Écouter le culte :
La vérification des comptes, c'est un passage obligé pour toute association ou entreprise, mais la plupart du temps, ce n'est qu'une simple formalité. En procédant le plus souvent par sondages, les vérificateurs doivent attester l'exacte tenue des comptes. C'est là qu'il y a parfois, mais très rarement, de mauvaises surprises. Comme dans la parabole.
Franchement, elle n'est pas d'une interprétation aisée, la preuve, les titres différents que nos traductions françaises lui donnent : « le gérant infidèle », « le gérant habile », « le gérant injuste", des titres qui contiennent déjà en eux-mêmes des interprétations, un jugement sévère ou au contraire un étonnement admiratif. Le gérant est-il infidèle, habile ou injuste ? Vous me direz que l'on peut être tout cela en même temps et la grande difficulté de cette histoire, c'est que si cet employé est un filou, le maître le félicite et Jésus le cite en exemple ! C'est comme si je vous faisais ce matin l'éloge d'un certain Madoff ou de Jérôme, cet ancien courtier de la Société Générale en France. Cela mérite une petite explication.
Parce qu'il est souvent absent de chez lui, un homme riche donne son affaire en gérance à l'un de ses serviteurs. Quand le gérant est bon, il n'y a pas de souci à se faire : les produits sont frais, le coulage est minime, l'entreprise tourne et l'argent rentre. Mais il arrive qu'un gérant pose problème et c'est exactement ce qui se passe dans la parabole : on chuchote qu'il puise dans la caisse et cela dure, semble-t-il, depuis un bon moment ! Il faut être naïf pour croire que cela passera toujours inaperçu ! Tôt ou tard, les combines éclatent au grand jour et, pour la presse, c'est du pain bénit.
Mais dans l'Orient ancien, les irrégularités étaient plus difficiles à détecter, il n'y avait pas, semble-t-il, de stricte comptabilité ni de vérificateurs des comptes. Seule une dénonciation pouvait mettre la puce à l'oreille. C'est exactement ce qui se passe dans la parabole : les gens murmurent et ces bruits arrivent jusqu'au patron, qui leur accorde crédit et suspecte la fraude. À tort ou à raison, la parabole ne le dit pas, d'ailleurs elle ne se pose pas la question.
Le problème qu'elle décrit, c'est que le gérant va se retrouver à la rue, sans indemnités, avec un très mauvais certificat de travail et sa vie risque alors de devenir très dure, car que faire ? Retrouver un emploi similaire ? Exclu avec les casseroles qu'il traîne derrière lui ! Se contenter de petits boulots ? Après avoir mené la grande vie, ce serait tomber bien bas ! Mendier ? C'est l'expédient ultime qu'il ne veut pas envisager ! La parabole nous décrit alors la solution très habile qui va assurer son avenir : pendant le peu de temps qui lui reste, le gérant va pirater les fichiers de son maître et particulièrement le fichier des débiteurs, pour s'attirer leur reconnaissance et assurer son avenir.
Les débiteurs sont certainement nombreux, beaucoup plus que les deux mentionnés juste à titre d'exemple et tous doivent beaucoup d'argent : 100 jarres d'huile (plus de 2'000 litres), 100 sacs de blé (plus de 20 mètres cubes), plus les intérêts. C'est curieux ces dettes en nature, mais c'est probablement parce que la Bible interdisait le petit crédit (cf Exode 22, 24). Alors, on contournait la loi en fixant, non pas des sommes d'argent, mais des quantités de marchandises.
Le fichier sous les yeux, le gérant appelle les débiteurs, un à un dans son bureau, un à un, pour qu'ils ne se croisent pas dans les couloirs et comparent leurs situations ! Et puis, l'affaire n'est pas très honnête, il vaut mieux la traiter, comme on dit, entre quatre-z-yeux".
· Combien tu dois ?
· 100 jarres d'huile
· On va écrire 50
· Et toi, combien tu dois ?
· 100 sacs de blé
· Allez, écris 80 !
Le débiteur ne demande pas mieux que l'on allège, rééchelonne ou efface sa dette. On constate que les réductions ne sont pas les mêmes pour tous, non pas que le gérant soit inéquitable, mais parce qu'il lui est plus facile de tricher avec des stocks d'huile qu'avec des quantités de blé. De l'huile frelatée ou de mauvaise qualité, à une époque où il n'y avait pas de chimiste cantonal ni d'émissions du genre « À bon entendeur » ou « 50 millions de consommateurs », ça ne se remarque pas. Par contre, du gravier dans le blé, ça crisse méchamment sous les dents ! C'est pourquoi nous allons dire 50 jarres d'huile au lieu de 100, mais quand même 80 sacs de blé au lieu de 100. Et vite, on déchire les anciens reçus et on en rédige de nouveaux !
Ce système ingénieux permet au gérant de se faire des amis, sans que l'on puisse prouver quoi que ce soit contre lui !
Eh bien, c'est ce diable de gérant que le maître félicite ! Et il le félicite très sincèrement : "Bravo, un grand bravo pour l'astuce ! » Vous vous souvenez peut-être, il y a quelques années, des malfrats avaient installé un bancomat dans une rue de Bâle, un faux, mais plus vrai que vrai, bien accroché au mur, avec un écran animé. Je pense que nous nous y serions tous fait prendre. Les gens introduisaient leur carte, composaient leur code, que la machine enregistrait tout en avalant la carte. La suite est très simple. Il suffit de relever les données enregistrées et d'aller se servir à un vrai bancomat, munis de la carte et du code. L'idée est géniale, mais je pense qu'aucune des victimes n'a admiré le coup. Et pourtant Jésus nous cite un tel malfrat en exemple ! Il se sert sur le compte de son patron ! Eh bien bravo !
Cette parabole voudrait nous apporter un enseignement, mais il n'y a aucun personnage net dans cette histoire ! À commencer par le maître, qui accuse sur de simples ragots, ensuite le gérant, qui fait son montage financier et finalement les débiteurs qui, sans scrupule, se rendent complices ! Et c'est tout ce beau monde que Jésus voudrait nous citer en exemple !
Il faut bien comprendre que la parabole ne nous parle pas d'argent ! Heureusement, car c'est une question qui nous met facilement mal à l'aise dans l'Église, nous avons des rapports parfois si ambigus avec les biens de ce monde. L'Évangile nous pousse à partager, mais la société nous pousse à thésauriser, à avoir un résultat meilleur d'année en année, à faire de bons placements et de juteux bénéfices. Ce n'est pas pour rien que l'Évangile nous met par ailleurs en garde : l'argent est un bon serviteur, mais un très mauvais maître et il peut vite devenir un dieu impitoyable. Quand on n'en a pas, on n'est pas bien, parce qu'on en a vraiment besoin et quand on en a, on n'est pas bien non plus, parce qu'on en veut plus et toujours plus.
Mais ce n'est pas une parabole sur l'argent, ni sur la fidélité ou l'honnêteté. La pointe de la parabole, c'est l'attitude du gérant, sa vitesse de réaction. À l'instant où il se sait menacé, immédiatement il trouve un système ingénieux pour remédier aux inconvénients de son probable licenciement. Il réaménage des créances qui ne sont pas les siennes, il détourne à son profit les biens dont il avait la charge, pour pouvoir compter sur la reconnaissance éternelle des débiteurs. Comprenez bien : Jésus ne dit pas « Bravo ! » pour l'escroquerie, mais « Bravo ! » pour la rapidité de la décision !
Cette histoire, pour bien la saisir, il faut la rattacher à ce qui la précède dans l'Évangile : aux paraboles de la brebis perdue, du fils perdu et retrouvé, des paraboles que le Christ adresse aux pharisiens et aux scribes, eux qui, sans arrêt, critiquent l'amitié du Christ pour les gens de mauvaise vie, tous ces gens qui ont des dettes immenses envers Dieu. Ces paraboles soulignent que le cœur de Dieu leur est largement ouvert et que Dieu ne tient aucun compte de leurs dettes.
La parabole du gérant, infidèle, habile ou injuste, c'est comme vous voulez, Jésus l'adresse aux responsables religieux de son peuple et, à travers eux, à nous tous, car dans la foi réformée, c'est à chacune et chacun de nous que le Christ a remis sa maison et ses affaires. Nous sommes, vous êtes les gérantes, les gérants à qui Dieu fait confiance ! Et dans la vie, la confiance, c'est la chose la plus précieuse et la plus belle qui soit.
La parabole nous dit alors ceci : nous sommes les trésoriers du pardon de Dieu et comme le gérant que Jésus nous cite en exemple, montrons-nous généreux, épongeons les dettes avec ce qui ne nous appartient pas, montrons-nous généreux avec le pardon de Dieu. Ce pardon ne nous appartient pas, mais nous pouvons le distribuer et être témoins, non de la colère de Dieu, mais de son pardon ! C'est là-dessus que nous aurons des comptes à rendre, non sur ce que nous aurons réussi à garder, mais sur ce que nous n'aurons pas réussi à donner.
Je sais, les gens ont parfois une autre image de la religion, celle d'un Dieu près de ses sous, dur et intransigeant. Je ne pense pas à l'Islam en général, mais à certains mouvements islamistes, je ne pense pas au christianisme en général, mais à un certain fondamentalisme qui insiste de nouveau sur les peines éternelles, je ne pense pas à la Bible, mais à certaines déclarations, comme celle de Spurgeon, illustre prédicateur anglophone du 19ème siècle, qui s'exclamait : « J'exulterai quand je verrai les âmes des damnés en enfer. » Eh bien, moi pas !
On le constate, les croyants peuvent être très durs avec leurs semblables. Là où les gens du monde diraient : « Marquez 50 ou 80 au lieu de 100 ! », les enfants de lumière disent : « Mettez 200 et puis non, inscrivez 1'000 ! » Voilà ce qui entretient l'image que les gens ont de la religion en général et du christianisme en particulier : elle, il écrase au lieu de libérer ! Or Jésus nous révèle un Dieu plein d'amour, un Dieu qui nous fait totalement confiance et qui compte sur nos gestes de pardon et nos démarches de réconciliation pour soulager l'humanité. La parabole du gérant nous invite à compter systématiquement moins, à avoir pour les autres la même attitude que Dieu, qui va chercher la brebis perdue et qui se jette au cou du fils prodigue.
Le message de l'Évangile veut donc avant tout décharger les cœurs et les épaules, annoncer la grâce de Dieu pour tous, en puisant dans les trésors de son amour, pour libérer chaque être humain de la culpabilité. Voilà ce qui nous ouvre à toutes et à tous un avenir.
Amen !
Vivez le jour d’aujourd’hui, Dieu vous le donne, il est à vous.
Le jour de demain est à Dieu, il ne vous appartient pas.
Ne portez pas sur demain le souci d’aujourd’hui.
Demain est à Dieu : remettez-le lui.
Le moment présent est une frêle passerelle :
si vous le chargez des regrets d’hier et des inquiétudes de demain,
la passerelle cède et vous perdez pied.
Le passé ? Dieu le pardonne. L’avenir ? Dieu le donne.
Vivez le jour d’aujourd’hui en communion avec lui.
Et s’il y a lieu de vous inquiéter pour un être aimé,
regardez-le dans la lumière du Christ ressuscité.
(texte trouvé sur une Sœur tuée en Algérie)