Écouter le culte :
Vous le connaissez, Thomas, le disciple de Jésus, dont l’évangéliste Jean raconte l’histoire dans ses récits de Pâques. A la première apparition de Jésus après sa mort sur la croix, Thomas avait manqué au rendez-vous. Quand ses compagnons lui racontèrent la rencontre inouïe, il s’écria : « Non, non, je ne puis y croire. Il me faut des preuves. Il faut que je le touche de mes mains... »
On traite souvent Thomas d’incrédule. Je ne le ressens pas ainsi. Il y a beaucoup de foi dans son doute. Simplement, il veut qu’on lui facilite la chose : il réclame un signe concret auquel s’accrocher. N’est-ce pas son droit ? Le Ressuscité lui donnera raison. Huit jours plus tard, Jésus apparaît aux disciples de nouveau réunis dans la chambre haute, il s’adresse à Thomas et il lui montre ses plaies. Vaincu, convaincu, Thomas admet le fait. Il tombe à genoux et adore le Christ vivant.
Jésus dira plus tard: ‚Thomas a été privilégié, mais ensuite viendront ceux qui n’ont pas vu ce qu’il a vu et il leur faudra bien croire dans la situation difficile du non-voir. C’est évident : nous ne voyons pas le Christ dressé devant nous, à toucher, à palper avec ses mains déchirées et son flanc percé. Nous croyons dans le vide, sur Parole. C’est malaisé. Aussi avons-nous besoin de signes, de marques, de preuves. Nous réclamons des gages pour nous engager et nous avons raison de le faire, comme Thomas et comme pour Thomas, le Christ répond, il parsème notre vie de signes – il suffit de les remarquer.
Le lieu, dans lequel nous sommes réunis ce matin – les présents sur place, physiquement, les auditeurs au loin, spirituellement – est un de ces signes qui nous aident à croire. Non seulement en raison de la beauté du paysage – la forêt, le lac, les sommets – et du charme de la nef avec ses boiseries, ses vitraux, son orgue qui s’unissent pour nous séduire. Non seulement à cause de sa raison d’être – on y loue le Créateur, on y annonce la Bonne Nouvelle, on s’y expose au souffle du Saint-Esprit. Il y a plus. Il y a son histoire.
Voici 75 ans un groupe d’hommes et de femmes, animés par une foi à toute épreuve, ont décidé de bâtir ici un lieu de culte au service des estivants. Initiative particulière de visionnaires qui ont voulu rester indépendants, comptant sur l’énergie et l’enthousiasme de chacun. Et, merveille, l’élan initial n’est pas retombé. Trois générations pour le moins ont maintenu le flambeau, entretenant, embellissant, aménageant ce lieu de rencontre et de recueillement. Quelle fidélité aux jours favorables comme dans l’adversité ! Or cette fidélité humaine témoigne de la fidélité divine qui a inspiré, guidé, soutenu tous ceux qui ont mis leur main à la pâte. Nous demandions des signes. Dans sa modestie et sa beauté, ce temple en est un : il est la marque de la fidélité de Dieu à notre égard.
« Ce Dieu fidèle, dit Moïse à son peuple, garde (...) sa miséricorde et son alliance envers ceux qui l’aiment. » (Dtn.7, 9). Trois mots décrivent ici ce que la Bible entend par fidélité de Dieu. En voici le premier : la miséricorde. Le terme est très solennel, et, pour bien le comprendre, il est bon de le ramener à notre niveau : la miséricorde de Dieu est le fait qu’il nous prenne au sérieux, qu’il nous veuille du bien, qu’il s’intéresse à nous et qu’il nous propose un projet.
Un médecin de ma connaissance rassurait des parents paniqués par la maladie de leur enfant : « Ne vous en faites pas; il est programmé pour la vie. » C’est cela. Nous nous sentons désarçonnés dans un monde de lâcheté, de violence, d’injustice: comment faire face? Nous sommes confrontés à nos faiblesses, nos fautes, nos échecs : comment nous tirer d’affaire ? En nous répétant : Dieu nous a programmés pour la vie, pour une vie sensée et joyeuse, pleine et rayonnante. S’il est dit fidèle, c’est qu’il se tient à son intention première: avoir du cœur pour nous et faire de nous les enfants de son cœur.
En affirmant cela, je ne tombe pas dans un blabla religieux. Mes propos se fondent sur une garantie, l’alliance dont parle Moïse et c’est là le second terme en rapport avec la fidélité de Dieu. Alliance veut dire de la part de Dieu : Je m’engage pour toi et je grave cela pour toi dans les faits, d’une manière claire et nette. C’est désormais écrit à l’encre indélébile. Je signe, et ma signature est irrévocable. J’opte pour une ligne de conduite, et la vapeur ne sera pas renversée.
Un fait m’a frappé. J’ai cherché dans les quatre Evangiles une phrase sur la fidélité de Dieu. Je n’en ai trouvé aucune. Les Psaumes, les prophètes, les apôtres parlent du Dieu fidèle, mais ni Matthieu, ni Marc ni Luc, ni Jean ne le qualifient ainsi. Comment s’expliquer cette lacune ? Nos quatre narrateurs ignoreraient-ils que Dieu est fidèle ? Bien au contraire. Ils l’affirment à chaque ligne, mais sans employer le terme, parce que, dans l’histoire de Jésus de Nazareth, c’est la fidélité même de Dieu qui s’élabore. Quand Jésus naît à Bethlehem, quand il guérit les malades et chasse les esprits impurs, quand il parle du Père qui veille sur nous, quand il nous nomme sel de la terre et lumière du monde, quand au péril de sa vie – et il le paiera cher – il brave l’intelligentsia religieuse et s’insurge contre sa prétention de dominer les âmes en disposant de la vérité – là, partout, il se passe la même chose: Dieu s’enfonce si profondément dans notre monde qu’il ne lui reste aucune retraite possible. En nous envoyant son Fils, Dieu fait alliance avec nous.
Cette alliance, dont Moïse a vécu la préfiguration sur le Mont Sinaï, le Dieu fidèle la garde, et c’est là le troisième terme en rapport avec la fidélité de Dieu. Il la garde de sorte que nous pouvons compter sur lui. Dieu est fiable et sa fiabilité nous ouvre la voie de la confiance. Il y a une confiance sotte, qui remet tout à Dieu pour se démettre de sa propre responsabilité. Je lui laisse mon gâchis, à lui d’y mettre de l’ordre. Je lui abandonne mes nœuds, il trouvera bien un manière de les déficeler.
Non, une telle démission n’a rien à faire avec le Dieu fidèle. Au contraire: sa fidélité nous mène à être fidèle nous-mêmes. Si les Evangiles, au cours desquels Dieu tisse et trame son alliance, n’ont pas de phrase sur la fidélité de Dieu, ils parlent d’autant mieux de la fidélité de ceux qui prêtent l’oreille aux paroles du Christ et les mettent en pratique. ‚Nourris l’affamé, abreuve l’assoiffé, accueille l’étranger et l’on te dira : « Bon et fidèle serviteur, entre dans la joie de ton maître. » (Matthieu 25, 31ss). De même, « bons et fidèles serviteurs » seront nommés ceux qui feront valoir leurs talents (Matthieu 25, 14ss.).
Bon et fidèle serviteur, bonne et fidèle servante... Evidemment, il n’est pas facile d’être fidèle dans la foi et dans sa pratique. Je pense à cette pénible nouvelle que j’ai reçue il y a quelques jours. Une jeune femme de notre connaissance, gravement malade, a refusé l’opération qui lui aurait permis de survivre, mais au prix d’un terrible handicap. Elle a opté pour la mort, et la voici aux soins palliatifs pour y passer ses derniers jours. Quand une telle nouvelle nous parvient – et il y en a beaucoup de ce genre – la première réaction est de lâcher pied. « Où reste la justice, où demeurent la bonté, la bienveillance, l’amour de Dieu ? Ne me parlez plus jamais de sa miséricorde et de son alliance qu’il garde... »
On peut se laisser aller à la révolte ou au désespoir. On peut aussi se tourner vers les signes de bonté dont Dieu parsème le monde – et il y en a beaucoup de ce genre. Notre chapelle par exemple. Amen !