Dieu espère en l'humanité

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Ce passage d'Esaïe est empreint d'une extrême simplicité. Quoi de plus simple que ces conseils marqués au coin du bon sens paysan, inspirés du monde rural de l'Antiquité ? Et pourtant, il s'agit d'une parabole. Dans la scène la plus banale, il y a quelque chose à découvrir qui réclame un effort d'attention : prêtez l'oreille, écoutez ma voix...
La Bible ne fait pas la séparation entre la foi et la réalité quotidienne. Bien au contraire. Dieu existe d'abord dans la vie, dans l'humble chiffre de nos jours. Il est notre compagnon et notre prochain. A chacun d'en prendre conscience.
Pour bien saisir cette prédication du prophète - destinée dans le contexte à la communauté d'Israël - précisons que ce laboureur placé en face de son champ représente Israël lui-même placé en face de sa destinée.
Ceci déjà indique que nous n'avons pas affaire à une allégorie sur le rôle de Dieu dans l'histoire, sur sa Providence, mais à une chose toute différente : Esaïe appelle ses coreligionnaires à agir de manière juste. A l'époque, Israël traversait une période difficile. Plutôt que de spéculer sur ce qui pourrait arriver, et attendre passivement, Esaie demande qu'on fasse ce qui convient. Il ne dit pas : ne vous faites pas de souci, Dieu pourvoira, mais: ce que Dieu vous a enseigné mettez-le en application dès maintenant. Le prophète pense bien sûr à la Loi, qui signifie autant direction (ligne de conduite) que directive (règle de conduite).
Je l'ai dit cet enseignement concerne l'Israël ancien, certes. Il revêt aussi une portée plus générale et s'adresse à la conscience humaine. Il pose à chacun les questions suivantes : comment t'y prends-tu avec le champ de ta vie ? Quelle direction as-tu choisie ? Quels moyens te donnes-tu pour y parvenir ?

L'être humain envisagé dans son devenir

J'observe qu'Esaïe n'envisage pas la créature humaine comme fixe et immuable. Il considère plutôt son évolution. On ne peut nier que nous autres mortels sommes liés à la transformation et au changement. De la naissance, premier changement, à la mort, dernier changement, on ne cesse d'évoluer.
De même, c'est notre capacité à épouser des changements et à entreprendre qui fait de nous de véritables humains. Nous sommes dotés d'une force de transformation. Nous sommes capables de modifier de façon décisive notre environnement, pour le meilleur et pour le pire, on le voit aujourd'hui avec les dilemmes liés au progrès scientifique et au prix de ce progrès.
Même notre foi est soumise au devenir. Notre relation personnelle à Dieu évolue sans cesse. Nous croyons, nous doutons, parfois les deux (" je crois, viens au secours de mon incrédulité ". " nous tâchons de saisir ", selon l'Apôtre.
Ce devenir, loin d'être désespérant, contient une promesse, la promesse d'une récolte. Cette évolution est porteuse de fruits à venir. Lorsqu'à notre tour nous nous présenterons devant le Maître de la moisson dont a parlé Jésus, quelle sera notre récolte?

Alors, prends soin de ta vie.

Tu es ce laboureur aux prises avec sa terre. Il t'est demandé d'en faire quelque chose, c'est la raison de ta présence ici-bas. Bien sûr au départ, les dons, les héritages, les handicaps et les chances sont inégalement répartis. Il y a des terres plus ou moins riches, plus ou moins caillouteuses, des coteaux plus ou moins bien exposés. Mais sait-on jamais ce qui nous est propice ? Les conditions les plus favorables ne sont pas toujours les meilleures et souvent, l'élément le plus favorable est celui qui nous manque. Ce qui importe sera ce que tu en auras tiré pour toi même à la fin.
Vraiment, prends soin de ta vie. Efforce-toi d'en tirer le meilleur, comme le paysan cherche le meilleur de sa terre. Evite la confusion et le gâchis - qui pour la Bible sont une forme d'injustice - ils t'empêcheront de devenir ce que tu dois être. Ne sois pas injuste avec ta vie.

Une triple leçon

a) Sur l'apprentissage spirituel. La dimension spirituelle appartient à la totalité humaine. Envers leurs enfants, les parents ont à veiller non seulement au développement physique, psychique et intellectuel, mais encore spirituel. On dit que chaque enfant naît avec une étincelle qu'il a mission de donner au monde. Cette étincelle est de nature spirituelle et il faut l'entretenir, si l'on veut qu'elle éclaire.
"Demandez, il vous sera donné; celui qui cherche trouve; à celui qui frappe, il sera ouvert."Ces mots de Jésus disent assez que rien n'arrive à ceux qui ne demandent pas, ne cherchent pas, ne tentent rien.
C'est pourquoi la parabole insiste sur les règles à suivre. Entendons que la vie spirituelle exige un minimum de discipline et de pratique. Si le laboureur ne s'y plie pas, s'il n'obéit pas aux règles élémentaires de la terre et des saisons rien ne poussera.

Il est important d'entendre cela aujourd'hui. La quête spirituelle contemporaine est très intense et c'est une excellente chose, à condition qu'elle ne soit pas paresseuse ou chaotique. A condition qu'elle ne se limite pas à un produit de consommation de plus. A condition qu'elle soit véritablement une réponse active à l'appel de Dieu: Si tu le veux, toi et moi, ensemble, nous créerons ce être humain qui n'existe pas encore. Si tu le veux vraiment, tu pourras devenir cet être un peu plus serein, un peu plus sage, un peu plus apaisé et bienveillant dont le monde a besoin. Si tu le veux, tu peux être, avec Dieu, l'artisan, l'artiste peut-être, de ta vie.

b) Une parabole sur le bonheur : Nous sommes accoutumés d'attribuer le bonheur à la chance, comme on attribue le malheur à la fatalité. Le bonheur, comme le malheur, serait l'effet du destin, à en croire les horoscopes des magazines. Quand ça arrive il n'y rien à comprendre, juste à profiter du bon ou attendre que le mauvais se passe.
Concernant le bonheur en tout cas, Esaïe n'est pas d'accord. Il se souvient de la vigoureuse leçon du Deutéronome : " Choisis, choisis la vie... " Et il s'adresse à nous: mon frère, ma soeur, ton bonheur dépend de toi. Franchement, y a-t-il meilleure nouvelle ? Ta vie n'est pas une loterie. Dieu t'a donné ce qu'il faut pour être heureux à ta mesure. Trouve la part de joie qui te revient sous le soleil, c'est ta responsabilité et ta liberté. Tu gardes le choix, celui de donner une direction à ton existence et de marcher vers plus de lumière.
Dans ce monde qui demeure une énigme impénétrable, ce monde à la fois effrayant et fascinant, tu n'es pas une bouteille jetée à la mer. Tu peux y être heureux parce que ce monde est le monde de Dieu.

c) Une parabole sur l'espérance, avec une tonalité un peu particulière : ne pas désespérer de l'aventure humaine. Ce qui est tout ce qu'on voudra sauf évident, dans une époque de bouleversements aussi considérables.
Sommes-nous prêts à entendre que Dieu, envers et contre tout, espère en l'humanité ? Au temps de la moisson, promet l'Ecriture, il viendra à notre rencontre, en ce jour messianique où nous serons enfin capables de transformer nos épées en socs de charrue. Un jour, cet homme qui n'existe pas encore existera enfin. Un jour, il sera capable d'agir comme l'image de Dieu qu'il est déjà maintenant.
Un jour, la civilisation se dégagera définitivement de la barbarie. Tel est le souffle messianique émanant du Premier Testament: : ce que nous sommes n'est pas encore manifesté.

En attendant cette échéance lointaine, n'oublions pas la parole de l'Ecclésiaste : " Tout est devant vous. " Spirituellement, l'essentiel a été dit et enseigné. Il reste à le prendre au sérieux.
J'aimerais terminer en m'inspirant de Théodore Monod, qui vient de nous quitter et qui a beaucoup médité sur le devenir humain :
· La préhistoire semble avoir duré plus d'un million d'années.
· Le sermon de Benarès (celui du Bouddha) a 2'600 ans.
· La prédication d'Esaïe est à peu près du même âge.
· Le sermon sur la Montagne et les Béatitudes ont à peine 2'000 ans.
Tout cela est très récent. Cela a été à peine essayé. L'être humain ne fait qu'apparaître. Ne désespérons pas trop tôt. Il n'est pas encore certain qu'il va refuser la civilisation, il peut encore renier l'ancestrale barbarie.

Il peut, le fera-t-il ? C'est toute la question et Dieu nous dit : ça dépend de toi !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Thilo Muster
Musique
Hans Egidi, violon