Sans poutres et sans pailles !

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Il y a des paroles du Christ, des images employées par lui, qui ont traversé les siècles, jusqu'à aujourd'hui, malgré le fait que la Bible ne soit plus le livre de chevet de beaucoup. L'image de ce jour, l'image de la paille et de la poutre, en est une. " Tendre l'autre joue " lorsqu'on nous gifle en est une autre. Ou encore " la règle d'or " comme on l'appelle : " Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux ". Deux paroles qui d'ailleurs entourent le passage de ce dimanche, dans le Sermon sur la montagne. Des images qui ont traversé les siècles... et c'est tant mieux ! Tant mieux que des paroles fondatrices du christianisme restent ancrées dans notre culture.
Seulement, seulement nous risquons bien de ne considérer ces paroles que comme de simples proverbes un peu passe-partout. Alors que le Christ voulait dire beaucoup plus qu'un proverbe ou qu'une parole de sagesse ! Prenons " la règle d'or " par exemple. Il est un endroit où elle est souvent utilisée, non ? Je pense... aux toilettes publiques et à ces affiches : " Laissez l'endroit aussi propre que vous voudriez le trouver ! " Alors de nouveau, tant mieux. Tant mieux si cette parole de Jésus permet d'avoir des toilettes plus propres ! Mais moi je crois que Jésus nous demande plus que cela - même si garder propres des WC n'est déjà pas facile ! Oui, il nous demande bien plus. Pour continuer dans cette image un peu triviale, je dirais : les WC publiques du monde entier seraient-ils propres, notre monde ne serait pas encore le royaume de Dieu !

Revenons-en à notre texte. " Qu'as-tu à regarder la paille qui est dans l'œil de ton frère ? Et la poutre qui est dans ton œil, tu ne la remarques pas ? " On peut comprendre cette parole à un premier niveau, le niveau qu'elle a aujourd'hui quand elle est utilisée dans le langage courant : la comprendre comme un simple proverbe, un proverbe si simple, et pourtant tellement vrai. Un proverbe si simple, et pourtant difficile à tenir, comme des toilettes propres !
C'est le coup de celui, de moi qui m'énerve parce que la personne, en face, à table, a de la sauce de rôti qui dégouline au coin de sa bouche, alors que je ne remarque pas l'énorme tache que je me suis faite sur ma chemise ! C'est le coup de celui, de moi qui m'énerve parce que mon patron ne m'a pas remercié pour le travail supplémentaire que j'ai fait, alors qu'il ne m'est jamais arrivé de remercier ma femme d'avoir préparé le dîner ou d'avoir fait le ménage ! Oui, c'est déjà bien si cette parole du Christ nous permet de prendre conscience de cela.
Mais Jésus dit plus encore. Cette parole a un second niveau, plus psychologique. Elle correspond à cette découverte du fait que ce que nous reprochons aux autres, ce qui nous agace chez eux, c'est bien souvent les défauts que nous-mêmes nous avons. Par exemple : si je reproche aux autres de ne pas m'écouter, c'est bien souvent parce que moi-même j'ai beaucoup de peine à les écouter eux : paille et poutre. Mais plus encore. Si nous prenons cette image au sérieux, nous découvrons un troisième niveau. Lorsque Jésus parle de paille et de poutre, il relève bien sûr la disproportion qu'il y a entre les deux : entre la paille de l'autre et ma poutre à moi. Mais surtout, paille et poutre, il nous dit qu'elles se trouvent dans notre œil.
Dites, vous avez déjà essayé de voir quelque chose avec une poutre dans l'œil ? Déjà un cil ou un moucheron dans l'œil, ça nous empêche de bien voir, alors une poutre ! Impossible de voir quoi que ce soit ! Et pourtant, nous dit Jésus, c'est justement là, quand nous avons une poutre dans l'œil, que nous croyons voir la paille qui est dans celui de notre frère ou de notre sœur ! Oui, bien plus que simple parole de sagesse : Jésus nous rappelle durement à quel point notre regard sur les autres, nos préjugés, nos a priori, notre besoin de mettre des étiquettes peuvent pervertir notre jugement.
Et comme exemple, cette jolie histoire, découverte dans un journal d'enfant : Un étranger arrive à la porte d'une ville où est assis un mendiant. Avant d'entrer, il demande au mendiant : comment sont les gens de cette ville ? Le mendiant lui réplique :
- Et chez toi, comment les gens étaient-ils ?
- Oh, ils étaient méchants, stupides et égoïstes.
- Alors, tu trouveras les mêmes ici, lui répond le mendiant
Un second étranger arrive qui pose la même question au mendiant. A lui aussi le mendiant réplique :
- Et chez toi, comment les gens étaient-ils ?
- Oh, ils étaient bons, généreux et accueillants.
- Alors, tu trouveras les mêmes ici, lui répond le mendiant
Un enfant qui a tout entendu dit au mendiant :
- Tu as menti, tu as répondu à l'un une chose et à l'autre le contraire.
- Pas du tout, je n'ai pas menti, répond le mendiant. Mais c'est le regard que nous portons sur les autres qui détermine leur comportement : les gens agissent avec nous comme nous agissons avec eux.

Mais cette parole du Christ, nous avons à la comprendre à un 4e niveau encore. Cette parole, c'est d'abord une interdiction, le refus de tout jugement. " Ne vous posez pas en juges, afin de ne pas être jugés ", disait Jésus avant d'utiliser l'image de la paille et de la poutre. Le refus de tout jugement parce que le jugement n'appartient qu'à Dieu. A personne d'autre, aussi bien, beau, parfait et saint serait-il ! A Dieu seul.
Et cette parole, Jésus l'adresse à ses disciples, donc à nous tous croyants. Alors ce qui me frappe encore, c'est la seconde partie de l'image : " Ou bien, comment vas-tu dire à ton frère : 'Attends ! que j'ôte la paille de ton œil' ". Quel beau geste, non ? Vouloir débarrasser les autres de leurs pailles. Un geste d'amour. Celui du croyant qui veut sauver le monde, les autres, les pécheurs, mais qui oublie sa propre poutre nous rappelle Jésus ! " seulement, voilà, la poutre est dans ton œil ! "
Qui de nous ne se reconnaît pas dans cette description du croyant à la bonne volonté ? Qu'il jette la première pierre. Bien sûr qu'en toute bonne foi, nous voulons sauver les autres, enlever leurs pailles, mais non, nous dit Jésus. Alors quoi ? Faut-il se résigner à vivre notre foi dans l'intimité de notre personne, repliés sur nous-mêmes, sans soucis pour les autres ? Non ! Tout le Sermon sur la Montagne nous le rappelle. Nous avons à combattre, à nous battre, à nous battre pour l'amour. Pour l'amour de l'autre, même de l'ennemi. Nous avons à pardonner. Plus que pardonner si sous ce mot nous ne comprenons que " passer l'éponge " : à tendre l'autre joue.
Oui, nous avons à nous élever contre tout ce qui détruit l'amour, contre tout ce qui détruit la vie. Mais ce que nous avons à refuser, à combattre - et Dieu sait si le combat est grand, les événements de ces dernières semaines nous le rappellent - ce que nous avons à combattre, ce sont certains actes, certaines paroles, certaines idéologies, qu'elles soient politiques ou religieuses : pas des personnes, pas des frères et des sœurs en humanité. Combattre les actes, les paroles, les peurs et les idéologies qui tuent l'amour, qui tuent la vie, mais pas les personnes qui les transmettent.
Oui, nous pouvons - nous devrions bien plus - leur dire que nous ne sommes pas d'accord avec ce qu'elles font, disent et distillent. Et leur dire pourquoi et au nom de Qui nous le refusons. Mais nous n'avons pas à les juger. Pas à les condamner à l'enfer ou à je ne sais quelle damnation éternelle ; pas plus d'ailleurs que de leur promettre je ne sais quel paradis. Nous n'avons pas à les juger. Non, mais nous pouvons faire bien plus, bien mieux.
Jésus conclut : " Homme au jugement perverti, ôte d'abord la poutre de ton œil, et alors tu verras clair pour ôter la paille de l'œil de ton frère ". Nous pouvons ôter la poutre qui est dans notre œil : poutre d'intolérance, de jugement, de peur de l'autre ou de certitude d'être soi-même parfait ou sauvé ou je ne sais quoi. Et si nous le pouvons, c'est parce que Jésus Christ nous a appris que Dieu nous aime et nous accepte, malgré nos pailles, malgré nos poutres.
Nous pouvons enlever toutes ces poutres, ou plutôt nous pouvons laisser tomber toutes ces poutres de peur et d'intolérance, tous nos murs et nos barricades qui nous protègent des autres et de l'Autre, toutes nos œillères qui nous rassurent et nous confortent dans notre égoïsme. Laisser tomber tout cela et alors, non plus juger les autres, mais leur donner envie à eux aussi de laisser tomber la paille qui est dans leur œil. Parce que l'amour de Dieu, la lumière de Dieu est tellement plus belle à regarder et à partager sans poutre et sans paille, sans murs et sans œillères.

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Laura Cantagalli-Kasparek;
Musique
Choeur de la paroisse d'Orvin, dir. Marie-Claire Charpilloz