Qu'est-ce que vous recherchez quand vous allez vous balader en montagne, comme ici, ou simplement en forêt, dans la nature ? Quelqu'un m'a dit l'autre jour que les clubs alpins voyaient augmenter leur nombre d'adhérents, pas forcément pour faire de l'escalade et de la haute montagne, mais plutôt par des adeptes de randonnées. Pourquoi cet engouement pour la marche en montagne ?
J'ai posé la question à ceux que je rencontrais : " pour la paix ", " pour être dans la nature ", " pour le plaisir de la marche, de l'effort ", " pour admirer ", " pour se ressourcer ", " pour la beauté des couleurs ". Et je pense qu'il y a encore sûrement plein d'autres raisons à cet engouement.
Moi, ce qui me touche le plus dans la Nature, quand je suis dans ces prairies en fleurs, au milieu de ces rochers escarpés, c'est la gratuité. Tout est là, donné, offert, gratuitement. A portée de main, des yeux, du cœur. Et cette Nature, par l'immensité de tout ce qu'elle m'offre, me fait obligatoirement entrer dans une autre logique que celle qui régit ma vie quotidienne et celle de notre société humaine.
Les auditeurs de la radio l'entendaient dimanche dernier à Champex, nous sommes dans une société du " donnant-donnant " où tout se paye, où nos rapports humains et sociaux sont dominés par cette logique de l'économie, des lois du marché, de l'offre et de la demande. Et dans cette logique-là, c'est toujours plus facile de donner que de recevoir. Parce que chaque fois que je reçois quelque chose, je me sens immédiatement redevable.
Et cela peut aller très loin : quand il fait beau et chaud pendant une période, certains disent : " aïe aïe aïe, on va le payer " ! Quand quelqu'un nous a invité, vite, il faut vite sortir les agendas, et voir quand est-ce que nous allons l'inviter à notre tour. L'autre jour, pour la petite histoire vraie, j'entendais une dame me raconter le nombre d'heures qu'elle avait passé seule à nettoyer un sinistre parce que, disait-elle, elle n'aimait pas demander de l'aide. Cette même dame, quelques minutes plus tard, je l'ai surprise en train de dire à l'une de ses amies qui lui racontait ses déboires : " quoi, tu as vécu tout cela toute seule, tu n'as même pas téléphoné, ça sert à quoi les amis si on n’ose même pas les appeler quand cela va mal ? " Eh oui, ce n'est même pas une caricature, nous sommes tous un peu comme cela, dans notre logique du " donnant-donnant " où c'est plus facile d'aider que d'être aidé, de donner que de recevoir.
Cette logique du " donnant-donnant ", est-ce aussi ce qui motive Anne, cette femme stérile d'Israël, qui, dans sa souffrance ose, elle, (elle a peut-être plus de courage que nous) se tourner vers Dieu et lui demander la grâce d'avoir un enfant, mais qui, dans le même temps (cela peut paraître absurde), s'engage tout de suite, si son vœu est exaucé, à le consacrer pour toujours au Seigneur ? À première vue peut-être, quoique… nous y reviendrons plus tard.
Dans le récit de l'évangile, par contre, pas d'équivoque possible. A le lire avec la grille du " donnant-donnant " on y perd son latin, ou son grec, en l'occurrence. Jésus donne la guérison, il pardonne les péchés, mais ce n'est pas de lui-même qu'il donne et pardonne. Le texte nous dit : " la puissance du Seigneur était avec Jésus et lui faisait guérir les malades ". Les porteurs donnent de leur force, de leur courage, de leur audace même, de leur foi et de leur confiance. C'est d'ailleurs en voyant leur foi (et non pas celle du paralytique) que Jésus va guérir et pardonner, non pas eux, mais le paralytique qu'ils portent.
Le paralytique, lui, va être guéri et pardonné, alors qu'il n'a rien fait, rien donné pour être amené près de Jésus. La foule, elle, va être transportée par cette guérison, sans avoir rien demandé.
Dans cette histoire, si l'on s'amuse à essayer de faire les comptes, on ne sait plus très bien qui donne et qui reçoit, mais ce que l'on voit assurément, c'est un immense processus de vie qui est débloqué et qui va toucher tous ceux qui en sont témoins. Ce texte met en échec notre logique humaine du " donnant-donnant " et nous ouvre à une autre logique, la logique du royaume, de la grâce, une logique qui nous révèle, par Jésus, ses paroles, ses actions, qui est Dieu et ce qu'il veut pour nous. Dieu est amour, nous dit l'évangile de Jean, et ce Dieu d'amour veut pour nous la vie et la vie en abondance. Et pour cela, qu'est-ce qu'il fait, Dieu ? Il s'offre de casser, de délier, tout ce qui nous paralyse, tout ce qui nous empêche d'être pleinement dans ce mouvement de vie, tout ce qui nous immobilise et nous fige à l'écart de ce mouvement d'amour. Et c'est là tout le lien entre la guérison et le pardon des péchés. Parce que, après tout, qu'est-ce que c'est le péché ? C'est justement quand je suis séparé de Dieu, des autres et de moi-même et donc que je ne peux plus participer et bénéficier de ce mouvement de vie et d'amour qui m'est offert. Ce qui me sépare de cet amour, ce peut être la peur, la culpabilité, la souffrance, ce peut être mes préjugés ou, comme les pharisiens ce matin-là, mes concepts, ou encore ma logique du " donnant-donnant ". Par son pardon offert, Dieu me libère et m'invite à libérer à mon tour. Il nous invite tout simplement à participer à ce mouvement. Juste " participer " à son projet de vie, d'une manière ou d'une autre.
Et il y a plein de manières de participer. L'évangile nous en offre quelques exemples : parfois, participer, c'est être dans un mouvement d'action, d'audace, de culot, comme ces porteurs qui n'hésitent pas à pratiquer une ouverture dans le toit pour amener le paralytique auprès de Jésus. Parfois, participer, c'est, comme l'a vécu le paralytique, c'est accepter de ne rien pouvoir faire, accepter alors d'être porté par d'autres. Parfois, participer, c'est comme Jésus, accepter que la puissance de guérison et de pardon de Dieu coule à travers nos mains, nos paroles, notre regard. Parfois, participer, c'est simplement se laisser toucher, comme la foule ce jour-là, par ce dont on est témoin. Parfois, participer, c'est ce que vous avez fait, Gunilla et Jean-Pierre, à savoir demander le baptême pour vos enfants et les placer ainsi dans ce projet de vie que Dieu nous offre. Parfois, participer, c'est ce qu'on évoquait au début de ce message, c'est aller en montagne ou dans la nature, pour se laisser nourrir, régénérer, par tout ce qu'elle nous offre.
Parfois, participer, c'est demander, implorer, comme Anne l'a fait dans le temple, en osant crier sa souffrance à Dieu et lui demander la grâce de pouvoir porter un enfant, ou guérir, ou retrouver le goût de vivre.
Parfois, participer, c'est aussi comme Anne, plus tard, ne pas garder pour
soi, mais donner plus loin, dans cette joie de participer à ce mouvement de vie qui continue toujours, pour peu qu'on ne le bloque pas, à semer la vie plus loin. Et, comme Anne, notre façon de participer peut être multiple et varier sans cesse au gré des événements et de ce que nous traversons.
Quand on est dans cette logique de participation, on sort du " donnant-donnant ", on est juste dans ce mouvement de vie, au service de quelque chose qui nous dépasse, qui vient d'au-delà de nous et qui va au-delà de nous. On entre dans cette logique de grâce du Royaume de Dieu.
Il y a une très belle histoire qui va dans le même sens, mais avec d'autres mots et qui m'accompagne depuis plusieurs mois. J'ai envie de la partager avec vous. Elle se trouve dans le dernier livre de Paulo Coelho qui s'intitule " Maktub ". Le maître dit : " très souvent, il est plus facile d'aimer que d'être aimé. Nous avons du mal à accepter l'aide et le soutien des autres. Nos efforts pour paraître indépendants les privent de l'occasion de nous prouver leur amour. "
Nombre de parents, lorsqu'ils vieillissent, empêchent leurs enfants de leur prodiguer la tendresse et le soutien qu'ils ont eux-mêmes reçus lorsqu'ils étaient petits. Beaucoup d'époux (ou d'épouses), quand le destin les frappe, ont honte de dépendre de l'autre. Résultat : les eaux de l'amour ne se répandent plus. Nous devons accepter les gestes d'amour de notre prochain. Nous devons permettre à quelqu'un de nous aider, de nous soutenir, de nous donner la force de continuer." Si nous acceptons cet amour avec pureté et humilité, nous comprendrons que l'amour ne consiste pas à donner ou à recevoir, mais à participer. "
Alors, chers amis, que la rencontre soit belle, que ce mouvement de vie et d'amour que Dieu nous offre soit force de libération. Qu'il nous ouvre à la joie et à l'émerveillement, au désir puissant d'y participer, peu importe de quelle manière. Juste " consentir " à y participer.
Amen.