Chers auditeurs, chères auditrices, frères et soeurs en Christ,
Michelangelo, oui Michelangelo Buonarroti, ou Michel Ange si vous le voulez, le fameux sculpteur, peintre et architecte de la Renaissance italienne, était en contemplation devant un bloc de marbre.
Pendant des heures, le regard fixé sur un bloc de marbre.
- Mais qu'est-ce que tu fais, Michelangelo ?
- Il y a dans ce bloc de marbre, un ange, et je vais le libérer !
Dans un bloc de marbre l'image d'un ange, auquel le sculpteur va donner forme et vie.
Bien des centaines et des centaines d'années plus tôt, des hommes, des femmes, dans le Matabeleland de l'actuel Zimbabwe, et d'autres dans la Dordogne de la France d'aujourd'hui représentaient des images sur les parois des grottes qu'ils fréquentaient. Des images représentant la vitalité, la force des animaux qu'ils côtoyaient et chassaient, évoquant la communion des humains avec la nature. Des images ici et là, dispersées sur la surface du rocher, sans cadre, sans limites.
Voici 2000 ans, du temps de Jésus, dans la région de Peshawar au nord de l'actuel Pakistan est modelé le premier Bouddha. Jusque-là, donc pendant pas moins de 5 siècles, les artistes indiens n'avaient jamais osé figurer l'image du Bouddha. Ce sont des Grecs, convertis au bouddhisme qui éprouvent le besoin de représenter réellement le Bouddha.
Terrible nécessité de créer toujours des images, depuis toujours, toujours plus, toujours mieux, toujours plus chers.
Songez à la vente du dernier Picasso. L'image pénètre partout, on la cerne, on la domestique, on l'encadre. Partout, dans les coins les plus reculés de notre planète, la télévision. Du grand écran, on a passé au petit écran, et l'image de nos correspondants et de nos interlocutrices sur les minis-écrans de nos téléphones portables, ce n'est pas pour demain, c'est pour aujourd'hui. Les humains sont fous d'images.
"N'allez pas vous corrompre en vous fabriquant une idole, une forme quelconque de divinité, l'image d'un homme ou d'une femme, l'image de n'importe quelle bête de la terre, ou de n'importe quel oiseau qui vole dans le ciel, l'image de n'importe quelle bestiole qui rampe sur le sol, ou de n'importe quel poisson qui vit dans les eaux sous la terre." dit aussi Dieu. (Deutéronome 4 :16-18)
Quoi ! Refus de l'image, destruction de l'image, Dieu ne veut pas d'images. Comment vais-je dire cela à Kodak, Canon, Nikon, Agfa, et Fuji Color ?
Comment vais-je annoncer la bonne nouvelle aux chaînes de télévision, aux musées d'art, aux agences de publicité et puis aux artistes, dessinateurs et producteurs, et par-dessus tout aux consommateurs ? Pas d'images ? Dieu est iconoclaste, un tueur d'images ? C'est de la folie ? Dieu est un peu fou !
Et puis c'est bien Dieu qui l'a voulu ainsi. N'a-t-il pas créé les humains à son image ? Les êtres humains qu'il a créés ne vivent-ils pas que pour autant qu'ils puissent se faire une image d'eux-mêmes et des autres ? Avec mes yeux je vois des images toute la journée et même dans mes rêves les images défilent. Je vis en projetant des images, constamment. Interdire les images ? Impensable. Inhumain.
Je suis une créature de Dieu, à l'image de Dieu, donc à l'image de Dieu je suis un créateur, et aussi un créateur d'images. Alors des images pourquoi pas ? Mais qu'a-t-il donc en tête Dieu en bannissant les images qui corrompent ? De quel genre de corruption s'agit-il ? Quelques chiffres nous mettent sur la piste : 9 x 13, 10 x 15, 13 x 18, de quel format voulez-vous vos photos ? Préférez-vous un poster qui fait 50 x 70 ? Quelle est la dimension de votre ordinateur ? Et l'affiche au coin de la rue combien mesure-t-elle ?
Les images sont cadrées, leurs dimensions calculées, standardisées, codifiées, mesurées. Les images sont ajustées, travaillées, retouchées, transformées, améliorées, truquées, corrigées, gommées, modifiées. Façonné, l'ange taillé par Michelangelo, soi-disant libéré, reste en fait emprisonné dans son marbre, pour toujours.
Incrustés dans la pierre les dessins du Matabeleland ou de Lascaux sont condamnés à n'être vus que par un nombre infime de personnes. Les statues de Bouddha ne figurent qu'un humain de plus, un illuminé parmi les autres humains. Manipulées les images déforment la réalité. Truquées les photos des top modèles ne représentent plus l'identité de leurs modèles. Redimensionnés, les sujets manquent de liberté. Maîtrisées, les images perdent leur vérité. Et pourtant elles fascinent ! On adore les images.
Mais à quoi bon cette fascination ? A quoi bon cette adoration ? Les images ne saisissent que l'apparence, elles ne sont pas la réalité. Les images ne rendent que des formes, elles ne dévoilent pas l'identité intérieure. Les images sont des fixations, la liberté ne souffre aucune limitation. Les images ne sont que des images, ne les confondez pas avec la vérité.
Alors pas d'images ! Dans sa relation avec les humains, même les humains à son image, Dieu ne veut pas d'images. Dieu est iconoclaste, un tueur d'images. Pourquoi ? Parce que chaque humain devient l'image du Dieu qu'il adore.
Celui dont le culte est voué à quelque chose de mort devient quelque chose de mort. Celle qui idolâtre quelque chose de corrompu, pourrit. Celui qui aime une ombre devient lui-même une ombre. Celle qui adore les choses qui font périr vit dans la crainte de leur disparition. Le religieux, le moine lui-même, qui cherche à garder Dieu dans la prison de son cœur, devient prisonnier des limites étroites de son coeur.
Dieu ne veut pas d'images, pour me libérer de l'image. Dieu ne veut pas d'images pour me libérer de l'image tronquée, limitée, corrompue, et finalement mortifère que je risque de me faire de lui, et de moi-même. S'il y avait un Dieu, il n'aurait pas permis ceci ou cela. Non Dieu ne se laisse pas enfermer dans ce type de raisonnement, dans ce type d'image. Dieu échappe à toute image. Dieu est libre de toute image. Dieu veut que nous le cherchions, Dieu veut que nous l'approchions au-delà, en deçà de toute fixation, de toute projection, de toute limitation, de tout cadre, de toute image.
Telle est la liberté de Dieu, mais telle est la liberté, telle est la libération qu'il offre à l'humain que je suis. Une liberté nécessaire pour aimer. Nécessaire pour aimer comme nous l'explique ce court dialogue que nous inspire Bertolt Brecht* :
- " Que faites-vous, quand vous aimez quelqu'un ? "
- " Je me fais un schéma de lui et j'essaye qu'il y corresponde. "
- " Qui le schéma ? "
- " Non l'autre ! "
Frères et soeurs en Christ, auditeurs et auditrices, ne sommes-nous pas constamment tentés de faire correspondre les autres aux schémas, aux images que nous nous faisons d'eux ? Détruire ces images toutes faites : une chance de rencontrer les autres et de rencontrer Dieu, et de se trouver soi-même image de Dieu !
Amen !
* Bertolt Brecht "Gesammelte Werke 122, p 386, cité par Jan Milic Lochmann, "Faut-il encore parler des commandements ?", p. 58, Cerf, Paris 1981