Aujourd'hui, nous abordons la 2e de ces cinq paraboles, dans cette série de cultes de Carême diffusés depuis St-Pierre. Nous sommes dans une parabole assez difficile, une parabole du Nouveau Testament, une parabole qui a l'air d'aller à l'encontre du bon sens. On se demande ce que Jésus voulait dire et pourquoi il a raconté cela. Le maître de maison sortit le matin et il loue des ouvriers.
Vous voyez le tableau : il y a un groupe d'ouvriers devant sa porte en recherche de travail. La procédure se passe souvent ainsi, surtout dans le tiers monde : on va prendre celui-ci, celui-là, et encore celui-là. Les autres, ils ne sont pas embauchés, ils n'auront pas de salaire, rien. Pas de travail, pas d'argent, ces gens avec leur femme, leurs enfants, leur famille, leurs parents âgés. La procédure peut nous sembler curieuse, car le maître sort de nouveau la 3e heure, la 6e heure. A chaque fois, il voit que le travail n'avance pas assez et il embauche encore du monde et puis à la 11e heure, il trouve encore des ouvriers inoccupés sur la place et il leur demande : " Pourquoi vous tenez-vous ici toute la journée sans rien faire ? " La réponse, il devait la connaître : c'est qu'il n'avait pas eu besoin d'eux et ils n'avaient pas d'autre travail.
Et que répondent-ils ? " C'est que personne ne nous a loués. " Lui, il les loue, il les envoie dans la vigne, ils travaillent pendant une heure avec beaucoup d'espoir et reçoivent une pièce d'argent pour leur heure de travail. Ils sont payés avant les autres, et puis les autres, ils sont payés la même chose. Et ils râlent. C'est normal, eux ils ont travaillé 12 heures, j'imagine sous le soleil, dans la poussière et ils reçoivent la même paie que ceux qui ont travaillé une heure ! Est-ce vraiment le genre de comportement qu'on attend de Dieu ? Parce que si la vigne est, quelque part, l'Eglise, si le maître de la vigne est, quelque part, Dieu, n'est-ce pas troublant que Dieu nous traite d'une manière capricieuse ? Mais ce que vous cherchez dans cette parabole, ce n'est certainement pas un élément de justice économique. Dans le monde, croyez-moi, avec ses entreprises autour de nous, André, Swissair ou Expo.02, ou certaines banques cantonales, il y a des entreprises autour de nous qui ont besoin d'avoir en leur sein des gens qui ont bien compris l'Evangile.
Mais ici, vous n'êtes pas dans le monde de l'économie, ici vous êtes dans une parabole du royaume, le royaume de Dieu est semblable au comportement de ce maître dans sa vigne. Où en sommes-nous ici ? On est dans une justice de Dieu qui inspire la justice des hommes et nos idées de justice sont dépassées par les idées de Dieu et la pratique de Dieu, parce que la pratique de Dieu a d'autres bases et d'autres besoins. Elle n'est pas seulement temporaire ou matérielle.
Une interprétation de cette parabole peut être de gauche : la personne qui a travaillé 12 heures doit recevoir 12 fois le salaire de celui qui a travaillé une heure. On peut aussi avoir une interprétation néo-libérale : le maître doit absolument finir le travail et il est libre de payer ce qu'il veut. Mais cela ne suffit pas : c'est une parabole du royaume. Qu'est-ce que cela nous enseigne au sujet de nos relations avec Dieu ? La parabole ne traite pas seulement du royaume, mais également des grandes idées proches de la tradition protestante genevoise. En effet, selon la tradition de Théodore de Bèze, Dieu s'autoglorifie selon 2 principes : la justice d'une part et la miséricorde de l'autre. La justice, parce que Dieu est juste avec nous, même si on n’a pas toujours cette impression, et Dieu est miséricordieux avec nous, parce qu'il ne nous doit absolument rien, mais il donne quand même. L'autoglorification de Dieu se manifeste à travers la justice et la miséricorde, comme le maître de la vigne qui, je vous le rappelle, rétribue tout le monde, et qui voit tous ces gens qui traînent sur la place publique dans la déprime, dans la poussière et le désespoir, se demandant ce qu'ils pourront bien raconter à leur famille le soir quand ils rentrent sans argent.
Alors, à travers cette parabole du royaume, à travers ces idées de justice et de miséricorde, je vois 2 avertissements et un encouragement. C'est l'avertissement de ne pas donner des leçons aux autres : car les ouvriers qui ont travaillé 12 heures dans la vigne - et je les comprends très bien - qu'est-ce qu'ils font ? Ils râlent. Ils ne se contentent pas de râler, ils critiquent et assez ouvertement. On peut imaginer les gestes et les termes assez crus qui ponctuent leurs propos. Il y a plus que les critiques, car si on lit attentivement le texte, à la fin on voit qu'ils essaient de regarder le maître de la vigne avec le mauvais œil. Remettons-nous dans le contexte : vous êtes dans la Méditerranée, vous avez affaire avec des gens superstitieux, le maître ne les a pas bien traités et ils essaient d'utiliser les sortilèges pour le punir, la sorcellerie, le mauvais œil, les malédictions. Ils sont furieux. Et le maître, il comprend très bien. On voit souvent le mauvais œil un peu partout dans le Nouveau Testament, dans Galates 2 par exemple.
Ces ouvriers, ils tirent la langue, mais ils ont oublié qu'ils avaient un contrat avec ce maître : ils ont été appelés, ils ont travaillé et ils ont été payés. Il n'a jamais été question de ne pas les payer, tous ceux qui ont travaillé ont été rétribués, et ce de la même façon. Ici intervient l'avertissement de ne pas donner de leçons aux autres, à ceux qui viennent après les autres. C'est facile d'agir ainsi dans l'église, cela a été le cas depuis toujours. Je vous rappelle que même l'apôtre Paul, après sa conversion, a eu de la peine à se faire accepter par les autres chrétiens, par la famille et les amis d'Etienne. Imaginez un peu : Paul, si vous voulez, est un ouvrier de la 11e heure. Il n'était pas là pour écouter les paraboles de Jésus et s'il avait été là, il faisait partie de ceux qui complotaient contre Jésus et qui avaient rêvé de le crucifier. Paul est un ouvrier de la 11e heure et Pierre, qui avait décidé de renier Jésus, c'est aussi quelqu'un qui vient avec honte et crainte après les autres et qui a dû être mal vu par eux.
Le même scénario se retrouve dans l'Eglise depuis toujours. On arrive à réunir des gens ; ceux-ci ont quelquefois des passés très colorés, mais ils sont là. Et c'est facile de dire de quelqu'un : " cette personne, je me rappelle d'elle quand elle était jeune !... ", mais enfin, on change ! Et les ouvriers de la 11e heure sont payés comme les autres. Dieu nous appelle chacune et chacun et on est tous " payés " par son amour, par sa charité, par sa justice et par sa miséricorde. Et ce n'est pas à nous de regarder les autres et de dire : " Mais qu'est-ce qu'il fait dans l'Eglise ? " Ne jugez pas les autres, ne donnez pas de leçons aux autres. Dieu connaît son affaire.
Le deuxième avertissement que je vois dans cette parabole : c'est un avertissement contre la culpabilité. Je suis très impressionné par ces ouvriers qui traînaient sur la place vers le soir, dans la déprime. Ils n'ont rien fait de la journée, sûrement ils auraient pu faire quelque chose, même chez eux dans leur propre potager. Non, ils restent là, à se vautrer dans la poussière à se lamenter : " Personne ne nous aime ! Personne n'a besoin de nous !" Je suis sûr que vous voyez exactement la personne, la victime aimée par personne, la personne qui se trouve laide, la personne qui ne se trouve pas très intelligente, les victimes qui sont toujours prêtes à vous dire que tout est la faute des autres.
Voyez-vous, c'est ce genre de personnes que le maître trouve, et dans notre monde matériel on admire le succès, on admire la personne qui est intelligente, on admire la personne qui est riche, on admire le jeune qui réussit brillamment ses examens. Et on a beaucoup de mépris pour les malades, les personnes âgées, les estropiés et ceux qui ne sont pas attirants. On démonise facilement les pauvres, on imagine facilement que la pauvreté, c'est de leur faute, on imagine facilement que si quelqu'un a le sida, c'est de sa faute. On ne regarde jamais ce que nous on aurait fait à la place de ces personnes. On ne se rend pas toujours compte que nos vies sont réglées par une série de bénédictions et de chances : d'avoir eu des parents comme les nôtres, d'être nés dans un certain pays plutôt qu'un autre. Et les gens se culpabilisent parce qu'ils sentent qu'ils ne sont pas aimés. La norme de la réussite étant qu'il faut être grand, beau, mince, jeune, riche et intelligent, si on ne répond pas à ces critères on se culpabilise. On déprime, on est triste, personne ne nous aime. Mais Jésus appelle tout le monde.
Ici nous avons une parabole du royaume ; le maître appelle les ouvriers, il ne laisse personne de côté. Et ainsi, les gens qui cherchent un sens à leur vie n'ont pas besoin de le chercher dans les choses extérieures, dans l'argent, dans le " h " régularisé ou pas, on n'a pas le droit de le chercher ailleurs que dans la présence de Dieu dans nos vies. Quelque part, tout le monde est victime ou est maltraité. Et les derniers seront les premiers, et les premiers seront les derniers : voilà le message de l'Evangile, voilà la parabole du royaume. Ne donnez pas de leçons aux autres, ne culpabilisez pas, ne déprimez pas : Dieu vous aime !
Et c'est un encouragement pour nous de ne pas avoir peur de Dieu. Il nous arrive parfois de nous méfier de Dieu parce qu'il nous offre son amour pour rien. Et nous n'avons pas l'habitude, dans ce monde réglé matériellement, d'accepter quelque chose sans rien donner en retour. Il n'y a pas de déjeuner gratuit en général. Dieu, que nous offre-t-il quoi, en contrepartie de quoi. On a l'impression qu'il faut toujours négocier avec Dieu. Dieu nous offre son salut, mais nous, on peut travailler 12 heures dans la vigne quand même. On peut essayer de faire bonne impression, on peut essayer d'être les petits chouchous de Dieu, en faisant exactement ce qu'il veut. Mais le message de cette parabole, c'est que Dieu aime tout le monde. Ce qui est important pour ces ouvriers dans la vigne, pour vous et moi, ce n'est pas ce qu'ils ont accompli, mais c'est l’intention, le désir de servir le maître. Et c'est pour cette raison-là que dans l'Eglise, il n'y a pas de plus grand désir que de servir le maître, d'accepter l'amour de Dieu. Et le message de cette parabole est le même que celui de la multiplication des pains, c'est-à-dire qu'il y a assez d'amour pour chacune et chacune. Le royaume c'est quand vous avez senti l'amour et l'appel de Dieu. Essayez, lancez-vous, et Dieu s'occupera de vous, la responsabilité individuelle, l'amour de Dieu et la parole de Michée, " On t'a fait connaître, ce qui est bien et ce que l'Eternel demande de toi, c'est que tu pratiques la justice, que tu aimes la miséricorde et que tu marches humblement avec ton Dieu. "
Amen !