Le rire de soi

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Salut à vous !
Pour terminer notre série de cultes sur le rire, nous voulons apprendre à rire de nous-même. Ca risque d’être un peu plus grinçant…
Pour exercer le rire de soi, il nous faut un bouffon, un de ces fous du monde qui viendrait nous déranger, nous provoquer, à l’image du Christ.
Nous avons besoin de bouffons dans nos églises : vous savez, ce malvenu qui applaudirait l’organiste, qui sifflerait une prière aseptisée, rirait de la grandiloquence de nos formules, ou se moquerait de nos artifices ridicules, de nos robes blanches du dimanche.
J’ai donc le plaisir de vous présenter le bouffon de notre culte !

Bouffon : Je suis content de venir au culte. C’est un de ces moments qui me procurent toujours beaucoup de plaisir quand ils se terminent.

Père,
Les 4 paroisses de la région de Boudry-Ouest sont réunies dans ce temple de Bevaix; et par la radio, des paroissiens disséminés te célèbrent avec nous : nous voilà devant toi.
Présents de corps et de coeurs, nous ne sommes pas réunis pour consommer du religieux. Nous avons faim et soif de vivre quelque chose qui nous concerne vraiment, quelque chose qui nous bouscule et nous laisse sous le choc de ta parole autre.
Rassemble-nous en une grande fête du rire, une fête sous ton regard de père qui nous fait lever les yeux, une fête où la peur et la souffrance sont regardées en face, une fête où ta confiance nous permettra de rire de nos sécurités, de notre religion, de nous-mêmes, grâce à ton amour.
Confessons à Dieu notre péché, notre condition humaine que nous voudrions toujours dépasser.
Père, ton rire, trop humain, nous est étranger. Puisque tu n’es pas à notre service, nous doutons souvent de ta présence, de ton action, voire de ton existence. Sans rire.
Ton rire, trop humain, nous est étranger. Nous voulons du concret, du palpable, comme ce bonheur qui se monnaie ou se troque. Nous voulons être des gagnants. Sans rire.
Ton rire, trop humain, nous est étranger. Nous regardons en l’air, les cieux, et nous trébuchons sur notre réalité quotidienne. Fiers, nous nous cachons, de peur que quelqu’un ne nous voie vivre. Sans rire.
Ton rire, trop humain, nous est étranger. Nous avons une vie si courte, un espace si limité, que nous avons honte de nous regarder, ou surtout de nous laisser regarder par l’autre, par toi. Sans rire, nous avons du mal à nous assumer tels que nous sommes.
Mais si tu ris, ce n’est pas pour te moquer. C’est parce que tu nous aimes comme ça, humains. Tu regardes avec amour tes enfants apprendre la vie. Et c’est dans un éclat de rire que tu nous rencontres, ici et maintenant. L’amour de Dieu est sur chacun et chacune : il nous fait la grâce de nous surprendre, en venant nous rencontrer !

Bouffon : A propos de nous rencontrer, écoutez voir ce témoignage de Raymond Devos. Ca c’est de la rencontre !

Son 1 : "L’homme existe..." de R. Devos

Aujourd’hui, pour terminer notre série de cultes sur le rire, nous demandons à notre bouffon de venir nous dérider. Tu nous racontes un gag ?

Gag belge
C’est rigolo, mais c’est un peu méchant. Il ne faudrait pas que notre bouffon soit là que pour nous amuser sur le dos des autres.
C’est drôle : quand on parle de rire, il y a toujours ce risque de choquer ou de blesser. Le rire n’est pas toujours le plus propre de l’homme...
En fait, c’est agréable de rire des autres (gags belges, fribourgeois, sur les étrangers...), mais ce n’est pas très sain. On se sent plus normal quand on peut rire de quelqu’un qui n’est pas comme soi. J’avoue que ça me fait rire un peu, quand même. Ce matin, avec l’aide du bouffon, nous voulons justement dépasser ce rire-là et mettre l’accent sur ceux qui savent rire d’eux-mêmes. Les meilleurs gags juifs viennent des juifs, les gags les plus critiques sur les pasteurs circulent surtout chez les pasteurs, et certains malades savent rire de leur condition. Ca, c’est plus constructif.
Quelle est la différence entre un pasteur et un trolleybus ?... Quand le bus perd le fil, il s’arrête.
Pour des pasteurs, ça va. Mais il vaut mieux ne pas raconter ceux sur les malades.
Savoir rire de soi, c’est le plus important. C’est un signe de liberté, de décrispation. L’humour à l’égard de soi-même est une marque d’intelligence et de confiance : on sait s’accepter dans ses limites, mais on ne s’y résigne pas. On est capable de distance, de se voir depuis l’extérieur et de s’aimer avec le sourire. On devrait tous avoir en nous un petit bouffon qui nous pince là où ça fait mal.

Le cinéaste juif Woody Allen disait : «Non seulement Dieu n’existe pas, mais nous sommes son peuple élu.»
C’est bien beau de parler de bouffon, et même de bouffon d’un peuple élu, mais on sait que la Bible n’aime pas rire.
Ouf...
En tout cas, elle ne l’encourage pas !
Certains textes disent bien que le rire est proche de la sottise ou de la moquerie. Mais le rire qui est visé là, c’est justement cet humour de dénigrement, où l’on préfère rire de l’autre plutôt que rire avec l’autre. Justement, l’humoriste Pierre Desproges disait : «On peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui...»
Et lui, il savait rire de lui-même; peu avant sa mort, il disait encore des trucs comme : «Plus cancéreux que moi, tumeur !» ou bien «Noël au scanner, Pâques au cimetière.»
Oui, mais c’est difficile de rire avec Jésus : il paraît qu’il n’a jamais ri.
Alors, si on s’en tient à la Bible, on ne doit pas rire ? On est en plein dans le monastère du Nom de la Rose. Préservons-nous du rire, la grimace du malin… Je crois que nous ne devons pas oublier ceci : la Bible regorge d’histoires drôles, de situations absurdes, de retournements de situation. Puisque Dieu n’est jamais là où on l’attend, il nous joue de sacrées farces. D’ailleurs, les porte-parole de Dieu sont souvent des bouffons hors pair, des bouffons dont on devrait souvent suivre l’exemple, face au sérieux de nos cérémonies.

A propos de bouffon, vous connaissez l’histoire du mec Jérémie ? On est à Jérusalem; tout le royaume est soumis à Babylone. Voilà que les ambassadeurs des royaumes voisins se réunissent là pour se débarrasser de cette domination étrangère. Jérémie, le prophète, débarque au milieu de tout ce beau monde avec un joug de bois sur les épaules, un de ces jougs comme pour les boeufs. Et il en distribue un à tous les ambassadeurs, en leur disant que c’est de la part du Seigneur, qui déclare : «C’est moi qui livre tous ces pays au pouvoir de mon serviteur Nabuchodonosor, roi de Babylone.» Ca, c’est un bon bouffon, non ? Jérémie 27,1-8 et 12-13
Vous trouvez qu’il y a de quoi rire ? On réalise qu’il n’y a pas d’avenir. Ce n’est pas à se tordre...
Quand je suis impliqué, le rire devient connaissance de soi; je peux m’accepter dans mes limites avec le sourire. Cet humour est souvent noir, mais au moins, je peux me reconnaître : le rire qui me concerne me permet de voir clairement où j’en suis, sans illusion, mais sans crispation non plus. Un rire jaune où je peux me voir de l’extérieur en souriant, comme si un bouffon me regardait.
Jérémie a une vision claire de la situation désespérée dans laquelle se trouve son pays, son peuple. Ca ne sert à rien de s’accrocher à des illusions de liberté : il faut accepter la situation, l’accepter pour ne pas vivre sur des bases mensongères.
Mais ce qu’il dit fait tellement mal, qu’il n’est pas écouté. Les autorités discutent de l’opportunité de se révolter contre la domination babylonienne, en formant une coalition avec d’autres peuples soumis. Et voilà que Jérémie se présente à la conférence des ambassadeurs avec ce joug de bois attaché sur les épaules : il vient faire le provocateur en pleine réunion politique on ne peut plus sérieuse. C’est vraiment un bouffon : un fou du roi... et du pouvoir.
«Voici ce que vous dit Dieu : placez votre cou sous le joug du roi de Babylone; servez-le, lui et son peuple, et vous vivrez.»
On dirait qu’il se moque de la situation désespérée de son propre peuple : ça me met un peu mal à l’aise.

Les bouffons mettent toujours un peu mal à l’aise. Ca choque, ça interpelle. Peut-on continuer à comploter une révolte devant cet homme qui plie sous le joug ? L’humour noir du prophète pèse aussi un certain poids dans les discussions politiques... Dieu a besoin de bouffons, puisque sa parole dérange.
Le problème, c’est que si on parle de bouffons pour les porte-parole de Dieu, on va croire qu’on a affaire à un Dieu instable, un Dieu auquel on ne peut pas se fier.
Pour que l’on rie, il faut que quelque chose de surprenant se passe, que l’on croie aller quelque part et que l’on se retrouve ailleurs. C’est la base de l’humour : on imaginait d’une certaine manière et on découvre que rien n’est déterminé, qu’un bouleversement de notre logique peut arriver. Et pour Dieu, rien n’est jamais déterminé.
Attendez ! Je vous raconte la suite de l’histoire de ce bouffon : c’est pas piqué des vers. Voilà que s’amène Hananya, un autre prophète, mais qui, lui, est pour la révolte contre Babylone. Il déclare : «Voici ce que dit le Seigneur, je brise le joug du roi de Babylone.» Et il prend le joug de bois de Jérémie et le casse. Mais Jérémie revient avec un joug fabriqué avec des barres de fer : «Voici ce que dit le Seigneur; c’est un joug de fer que j’impose à toutes ces nations pour qu’elles servent le roi de Babylone.» Jérémie 28, 1-4 et 10-14 
Pratiquer l’humour noir - un humour qui paraît toujours déplacé -, c’est savoir rire jaune de l’avenir de son propre peuple, pour voir les choses en face, dans leurs limites. Dieu aime la vérité : il se rit des illusions. Et dans la Bible, nous avons quantité d’autres textes où les enfants de Dieu peuvent rire d’eux-mêmes, car Dieu les prend à revers. Il les éclaire sous un jour surprenant. Il les provoque par des paroles ou des images fort peu pieuses. Nous en avons plein d’exemples chez les prophètes, mais aussi dans le comportement provocateur et libérateur de Jésus.

Oui mais toutes ces discussions sur le rire, ça égratigne Dieu, quand même.
Un prophète provocateur qui joue la carte de l’humour noir jusqu'à se placer sous un joug de fer, ça a des incidences sur l’image du Dieu qui l’envoie. Voilà un Dieu capable de clins d’œil, même au plus profond du désespoir. C’est quelque chose qui doit déranger ceux et celles qui croient en un Dieu qui n’est qu’une force toute puissante au-dessus de nous ! Au contraire, le bouffon nous le présente comme un Dieu qui rit jaune avec son peuple ! On dit que Dieu a créé l’être humain à son image, et que l’être humain le lui a bien rendu ! Pour casser cette image d’un idéal fabriqué par l’homme, Dieu a fait pire que les provocs de Jérémie...

I Corinthiens 1, 23-25 (lire)

L’humour suprême pour les croyants, c’est de découvrir que Dieu a décidé de se montrer à nous dans l’image de son contraire, le crucifié, symbole de malédiction et de mort. Il casse notre image de gloire et de splendeur... On peut rire de chacun de nous. Nous croyons en un Dieu tout puissant qui nous fait une farce, tout en nous donnant la vie. C’est sa présence solidaire au milieu de nos limites qui nous surprend le plus. C’est un Dieu bouleversant, qui n’a aucune commune mesure avec toutes les petites choses qui peuvent choquer nos oreilles délicates. Bien sûr que le crucifié n’est pas drôle : c’est comme un rire jaune, un rire scandaleux.
En fait, le crucifié nous permet aussi de rire de nous-mêmes.
Eh bien oui ! Si on s’est trompé d’image de Dieu, on peut encore en rire, rire de soi. Dieu s’est révélé là où on ne l’attendait pas, et il est plus proche de nous que ce qu’on pouvait imaginer ou espérer. Rire de moi, ça me permet de me reconnaître dans mes limites. Et rire avec Dieu, ça me permet de le rencontrer dans mes limites, dans les souffrances, les rires et les soupirs de l’être humain.
Mais alors, le rire de Dieu est quand même un rire choquant !
Oui ! Il me choque. Il m’électrochoque, et il fait repartir mon cœur. Vous vous rendez compte ? Un Dieu qui me rappelle mes limites et qui accepte de venir les partager. En nous rencontrant là où nous sommes, Dieu vient mettre de la joie dans notre rire jaune. Il fait de nous ses bouffons, des bouffons qui savent rire d’eux-mêmes, grâce à Dieu. Ainsi soit-il, ou en français courant : Amen !
Bouffon : Avant qu’on se mette à table, j’ai un copain bouffon qui s’appelle Bigard : il parle justement des gens qui se mettent à table...

Son 2 : «Le lait allégé» de J.-M. Bigard

Le rire nous permet de prendre conscience de l’absurdité de la logique de notre monde, cette logique injuste et inhumaine. Alors, nous réalisons que nous sommes du côté des nantis, et que nous trouvons plus de forces pour défendre nos acquis que pour nous engager vraiment pour la justice et l’égalité. Dans la confiance que notre père nous aime tels que nous sommes, nous pouvons rire de cette situation absurde où nous devons nous dire «bon appétit !» de peur de ne pas avoir assez faim de la vie.
Que notre rire nous ouvre à l’intercession, cette prière jaune qui nous ouvre les yeux et nous engage.
Père, nous nous souvenons des personnes qui aujourd’hui ne rient pas : parents dont les enfants sont morts..., chômeurs, en marge du monde actif, ceux qui sont en prison, torturés, oubliés, malades, souffrants, vieux dans la solitude, paysan sans terre, ouvrier sans droit, ceux qui n’ont pas de quoi manger, pas même un peu de lait entier pour leur enfant.
Que le souffle délicat de l’esprit fasse briller l’espérance dans leurs coeurs, qu’ils aient du courage pour lutter pour un monde meilleur, incarnation du Règne de Dieu. Nous nous souvenons aussi des personnes qui ne peuvent pas rire parce qu’elles sont sous le poids des idoles, celles qui pensent seulement à leur profit, et pour cela exploitent des plus faibles; des personnes qui se servent impunément des armes et de la violence; toutes celles qui, parce qu’elles pensent trop à elles, sont empêchées de sentir la douce tendresse de la solidarité avec ceux et celles qui souffrent.
Aide-nous à rire dans la tristesse d’où naît le rêve de ton Règne, et à détester la tristesse de ceux et celles qui n’ont d’yeux que pour se regarder. Et que jamais ne manque aux tristes de ton Règne la douce espérance de ton rire.
d’après Ruben Alves
Père, c’est pour nous un rire de joie de te remercier.
Dans la mort et la résurrection de ton fils, tu nous as permis de te voir proche, présent dans nos limites humaines. Par ton esprit, nous pouvons rire jaune de cette vie qui nous apparaît souvent si absurde. Ta présence et ton esprit plein d’humour nous permettent de vivre comme tes enfants, libres d’être tes bouffons à travers le monde, dans l’espérance active d’une terre nouvelle. Merci encore de nous nourrir de ton amour.
Le soir venu, Jésus se mit à table avec les douze. Pendant le repas, il prit du pain et, après avoir remercié Dieu, il le rompit et le leur donna en disant : «Prenez, mangez, ceci est mon corps.»
Ayant aussi pris la coupe, il la leur donna en disant : «Buvez en tous, car ceci est mon sang, le sang de la nouvelle alliance conclue entre Dieu et l’humanité.»
Comme un bouffon, le Christ brave les religions et se rit des conventions. Comme un clown, il fait la satire de l’autorité existante, traversant la ville sur sa monture, comme un roi, lui qui n’a aucun pouvoir sur terre.
Pour finir, ses ennemis le déguisent en une caricature burlesque de l’apparat royal. Il est crucifié au milieu des ricanements et des sarcasmes, surmonté d’un écriteau qui raille ses risibles prétentions.
D’après Harvey Cox

Le clown Christ nous apprend à rire du désespoir de notre condition humaine pour pouvoir toucher le bord de l’espérance, la résurrection, maintenant, comme un éclat de rire.
Que l’esprit de notre père soit sur chacun et chacune, qu’il fasse de nous son corps vivant, un corps animé par le sang d’un amour partagé. Que nous devenions des nouveau-nés dont le premier cri est un éclat de rire partagé. Amen.
Ce pain que nous partageons nous rassemble en un seul corps, celui du Christ vivant au milieu de nous. Cette coupe qui réjouit nos vies nous anime d’un même sang, faisant battre nos coeurs au rythme d’une nouvelle alliance. Baptisés d’hier, d’aujourd’hui et de demain, nous sommes invités à partager ce repas de vie. Dieu vient faire de l’esprit dans notre convivialité.
Venez, tout est prêt.
Bouffon : et bon appétit !
Tu es béni, Père, toi qui casses ton image pour mieux nous rencontrer. Tu es béni, Fils, toi qui fais de nous ton corps ressuscité. Tu es béni, Saint-Esprit, toi qui fais résonner par nous le rire de Dieu dans le monde. Amen.
Seul l’esprit de Dieu peut nous permettre de faire vraiment de l’esprit. Que l’esprit dans lequel nous vivons nos vies soit cet Esprit qui nous baptise sans cesse d’un feu nouveau, cet Esprit qui ouvre nos existences au rire de Dieu. Nos vies résonnent du rire de Dieu, Père, Fils et Esprit.

Amen.

Détails

Avec la participation de
Bernard Du Pasquier, Anne-Lise Kissling, Fabrice Demarle
Orgue
Jacques Barbezat
Musique