pardon du pêcheur. Il est possible que ces mots ne soient plus compris aujourd'hui, tellement ils ont été usés jusqu'à la corde. Disons-le autrement. Le pardon du pêcheur signifie que quoiqu'il arrive, le sol est solide, il n'est aucune situation abandonnée de Dieu.

Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font : ces dernières paroles du Christ expriment la véritable connaissance de l'âme humaine. Elle nous élève à la compréhension des engrenages, des passions, des dérives, des possessions, de l'instabilité de l'être humain. Le pardon signifie qu'en dépit de l'attraction que le chaos exerce sur toi, tu peux toujours reprendre pied sur un fondement solide. Il est toujours possible de naître à quelque chose de nouveau.
Sur le seuil du fini, il y a la surface portante de l'infini. Sous le transitoire se trouve une terre de repos qui imprègne nos vies d'une bénédiction particulière.

La stratégie du dauphin

Dans la symbolique chrétienne des catacombes, le dauphin apparaît pour représenter le Christ Sauveur. Ami des hommes dans les contes et légendes de la Méditerranée, sans doute est-ce l'aspect bondissant de cet animal qui a inspiré les premiers artistes chrétiens. Peut-être voulaient-ils indiquer le secret évangélique d'une vie réussie : une vie qui accorde une place à la faculté de rebondir - l'essence même du pardon.

Une vie au contact de ses ressources profondes, malgré les difficultés et les épreuves, où la faculté de recommencer l'emporte sur le désir de se conserver. Une vie dans laquelle rien n'est figé, irréversible, et qui accorde même au destin une marge de jeu qui est la marge de la liberté. Après tout, il n'est pas plus surprenant de naître deux fois qu'une.

Détails

Avec la participation de
Orgue
François Delor
Musique
Francesca Giarini, soprano;
choeur de la Cathédrale dirigé par Florence Kraft