Le rire des sages

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Il était une fois au Paradis que tous les saints réunis se distrayaient au tir au pigeon, comme tous les dimanches. L’un d’eux criait POULE, on lâchait un pigeon et les autres saints armés de fusils tiraient sur le pauvre volatile.
Mais Saint-Pierre, qui supervisait ces moments de détente aperçut la colombe du Saint-Esprit qui s’approchait. «Stop !», cria-t-il, «ne tirez pas, c’est la colombe du St-Esprit.» Tous les saints baissèrent leurs fusils… sauf un. Et Pan ! La colombe du St-Esprit était touchée. Saint-Pierre furieux se retourna contre le coupable et hurla : «Joseph ! C’est toi qui a fait ça ?» et Joseph rétorqua : «Il y a des choses qu’on n’oublie pas.»

Nous sommes à l'Eglise tout de même ! Il n'y a donc plus rien de sacré ? Pas même Dieu ? Si l'on commence à faire des gags au culte, où va-t-on ? Vous vous croyez peut-être spirituels ? Dieu cherche à sauver notre âme, pas à amuser la galerie ! Qu'est-ce qu'il ne va pas falloir encore entendre ?

J'en ai une autre : savez-vous pourquoi Jésus n’a pas marché sur les eaux après sa résurrection ? Eh bien parce qu’avec les trous dans les pieds, il aurait coulé !

Non, mais ça va ? Si l'Eglise n'est pas sérieuse, comment veut-elle se faire respecter ? Il fut un temps où elle avait encore de l'autorité et de la rigueur. Elle devrait montrer l'exemple au lieu de se ridiculiser. Notre monde a besoin de morale, de vraies valeurs. Pas de moqueries !
Assez ! C'est intolérable ! Il est inutile de discuter. Il faut sévir pour le bien de l'Eglise ! Elle est tout de même la servante du Seigneur Jésus Christ. Si nous ne faisons rien, elle court à sa perte. Dieu a besoin de serviteurs dignes et sérieux. Il a besoin d'hommes droits et honnêtes pour que l'Evangile soit correctement annoncé. Si nous ne témoignons pas de la vérité, comment le monde sera-t-il sauvé ?

Vous ne croyez pas que vous allez un peu loin ? A vous entendre, on croirait que le salut du monde dépend de vous seul. A force de vous prendre tellement au sérieux, vous finirez par porter toute la misère du monde sur vos épaules.
Mais il faut quand même remettre un peu d'ordre dans notre monde ! Et si l'Eglise ne commence pas à balayer devant sa porte, qui le fera à sa place ?

Etre sérieux, c'est une chose. Mais il y a un sérieux qui tue ! Combien de fois l'Eglise n'a-t-elle pas condamné et tué pour défendre Dieu ? Mais Dieu est bien capable de se défendre tout seul ! Et qui vous dit qu'il juge comme nous ? Ayons un peu d'humour, un peu de distance avec nous-mêmes. Nous ne maîtrisons pas tout. Qui sait si Dieu ne communique pas par d'autres voix que la nôtre ? On dit bien que les voies du Seigneur sont impénétrables…

Oui, mais l'humour a des limites. On ne se moque pas impunément de Dieu. Je suis désolé, mais je refuse que l'on ridiculise le Seigneur alors qu'il a souffert le calvaire pour nous. Il n'y a rien de drôle dans les souffrances du Christ ! Est-ce qu'il y a vraiment de quoi rire quand le Seigneur est trahi par son peuple après tout ce qu'il a fait pour lui ? Vous avez bien entendu les Ecritures tout à l'heure : il n'y a rien d'amusant à ce que les prêtres décident de le mettre à mort !

C'est vrai qu'il n'y a peut-être pas de quoi mourir de rire, mais vous m'accorderez tout de même une légère ironie dans cet épisode. Le calcul des autorités religieuses juives est logique: il vaut mieux qu'un seul meure au lieu de beaucoup. Mais venant de la part de ceux qui rachetaient régulièrement les péchés du peuple en sacrifiant un agneau innocent, cette déclaration ne manque pas de piquant ! C'est un peu la fumée qui se fout du feu ! Ils croient se débarrasser d'un gêneur, mais dans la logique de l'évangile de Jean, ils aident en fait à sauver le monde en envoyant le Christ, l'agneau de Dieu, à l'abattoir !

On peut bien essayer de jouer au plus fin, mais on ne peut pas faire des jeux d'esprit avec les souffrances du Seigneur. Tiens ! Est-ce qu'il a l'air de rigoler pendant son procès devant Pilate ?

Vous ne voyez pas l'ironie ? Voici Pilate qui, d'un air amusé, présente une loque au peuple. Il y a de quoi rire : est-ce bien cet homme, cette demi-portion qui fait si peur aux gens ? Jean joue sur les mots : lui qui nous dit depuis les premières lignes de son évangile que Jésus est le Fils de Dieu en chair et en os, il nous montre ici ce que ça veut vraiment dire. Cet homme rejeté par tous est en fait celui qui connaît le mieux le Père.

Eh ben justement ! C'est dramatique ! Il n'y a pas de quoi rire !

Le comble de l'ironie, c'est que les hommes rejettent le Christ au nom du Dieu qu'il représente comme personne ! Et l'ironie ne s'arrête pas là ! Regardez ce qui est écrit sur la croix : «Jésus de Nazareth, le roi des Juifs !» En faisant graver cette inscription, Pilate le Romain humilie le peuple juif. Mais en même temps, il dit sans s'en douter une profonde vérité : le crucifié est bel et bien le Roi tant attendu par les Juifs. On est à la limite de la farce et de la tragédie !

Désolé, mais je ne vois pas ce qu'il y a de drôle. C'est quand même de la passion et de la mort du Christ dont nous parlons !
Eh bien justement, Jean fait de l'ironie pour nous permettre de mieux les comprendre. Si nous prenons les choses au premier degré, nous ne voyons dans l'histoire de Jésus qu'un triste fait divers. Mais l'ironie de Jean nous fait passer à un deuxième degré. Au-delà de l'anecdote, elle nous montre dans cette triste histoire le visage de Dieu... et aussi celui de la bêtise humaine.

C'est trop compliqué ! Pour moi, il suffit de croire ce qui est écrit ! C'est assez clair, non ? Pas besoin d'aller chercher la petite bête !
Par l'ironie, Jean nous amène à une autre compréhension des choses. Pour lui, il ne faut pas tout accepter comme du bon argent. Il faut prendre de la distance et garder une vue d'ensemble. Je doute que nous le fassions souvent, surtout quant il s'agit de nos convictions !
Et si en nous surprenant, l'humour nous aidait justement à voir les choses sous un autre angle ?

«Tiens, au fait, vous la connaissez celle-là ?»
C’est l’histoire d’un homme qui vient de franchir le seuil de sa vie et qui arrive devant le majestueux portail du Paradis. Il sonne, Saint-Pierre ouvre : «Oui, vous désirez ?» et l’homme : «Oui, bonjour Saint-Pierre, j’aimerais voir Dieu.» «Oui, lequel ?» «Comment ça lequel ? Comment ça ? DIEU ! L’unique, le Véritable, l’Absolu !» Saint-Pierre prend son Natel : «Oui allô, dites, pour les fanatiques, qui est de garde aujourd’hui?» 

Je veux bien, mais on ne peut quand même pas comparer l'ironie de l'évangile de Jean avec n'importe quelle plaisanterie de mauvais goût !
Et pourtant ? Est-ce que l'humour le plus choquant n'est pas justement celui qui change notre point de vue ? Des plaisanteries sur le paradis ou sur la colombe du Saint-Esprit, ça nous empêche de prendre la Bible à la lettre !

Mais d'un autre côté, elles nous poussent à nous demander où est l'essentiel de notre foi. Est-ce que la valeur d'un texte ou d'une tradition vient du fait qu'on ne peut pas y toucher ? Ou bien est-ce qu'elle vient du sens que nous leur donnons, de la manière dont ils nous parlent?

Mais on ne peut pas rire de tout. Il doit quand même y avoir dans la vie des valeurs qu'on ne remet jamais en question.
L'humour se manifeste pourtant partout : il dénonce les travers de la politique comme les dérives du racisme. Même les malades font de l'humour noir. Finalement, l'humour se met toujours en travers des positions et des situations les plus extrêmes.

Oui mais tout de même, c'est de la foi, de Dieu dont nous parlons ici. Ce n'est vraiment pas drôle !

Moi, je crois qu'en fin de compte, la question, c'est de savoir si nous sommes prêts ou non à remettre nos certitudes en jeu et à en discuter - au risque peut-être d'en rire ?
Reste bien sûr maintenant à savoir s'il faut être assez fou ou assez sage pour oser le faire.
Et là encore, Raymond Devos nous montre que le plus fou n'est pas toujours celui qu'on pense...

Dernièrement, j'ai rencontré un monsieur qui se vantait d'être un imbécile. Il disait : «Je suis un imbécile ! Je suis un imbécile !»
Je lui ai dit : «Monsieur, c'est vite dit ! Tout le monde peut dire : «Je suis un imbécile !», Il faut le prouver !»
Il m'a dit : «Je peux !»
Il m'a apporté les preuves de son imbécillité avec tellement d'intelligence et de subtilité que je me demande s'il ne m'a pas pris pour un imbécile !

(tiré de : R. DEVOS, Sens dessus dessous, Stock, coll :Livre de Poche, Paris, 1976, p. 147)

Détails

Avec la participation de
Bernard Du Pasquier, Anne-Lise Kissling, Fabrice Demarle
Orgue
Janine Moody
Musique