Écouter le culte :
En Samarie, terre classique d’hérésie dans la Bible, vivait une population cosmopolite en partie païenne. Philippe, parti l’évangéliser, rencontre un personnage haut en couleurs, Simon le Mage. On ignore le niveau de fiabilité historique de l’épisode. Mais on peut affirmer au moins que c’est l’écho des premiers contacts de la jeune foi chrétienne avec des formes de religion populaire très différentes du judaïsme de l’époque.
Simon le Mage est resté dans les annales pour avoir donné son nom à la simonie, une pratique vénale consistant à monnayer les gestes ecclésiastiques, imposition des mains, baptême, etc. Qui pouvait être en réalité ce Simon ? A l’époque, des mystiques divers et variés parcourent l’Orient en promettant les performances surnaturelles les plus étonnantes. Experts en prodiges, ils s’affrontent sur les places publiques, dans de grands tournois où triomphent les faiseurs d’illusions.
Simon le Mage se présentait comme un prêtre venu de la lointaine Perse et se faisait appeler « La puissance de Dieu, la grande ». Moitié prédicateur de rue, moitié prestidigitateur, il pourrait avoir bénéficié de l’art très développé des célèbres illusionnistes d’Alexandrie. Naturellement, les juifs de Jérusalem, qui défendaient la droite ligne de la Torah, haïssaient les personnages comme Simon et ne perdaient aucune occasion de les attaquer. Les Romains en revanche les toléraient.
Le récit souligne que bien des gens de Samarie s’étaient attachés à Simon. On l’aimait bien. Qu’attendaient exactement les villageois qui se pressaient devant son estrade ? Qu’espéraient-ils de lui ? La même chose sans doute que ceux qui aujourd’hui encore consultent des astrologues, voyants et autres mages. Ils attendaient la promesse d’une amélioration de la vie quotidienne, un peu plus d’argent, une santé meilleure, l’amour, l’harmonie domestique, la consolation, une récolte plus abondante et des averses mieux réparties sur la terre des collines. Un peu de rêve aussi, pourquoi pas, chacun a droit sa part de rêve ! Simon intercédait pour les soumis de ce monde auprès des puissances énigmatiques qui pèsent sur les destinées. Il oeuvrait au réconfort moral d’une population dont l’existence était difficile, avec un certain succès.
Evidemment, pour être crédible, il devait épater les foules. Il recourait pour cela aux prodiges et à la surenchère prophétique. Simon apparaît donc comme quelqu’un qui répond aux besoins religieux des gens et qui en fait un métier. C’est en effet un besoin très répandu que celui d’être guidé, de pouvoir s’appuyer sur des certitudes, de s’en remettre à une autorité morale et spirituelle extérieure. Il y a là un marché inépuisable. Ce qui ne veut pas dire que Simon fut un escroc. Il devait y avoir chez lui une forme de sincérité. Il devait croire aux forces invisibles. Il devait croire à l’inspiration.
C’est certainement avec sincérité qu’il se convertit à la prédication de Philippe, c’est avec sincérité qu’il demande à recevoir le baptême et qu’il se montre un néophyte motivé. Il devint croyant lui aussi et après s’être fait baptiser, il ne quittait plus Philippe. Mais il se convertit pour de mauvaises raisons. Dans ces mauvaises raisons réside l’enseignement principal de ce passage des Actes. Ces mauvaises raisons apparaissent lorsque Simon offre de l’argent en échange du secret qu’il attribue aux apôtres. Il dévoile une facette de sa personnalité qui n’a pas disparu avec sa conversion, celle d’un magicien qui croit qu’il y a un secret et qu’il faut payer pour y être initié. Il se comporte comme s’il faisait un stage de perfectionnement auprès de Philippe.
Il semble que l’auteur des Actes veuille ici dissiper un triple malentendu au sujet de l’Eglise, de la foi et de l’Esprit. Ces malentendus se dégagent de l’attitude même de Simon le Mage.
Malentendu à propos de l’Eglise d’abord. L’Eglise est-elle une société initiatique? Se construit-elle sur la séparation entre les détenteurs d’un secret (une caste à laquelle Simon a l’ambition d’appartenir) et les simples croyants de base?
Au commencement les choses n’ont pas dû être si claires que ça. Le prestige des apôtres historiques, qui avaient côtoyé Jésus de son vivant, était immense dans le réseau des communautés primitives. Ils pouvaient à bon droit se présenter comme détenant leur autorité du Maître lui-même. Souvenez-vous des difficultés de Paul à se faire reconnaître par ce petit club très fermé ! Car Paul n’a jamais fréquenté le Jésus de l’histoire, il surgit de nulle part en quelque sorte.
De là à penser que les apôtres possédaient des connaissances qu'ils gardaient pour eux-mêmes, il n'y a qu'un pas. Un vrai secret est une connaissance que l'on cache aux autres. Ce qui confère un pouvoir latent. Celui qui détient le secret devient un intermédiaire obligé par qui il faut passer, par exemple pour accéder à Dieu. Les chrétiens ont mis du temps à sortir de cette mentalité.
Aujourd’hui encore, combien pensent qu’on ne leur a pas tout dit ? Que ce que Jésus confiait en privé à une poignée de disciples n’a pas été divulgué volontairement ? Qu’il existe un enseignement secret, un Christ ésotérique, réservé à quelques élus triés sur le volet ? Vous connaissez le succès de ce thème, les rayons des librairies en sont pleins.
Quant aux querelles à propos de la succession apostolique, elles ne sont toujours pas résolues à l’heure ou nous parlons !
Deuxième malentendu à propos de la foi. La foi me confère-t-elle le pouvoir de sauver les autres, de sauver leur âme? J’ai dit que Simon oeuvrait au réconfort moral des habitants de la contrée. Il veut se perfectionner pour œuvrer de façon plus efficace. N’est-ce pas une attitude honorable, altruiste finalement ? Demandons-nous ce qui se cache derrière cette envie généreuse de sauver les autres. Peut-être le désir moins admirable de se faire un nom, de prendre de l’ascendant sur autrui, d'être aimé ou admiré en retour. Peut-être ce que les psychologues nomment le fantasme de la toute-puissance, qui consiste à penser que la foi rend plus qu'humain, qu'elle nous dote de pouvoirs spéciaux, qu'elle permet de s’élever au dessus de l'incarnation commune.
Très franchement, s’il était avéré que la foi faisait de nous des sauveurs, cela se saurait et les Eglises devraient refuser du monde ! En fait, c’est le contraire. Impossible de prendre au pied de la lettre des affirmations de Jésus telles que la foi déplace les montagnes, guérit les malades, chasse les démons ou ressuscite les morts... Il faut réinterpréter ces paroles à la lumière de l’expérience concrète.
Ma foi est faite autant de vide que de plein, de doute que de certitude, d'absence que de présence, de fragilité que de force. Le vide, le doute et la fragilité se manifestent lorsque, face à l’enfant mourant, nous réalisons que nous ne pouvons pas faire de miracle. Aux drames de ce monde, nous n’avons la plupart du temps que notre espérance à opposer, la certitude et la force de l’espérance.
Suivre Jésus sérieusement, c’est se préparer à faire à un moment ou à un autre l’expérience de l’échec, comme lui-même a dû le faire sur sa croix. Le deuil de la toute-puissance accompagne une vie de foi, c’est ce qu’on appelle l’humilité.
Malentendu enfin à propos du Saint Esprit. Pourquoi, même s’ils l’avaient voulu, les apôtres ne peuvent pas répondre à l’offre de Simon ? Parce que le Saint Esprit ne leur appartient pas. L’Esprit n’est pas leur propriété privée. Il n’est pas à vendre. Nous ne possédons pas Dieu, il ne peut faire l’objet d’un commerce. Par définition la Transcendance échappe à l’homme, sinon elle ne serait plus la
Transcendance. Ni le prophète, ni l’inspiré, ni le saint n’en détiennent la moindre parcelle. Tout au plus sont-ils gratifiés, de façon très fugace, d’une visitation inexplicable. Dieu est un visiteur, qui va et vient, qu’on ne retient jamais. S’il y a un secret, c’est bien celui-là. Ce n’est pas notre secret ou le secret de quelques-uns, c’est Son secret et personne n’y a accès.
Ma foi ne me rend propriétaire de rien ni de l’Esprit, ni de la vérité, ni de Dieu, ni de la prière, ni de la Bible. La grâce est ce qui est gratuitement donné dans le désert de notre pauvreté essentielle, comme la manne au désert du Sinaï. Lorsque nous prions, nous n’avons que nos mains vides. L’Eglise est le simple témoin collectif de la manne donnée au monde – et c’est déjà beaucoup.
Mon récit se clôt sur la déception de Simon qui, après s’être fait copieusement tancer par les apôtres, quitte la scène sur une ultime précaution: Priez vous-mêmes le Seigneur pour moi, afin qu’il ne m’arrive rien de ce que vous dites...
L’histoire ne dit pas si après ces évènements le Mage retourna à ses activités indépendantes ou s’il s’amenda. Une chose est sûre, il ne pouvait parvenir à une foi cohérente qu’après avoir assumé sa déception. Il devait comprendre que la foi n’est pas obligatoirement une réponse à nos attentes spontanées. Il est des attentes auxquelles la Parole ne répond pas directement. En revanche, la Parole offre ce à quoi nous ne nous attendons pas, le salut et la paix de Dieu.
Amen.