Les deux Réformes, Calvin et Rousseau.

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Écouter le culte :

Tout protestant est un pape, la Bible à la main ! Tout le monde connaît cette plaisanterie à propos d’une question très sérieuse, celle de l’autorité qui fonde notre foi.

Je commence par un bref rappel historique.
Les 95 thèses placardées par Luther sur le portail de l’Eglise de Wittenberg, à la veille de la Toussaint 1517, commencent par ces mots : Par amour pour la vérité…
Sur quoi Luther se base-t-il pour parler de vérité ? Il se base sur la Bible et la compréhension qu’il en a. Il sépare la Bible de l’interprétation officielle et obligée qu’en donnait l’Eglise. Il fait un pas de côté et quel pas: il s’écarte de la lecture autorisée! Eh bien toute la Réforme tient dans ce pas de côté. La Bible devient l’autorité dernière qui l’emporte sur le magistère ecclésiastique et les traditions humaines. L’Ecriture devient l’unique règle de foi, Sola scriptura.

Pour Jean-Jacques Rousseau c’est là le principe de base de la Réforme. Reconnaître la Bible pour seule règle de sa foi et n’admettre que soi-même pour en décider. C’est moi qui choisis en dernier ressort ce que je crois et ce que je ne crois pas. C’est ce qu’on appelle le libre examen, ou la faculté d’examiner sans contrainte le texte saint. On retrouve ici ce que Rousseau nous expliquait déjà dimanche dernier à propos des miracles. Il y a une alliance étroite entre ma foi et ma raison. Ma foi a besoin d’un outil critique et cet outil critique, c’est le libre examen. C’est donc ma raison qui décide de ma foi.

Du coup, chacun est juge compétent en matière de doctrine. Chacun est responsable de son interprétation. Chacun a le droit d’adhérer à certains passages, de douter d’autres ou encore de rejeter ceux auxquels il ne comprend rien. Il n’y a aucune croyance obligatoire. Chacun est libre de s’exprimer comme il l’entend à propos de Dieu.
Aussi une confession de foi précise, articulée et contraignante pour tous les membres d’une Eglise, blesserait la liberté évangélique et tournerait le dos au principe de la réformation.

Evidemment, on perçoit que cette liberté va engendrer une grande diversité dans la manière de croire. Chacun va jouer sa partition. D’où une obligation morale de tolérance réciproque. Rousseau conçoit la réformation comme essentiellement tolérante. Le seul dogme qu’elle ne tolère pas, c’est l’intolérance écrit-il.

La plus ancienne attestation du libre examen, nous la trouvons dans la 1ère Epître aux Thessaloniciens. Elle s’adresse à une communauté très illuminée, qui attend la fin des temps pour tout de suite. On devine en filigrane une atmosphère exaltée. Certains ont cessé de s’occuper de leurs affaires et de travailler. D’autres négligent leurs devoirs familiaux. L’apôtre Paul leur dit en substance : D’accord pour les effusions du Saint Esprit, les prophéties en langue c’est fort bien, mais un peu de raison ne nuit pas non plus. D’ici la fin du monde, examinez toute chose et retenez ce qui est bon. Votre foi ne saurait faire l’économie d’un bon sens qui paraît un peu absent parmi vous…

Puisque Rousseau prend pour modèle la Réforme genevoise, voyons maintenant ce qu’en pense son principal maître d’œuvre, Jean Calvin.

Sur le principe de la Sola scriptura, rien à redire. Elle est bien pour le réformateur seule guide et maîtresse de notre foi.
En revanche, pas question que chacun l’examine librement selon sa raison particulière ! C’est beaucoup trop risqué.
Calvin a contribué à soustraire la Bible au magistère de l’Eglise et aux traditions humaines. Que reproche-t-il à ce magistère et à ces traditions ? Il leur reproche d’être des constructions humaines qui déforment la vérité de Dieu. On ne peut pas se fier aux constructions humaines. L’homme est trop inconstant, hanté par d’inquiétantes faiblesses… Devant Dieu, il est un presque rien, une misère. Et sa raison ne pèse pas lourd face à l’infini.
Et si on s’en remet au libre examen, on n’aboutira qu’à une construction humaine de plus… Calvin ne croit pas à la raison, qui n’est pas juge de la foi. Il ne croit qu’à l’homme porté par Dieu en toute circonstance.

Aussi est-ce le Saint-Esprit qui remplace le libre examen. Parce que le Saint-Esprit c’est l’Esprit de Dieu, alors que le libre examen, c’est l’esprit de l’homme. C’est le Saint-Esprit qui enseigne, instruit et guide le croyant. Lorsque je lis l’Ecriture avec les yeux de ma foi, je suis intérieurement illuminé par le Saint-Esprit, c’est Dieu lui-même qui me conduit dans l’interprétation juste. La liturgie de nos cultes comporte d’ailleurs une prière spéciale au moment des lectures bibliques, qui demande la guidance de Dieu sur nos intelligences.

Ne lit-on pas dans l’Evangile de Jean cette promesse du Christ : L’Esprit vous conduira dans toute la vérité ? L’Esprit et non l’Eglise, c’est clair. Mais l’Esprit de Dieu et non l’esprit de l’homme, c’est tout aussi clair. Par la foi, une compréhension transcendante m’est inspirée, qui peut l’emporter sur un Concile tout entier. L’autorité dernière en matière de foi est d’ordre mystique, elle vient de Dieu.

Et si c’est l’Esprit de Dieu qui nous guide, le résultat espéré est une foi homogène, un ensemble d’éléments partagés par tous. Donc pas besoin de tolérance réciproque. En tout cas la tolérance ne fut ni l’objectif, ni la réalité de la Réforme. D’ailleurs, le sujet n’était à l’ordre du jour nulle part, sinon chez quelques personnalités marginales, en avance sur leur temps et persécutées à cause de cela.

Vous constatez que Rousseau arrange les choses à sa manière. Il repeint la Réforme aux couleurs des Lumières. Mais il y a pour nous quelques leçons à tirer de cette confrontation.

1) Je trouve que l’exigence nouvelle formulée par Rousseau d’une foi libre résonne très fort à nos oreilles aujourd’hui. Ne rejoint-elle pas nos préoccupations contemporaines ? Je vous renvoie à l’actualité toute récente. Ce 21ème siècle qui commence est marqué par un déclin sensible de la raison et par la montée des émotions collectives, du fondamentalisme et de l’agressivité identitaire.

Pour nous, chrétiens modernes, se tient là un véritable enjeu de civilisation. La liberté de croire, la liberté de pensée, la liberté de s’exprimer, ce sont des conquêtes que nous n’avons pas le droit de laisser s’effilocher.
Maintenons l’exigence apostolique d’examiner toute chose et de retenir ce qui est bon ! N’hésitons pas à croire par nous même, à l’abri des pressions extérieures ! Apprenons à nos jeunes à devenir de véritables adultes spirituels, armés pour affronter l’obscurité qui vient !

2) Ensuite, nous sommes mis en garde contre un excès d’individualisme. Jean-Jacques est un rêveur, si j’ose dire.
Comment voulez-vous créer un corps d’Eglise un peu cohérent avec des électrons libres qui partent dans tous les sens ? Qui sont subjectifs au point ou plus rien ne les tient ensemble? Où chacun joue sa propre partition ?

On ne peut pas être chrétien tout seul dans son coin. On est chrétien en relation avec les autres – la Bible répète sur tous les tons que nous sommes des êtres de relation. Nous avons une dimension collective, un réseau qui s’appelle l’Eglise.
D’ailleurs, quelle joie pour Rousseau, qui n’est pas exempt de contradictions, d’être admis à la communion lors de son séjour à Môtier-Travers !
Il sent bien au fond de lui que croire ensemble, c’est aussi chercher, réfléchir ensemble, confronter ses idées à celles des autres afin d’avancer. Nous avons besoin d’être relié entre nous.

Sur la fin de sa vie, Calvin avoue à l’un de ses amis qu’à son grand regret, le Saint Esprit ne résout pas tout, n’éclaire pas tout. De graves divergences subsistent. Il ne faut pas s’attendre de voir en cette vie présente un accord parfait entre nous ! Dieu se révèle mais Dieu se cache aussi, et notre nature humaine ne voit pas plus loin que le bout de son nez.

D’où, là encore, l’importance du corps de l’Eglise, qui est un organe d’intelligence collective dont on ne saurait se priver. Croire ensemble, c’est chercher, réfléchir, et tâtonner ensemble. Nous avons besoin les uns des autres pour nous instruire, nous construire, nous édifier et nous consoler mutuellement.

3) Enfin, n’oublions pas la dimension mystique de la foi, un peu négligée par Jean-Jacques. Examinez toute chose, retenez ce qui est bon, mais, prévient l’apôtre, n’éteignez pas pour autant l’Esprit! La raison ne suffit pas.
Ta raison et ta conscience ne sont pas tout de toi. Au delà, il est une ouverture ou ta vie est connectée à plus que ta vie, où tu es relié à un mystère qui te dépasse et que faute de mieux, on appelle Dieu. Et c’est là que se tient le guide intérieur. C’est là qu’il te parle. Sache l’écouter aussi.

Amen.

Détails

Avec la participation de
Alice de Dardel
Orgue
François Delor
Musique
Choeur de la cathédrale St-Pierre sous la direction de Florence Kraft Babel