Le jugement par le feu

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Ce passage des Corinthiens répond à une question aussi ancienne que l’homme. Ce qui me caractérise en tant qu'être humain est la certitude qu’un jour je disparaîtrai. Lorsque je ne serai plus là, quelles traces mon passage aura-t-il laissé ? J'aurai vécu, agi, peiné, aimé, créé peut-être, pourquoi ? A quoi aurais-je donné naissance qui survive à ma mort ? Aurais-je toutes ces années vécu en vain ou pour quelque chose ?
Un des amis de Job croit savoir qu'au dernier jour, Dieu rendra à l’homme selon ses œuvres. Il rétribuera chacun selon ses voies. Dieu se livrera à une évaluation de ma vie selon les fruits qu'elle aura portés. C'est une conception courante, qui repose sur l'idée que la vie est donnée pour apporter sa pierre, aussi minuscule soit-elle, à l'amélioration du monde et que Dieu demandera des comptes pour cela.
Paul reprend cette question à lumière de sa conviction fondamentale, selon laquelle un chrétien est sauvé par la foi seule et non par ses mérites, même s'il en a aux yeux des autres. Commençons par observer qu'il y aura bien un jugement, symbolisé dans le texte par l'épreuve du feu, ce feu de l'Esprit divin qui dévoile et purifie toute chose. A la réflexion, c'est plutôt rassurant. Tout n’est pas équivalent, tout ne se vaut pas. Nous ne sommes pas condamnés à un relativisme généralisé. Il existe des manières éthiques de se comporter et d’autres qui ne le sont pas. Il y a de bonnes et de mauvaises façons de mener sa vie. Et Dieu résiste à la confusion de l'homme en lui opposant son discernement. Un tel s'agite et ne débouche que sur du vide. Tel autre se rend à peine compte qu'il a semé une graine qui deviendra un jour un arbre puissant et fort. Dieu rend cela manifeste par son jugement.

Maintenant soyons attentifs ! Ce jugement divin s’applique aux œuvres et non aux personnes. Ce sont mes oeuvres qui seront soumises à l'épreuve du feu. Ce sont les fruits que ma vie aura portés. Selon qu'ils seront trouvés comme de l’or, de l’argent, du diamant, du bois ou de la paille, ils subsisteront ou ne subsisteront pas. Tout mon labeur terrestre partira peut-être en fumée. Je serai peut-être frustré d'un mérite que je m'attribuais. Mais ma personne ne partira pas en fumée. « Lui toutefois sera sauvé mais ce sera comme à travers le feu. »
Paul trace ici une frontière entre les actes et la personne qui accomplit ces actes. Si les actes peuvent être désapprouvés et rejetés par Dieu, la personne qui est à l'origine de ces actes n'est pas désapprouvée ni effacée. Ma vie vaut quelque chose indépendamment de ce que j'en fais ou n'en fais pas. Il n'y a donc jamais, de la part de Dieu, de condamnation à la mort éternelle. Et cela, c'est la foi en Christ qui me l'apprend et qui l'atteste dans l'intimité de mon coeur.
Ces paroles sont adressées au cercle des chrétiens qui à Corinthe se signalaient par de notables divergences d’opinion et de comportement. Ce sont les fameux partis corinthiens qui s'entredéchiraient à qui mieux mieux. A tous ceux-là, le salut est prêché sans distinction. Le salut repose sur celles et ceux qui simplement se confient en Jésus-Christ, sans s'arrêter à tel courant particulier. Aucune Eglise ne sauve. L'appartenance confessionnelle ne garantit rien. Seule compte la foi.

Alors pour quiconque s'en remet à Jésus-Christ, le salut est une question résolue. La foi me fait découvrir que le salut n’est pas un but à atteindre au prix de je-ne-sais-quelle performance morale ou spirituelle, mais que c’est une condition de départ de mon existence. Etre chrétien commence avec la certitude initiale que je suis déjà sauvé, que c’est acquis une fois pour toutes et que le reste en découle.
Ce qui ne garantit évidemment pas que je ne vais jamais me tromper, ni commettre d’erreur ou de faute. Ma compréhension de la parole de Dieu n’est pas toujours sûre et infaillible. Mais même si je me trompe ou si je fais fausse route ou si je pêche gravement, je reste au bénéfice du salut de Dieu dont la promesse est sans retour.
A présent, au point ou j'en suis, surgit une interrogation que vous trouverez spéculative mais qui vaut le détour : Qu’en est-il de ceux qui sont loin du cercle des Eglises et des chrétiens ? Qu'advient-il de ceux qui se tiennent en dehors de la Sainte Ecriture, comme on disait jadis ? Car nous sommes d'accord : il y a bien une différence entre celui qui bâtit en Jésus Christ et celui qui bâtit sur un autre fondement. De quelle différence s’agit-il ?
Rappelons-nous que chez Paul, l’événement du Christ ressuscité, dont il a eu une révélation intime, revêt une portée universelle et même cosmique, qui excède infiniment le cercle chrétien. Paul a la conviction d’être entré depuis Pâques dans une nouvelle phase de la création, qu’il appelle la nouvelle création. Il voit le destin de l’humanité changé du tout au tout. Même la mort ne peut nous séparer de Dieu, souligne-t-il. Donc l’ensemble de la création et des créatures est atteint par l’onde de vie qui se dégage du tombeau vide. Personne ne peut se prétendre coupé de ces ondes de vie.

Or remarquez que cela ne dépend nullement de ma foi ou de mon absence de foi. Pas plus que de nuit, l’existence du soleil derrière le globe terrestre ne dépend de la conscience que j’en ai. Dieu n’est pas subjectif, il n’est pas un produit de mon cerveau, sinon ce serait une idole. Son salut n’est pas subjectif, sinon ce serait un fantasme. Le salut de Dieu est objectif et adressé à tous.
D’où je prends le risque de tirer la conclusion suivante : le salut est universel ou n’est pas. Dieu est pour tous ou il n’est pas. Pastichant une formule de J.-P Sartre, je dirais : je ne suis sauvé que dans la mesure où tous les autres le sont aussi. Je ne puis être sauvé si un seul ne l’est pas. Les autres ne peuvent en aucun cas être les repoussoirs de mon salut.
D'ailleurs n'est-ce pas ce même Paul qui dans les Romains a cette formule vertigineuse : « Dieu a enfermé tout le genre humain dans la désobéissance afin de faire miséricorde à tous? »
On ne souligne pas volontiers que l'apôtre ferme les portes de l’enfer, peut-être parce que ça nous dérange. C'est pourtant le cas. L’enfer de Dante ne l’intéresse absolument pas. Ce n'est pas pour lui un objet de foi ou de prédication. Il est possible que certains soient déçus d’apprendre que leurs ennemis ne seront pas éternellement tourmentés par des diablotins teigneux, mais c’est ainsi.

Cependant là encore, tout n’est pas égal, tout n’est pas indifférent. Ce n’est pas la même chose de bâtir sur Jésus Christ ou de bâtir sur un autre fondement. L’enjeu se situe au niveau de la conscience qu'on a de soi-même sous le regard de la mort. Comment vais-je à ce grand événement de l’éternité qui m'attend tôt ou tard ?
Je peux y aller sans espérance, dans la peur et la culpabilité pour l’au-delà. Ou je peux y aller dans la sérénité et la confiance qu'inspire la foi en Jésus-Christ. Cela ne change pas l'issue, le salut de Dieu m'attend. Mais ça change la conscience que j'en ai, donc ça change mon présent. C'est là que se tient la différence essentielle de la foi : savoir que mon salut est une question résolue ou ne pas le savoir, ce n'est pas pareil.
Dimanche dernier, le pasteur Philippe Chanson a pris l’image du moteur à espérance. Le moteur de la vie chrétienne marche à l'espérance. C’est exactement de cela qu’il s’agit. Ce n'est pas pareil de vivre ici et maintenant dans le désespoir ou dans l’espérance. Il y va de ce que les anciens appelaient en latin l’ars moriendi, l’art de bien mourir, donc l'art de bien vivre. La foi est la certitude mystique d’un amour inconditionnel qui me précède et ne me lâche jamais. Cela débouche sur une sagesse de vivre et de mourir.
Je reviens aux œuvres pour finir. Il serait faux de conclure que les oeuvres n'ont aucune importance. Paul affirme que le jugement par le feu de l'Esprit divin me débarrassera du poids négatif de mes actes. Un tri s'effectuera en moi-même, entre mon ombre et mes étincelles, entre mon ivraie et mon bon grain, entre les œuvres qui me ne me survivront pas et celles qui me survivront. Tout se passe comme si Dieu ne voulait pas laisser perdre le moindre bon grain de la moisson de ma vie.
Or que signifie justement cette vigilance de la part du moissonneur ? Elle signifie que chacun des bons grains de ma vie, aussi minuscule soit-il, est ma contribution à la grande oeuvre de la création divine qui n'est pas terminée. La création se poursuit à travers l'Histoire. L'humanité est dans le huitième jour, si vous voulez, ce huitième jour dans lequel elle est ouvrière avec Dieu.
L'aube de ce huitième jour est un jardin, le jardin d'Eden, figurant une nature vierge à laquelle nous tournons le dos. Le soir de ce huitième jour est une ville, symbolisée par la Jérusalem flamboyante de l'Apocalypse. La ville incarne la culture. L'aventure de l'Histoire va de la nature à la culture. Au départ il n'y a rien encore de l’œuvre de l'homme. A la fin il y aura tout l'or, l'argent et le diamant de l’œuvre des hommes. Rien de ce que l'homme aura créé et accompli de meilleur ne sera perdu. Les civilisations, les arts, les sciences, les spiritualités, les institutions, la grandeur morale, rien ne sera oublié. Tout est récapitulé par Dieu dans la ville sainte et ultime vers laquelle nous avançons tout en la construisant chaque jour.
Que sommes-nous ? Nous sommes les abeilles de l'Univers répond le poète R. M Rilke. Nous butinons éperdument le miel du visible pour l'accumuler dans la grande ruche d'or de l'invisible.

Amen !

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Avec la participation de
Orgue
François Delor
Musique