Ah, chers amis, quel privilège !
Durant ces dernières semaines, le mardi soir, soir de répétition pour notre groupe vocal paroissial, je travaillais dans mon bureau avec, dans la pièce adjacente, les choristes qui reprenaient, sous la direction soigneuse de notre ami René Rihs, les cantiques qu'ils interprètent aujourd'hui. Il y avait donc, tout près de moi, tout ce que vous trouvez dans un bureau : l'ordre et le désordre, la page blanche et les notes prises, le téléphone et les urgences. Et puis, un peu plus loin, mais me parvenant bien clairement, par exemple, la belle confession de foi de Bernard Schule que nous venons d'apprécier. Mon bureau me rappelait les réalités quotidiennes, et le chœur me rappelait ce qui est éternel et essentiel.
Eh bien, ce cadre de travail était parfait pour méditer le passage offert à notre attention ce matin. Pourquoi ? Parcourez les chapitres 2 à 5 du livre des Actes, vous y trouverez toute la réalité réjouissante et moins réjouissante du quotidien de la première Église : discours et guérisons, mais aussi soupçons, jugements, mises en prison, interdictions, tensions internes, inquiétudes, disciplines… Et puis, à trois ou même quatre reprises, des portions de textes que certaines de nos éditions ont nommées froidement " sommaires " qui sont en fait des moments où l'auteur des Actes, Luc, chante l'essentiel, et fait apparaître ce qui, dans cette aventure diversifiée, est une constante: la fidélité de Dieu à son œuvre et la poursuite, par l'Église, du ministère de Jésus-Christ.
C'est vrai que ces " sommaires " donnent de la première communauté chrétienne une image idyllique, mais ce n'est probablement pas tellement le but de l'auteur. Simplement, avec le recul des années, il peut mettre en évidence ce qui finalement est mémorable et doit rester certitude, et même espérance, modèle pour les années à venir.
Une des aînées qui participent à notre groupe paroissial de préparation de prédication disait : " Parfois, on ne voit pas ce que Dieu fait ; il faut du temps pour réaliser. " Luc a eu et pris du temps - il écrit une cinquantaine d'années après les faits qu'il évoque - et il redit ici les grandes convictions constituant la mélodie fondamentale qui porte son œuvre. Il entonne ainsi à plusieurs reprises dans ces chapitres son refrain qui est aussi le refrain destiné à porter la vie, la vie d'Église et la vie personnelle de ses lecteurs.
Dites, chers amis, quel est le refrain qui accompagne nos vies à nous ? Vous le savez, il y en a dont on dit : " chaque fois que je le rencontre, c'est le même refrain " et en général, il ne s'agit pas de refrain bien mélodieux. Mais nous, quelle certitude nous porte, à travers les jours si divers de la vie ? Quel message fondamental aimerions-nous que notre vie exprime, sur les tons divers de nos saisons ? Quelle conviction essentielle aimerions-nous transmettre ?
Luc vient nous aider à nous forger quelques pensées fortes qui nous évitent de nous laisser dévorer par les événements immédiats. Il vient contribuer à ancrer nos vies dans des convictions claires qui nous préservent de l'opportunisme flottant résultant de, comme dit G. Haldas " l'anesthésie de l'essentiel par le primat du quotidien ".
Alors, écoutons Luc, relisons-le : " Beaucoup de signes et de prodiges s'accomplissaient dans le peuple par la main des apôtres. " " Ils se tenaient tous unanimes sous le portique de Salomon. " " Des multitudes se ralliaient à la communauté chrétienne par la foi au Seigneur. " Nous avons là pour l'auteur trois signes réjouissants de la fidélité de Dieu à son œuvre. Les prodiges sont signe que Dieu a exaucé les prières de la communauté dont fait état le chapitre précédent. L'unanimité retrouvée est une grâce offerte après l'émotion suscitée par la trahison d'Ananias et Saphira qui vient d'être racontée. Et le ralliement des multitudes est fruit du travail de l'Esprit. Luc souhaite nous entraîner dans une première certitude : Dieu n'a pas abandonné et n'abandonnera pas son œuvre.
Vous avez peut-être lu comme moi les propos d'un religieux français établi depuis de nombreuses années en Algérie et interrogé sur la cohabitation entre diverses cultures et civilisations. Il disait: "Il ne faut pas attendre des fruits, mais viser à quelque chose d'éternel. Je suis sûr que Dieu veut rassembler tous les hommes, mais nous, on ne le verra pas. Il faut être là, au milieu d'eux, et faire notre petite part:"
Chers amis, nous-mêmes, lorsque nous faisons nos multiples petites parts, dans le cadre de nos vies quotidiennes, familiales, professionnelles et sociales, est-ce que nous sommes fondamentalement habités par la confiance : cette confiance qui suscite l'humilité sereine et courageuse de notre religieux d'Algérie, habité comme Luc par une très haute idée de l'œuvre à laquelle il est associé, œuvre dont la qualité et la solidité ne se mesurent pas aux succès visibles ou aux difficultés de l'instant présent, mais au fait que son sens et son avenir reposent en Dieu.
Luc vient donc d'abord inscrire dans les refrains qui portent nos vies sa paisible et heureuse confiance. Mais ce n'est pas tout. Revenons à notre texte : " Ils se tenaient dans le temple, sous le portique de Salomon. La multitude accourait des localités voisines. " Vous vous souvenez, c'est le Christ lui-même qui déjà prêchait - nous disent les évangiles - sous le portique de Salomon. Et c'est vers lui déjà que les foules arrivaient des localités voisines. La première communauté chrétienne prolonge le ministère du Christ. Le sens proposé ici à nos diverses occupations, le but offert à nos heures claires et moins claires, le sens de l'existence de nos paroisses et communautés, c'est d'une façon ou d'une autre, de prolonger quelque chose du ministère de Jésus-Christ.
Luc vient faire de cette claire vocation un des éléments du refrain qui accompagne les choix de nos vies. Et Luc précise encore : la poursuite du ministère de Jésus-Christ s'exerce en particulier dans un domaine bien défini : " On sortait les malades dans les rues au passage de Pierre. " ; " On portait à Jérusalem les malades et les gens tourmentés par des esprits impurs. " " Vous imaginez le tableau... " La communauté chrétienne, lieu vers lequel convergent les blessés de la vie, les rejetés, les marginalisés.
Au cœur de ce monde qui valorise tellement la santé, la jeunesse, la beauté, les apparences, le corps que l'on forge, le corps que l'on exalte, que l'on bricole, que l'on perfectionne et par lequel on se signale, au cœur de ce monde, la communauté chrétienne lieu de refuge où chacun tel qu'il est, avec son corps et sa vie à lui, reçoit sa place, est reconnu, pris en considération et peut entrer dans l'aventure de l'accueil réciproque, de l'amitié partagée, du soutien offert.
En nous restituant cette image de la première communauté chrétienne, Luc enrichit notre mémoire d'une vision susceptible de diriger aujourd'hui notre attention vers ceux que le Christ nous confie particulièrement, vers ceux que Dieu confie à nos dons, qui ne sont peut-être plus dons de guérison autant qu'autrefois, mais qui peuvent être ces dons si précieux de l'écoute, de la fidélité, de l'amitié porteuse, du temps offert, du regard qui va au-delà des apparences. Luc vient faire de cette priorité le refrain intérieur qui dirige nos pas vers les femmes et les hommes d'aujourd'hui, et qui encourage nos gestes d'accueil.
Arrêtons-nous ici avant de reprendre nos divers chemins. Nous allons bientôt retrouver nos divers lieux de vie, de travail, de loisir, nos pages blanches et nos heures à remplir, nos urgences ou nos temps d'attente patiente, nos appels téléphoniques ou nos silences. Luc est venu nous entraîner dans une démarche de confiance, de fidélité à Jésus-Christ, et d'attention aux éprouvés.
Pour moi je n'aurai plus le groupe vocal paroissial pour me le rappeler à sa façon, chaque mardi soir, dommage… Alors que le chant de la Parole de Dieu et de l'Esprit en nous continue de nous garder tous sur cet itinéraire inspiré autrefois et ouvert encore à nos communautés et à chacun de nous !
Amen !