En début de soirée, il y a à peu près 20 siècles, l'évangéliste Marc nous rapporte que Jésus s'était embarqué avec ses disciples sur un bateau pour traverser un lac. Un peu plus loin, on nous dit que la tempête s'est soudain levée. L'embarcation se trouve alors malmenée par les vents. Il y a même des lames d'eau qui entrent dans le bateau au risque de le faire couler.
L'équipage panique… Jésus dort… On réveille Jésus. Jésus fait face au vent… Il oppose son autorité à la puissance des éléments déchaînés et c'est de nouveau le calme…
Disons que la tempête s'est maintenant déplacée dans la tête des disciples ! «Mais qui est donc celui-ci auquel le vent et même la mer obéissent ?» C'est vrai, on ne rencontre pas tous les jours quelqu'un qui arrange la météo, à sa guise, simplement en parlant au soleil, aux vents, aux nuages et à la pluie !
C'est vrai,
- l'homme et la femme modernes, dans notre désir de toute puissance
- l'homme et la femme modernes qui se débrouillent pas mal pour organiser le monde à leur guise,
- l'homme et la femme modernes… nous sommes capables de beaucoup de choses dans notre maîtrise de monde… capables d'envoyer des vaisseaux spatiaux à des millions de kilomètres et qui du fond de l'espace nous envoient encore des messages. A l'inverse, nous sommes capables de pénétrer l'infiniment petit, capables de manipuler le centre même de la vie par notre action sur la génétique… capables de beaucoup, mais impuissants face aux simples caprices de la météo : «on fait pas le temps !» Cela me fait penser à des amis vignerons : une année de travail à cultiver et à soigner leurs vignes, ces cuves que l'on regarde dans la cave avec le projet de les voir bientôt pleines. Et soudain, à la fin du mois d'août dernier, 5 minutes, 5 minutes seulement de grêle réduisent presqu'à néant une année de travail et d'espoir.
Les caprices du temps ! …c'est aussi la pluie sur la fête villageoise alors que le temps était au beau fixe depuis des semaines. Les caprices du temps, c'est aussi ce verglas soudain qui vous envoie dans le fossé… chez le carrossier ou pire encore, à l'hôpital. Les caprices du temps, c'est cette neige qui n'est pas là, précisément la semaine de ski que vous aviez réservée depuis des mois…
Non, on ne fait pas le temps. «Mais alors qui est donc celui-ci auquel le vent et même la mer obéissent ?» On peut comprendre l'étonnement des disciples : «Qui est donc celui-ci ?», c'est ainsi que notre texte s'achève… sur cette question.
«Qui est donc celui-ci ?» Sont-ils bêtes, ces disciples ! Ils ne savent même pas qui est Jésus ! Ils sont avec lui tous les jours et ils ne savent même pas qui il est ! Ils le voient guérir des malades. Ils l'entendent parler tous les jours. Ils connaissent son langage pénétrant, parfois incisif, mais toujours plein d'amour. Et maintenant, ils le voient calmer la tempête… et ils ne savent même pas qui c'est !!!
Eh bien, Messieurs les disciples ! Nous, on va vous le dire. Parce que nous, du haut de nos 20 siècles de christianisme, nous, on sait qui est ce Jésus de Nazareth, dont vous semblez ignorer l'identité. Chers disciples, ce Jésus, - mais voyons ! - c'est-le-Fils-de-Dieu, le Fils de Dieu ! - on le sait, on l'a appris au catéchisme.
On sait que Jésus est le Fils de Dieu, on le sait tellement bien que les églises d'Europe, ce vieux bastion du christianisme, ne cessent de se vider, souffrant d'une hémorragie qu'on ne peut plus freiner. Jésus est le Fils de Dieu, on l'a tellement bien dit que la foi chrétienne est souvent devenue objet de dérision, de révolte ou de douce indifférence dans notre société «chrétienne» !
En fin de compte, ces disciples qui ne savent pas très bien me font finalement un peu envie dans leur tempête. J'ai le sentiment que les disciples étaient encore du bon côté avec leurs questions, tant il est vrai qu'une question est en général plus stimulante qu'une réponse toute faite. Et Dieu sait si dans l'Eglise, on est passé maîtres dans les réponses toutes faites. Je ne dis pas que ces réponses… que les réponses dogmatiques sont fausses, elles sont en général, aussi plates que justes !
Je suis certain qu'en tant qu'individu et qu'en tant que communauté, nous aurions tout à y gagner si nous avions l'idée de nous placer devant le Christ - non pas avec nos réponses toutes faites à son sujet, mais avec cette question : «Mais qui es-tu donc ?», «Qui es-tu donc dans la tempête… ou le calme plat de mon existence ?» «Qui es-tu donc dans ces églises aux structures chancelantes et menacées ?»
«Qui es-tu donc dans ces autres églises qui ne tiennent debout que par la solidité de leurs structures ?»
Décidément, les disciples avaient encore un avenir, un terrain à explorer dans la foi et la spiritualité, par leur simple question.
Et nous, nous redonnerons aussi un avenir à notre église, en laissant de côté nos demi-certitudes, pour aller au-devant du Christ avec cette question : «Mais qui es-tu donc ?»
Ceci dit, je vous invite à laisser cette conclusion du texte de Marc et à remonter au début du texte, et tant qu'à faire à monter dans le bateau avec les disciples pour voir ce qui s'y passe.
Comme vous le savez, très tôt dans le christianisme, le bateau a été compris comme un symbole de l'Eglise : une embarcation naviguant sur les eaux tumultueuses du monde vers une destination fixée par Dieu, vers une terre promise. Avec cette vision symbolique du bateau-église, on imagine facilement le Christ debout à la proue du bateau, scrutant l'horizon et donnant ses ordres au timonier. Ah non ! dans notre texte, ça ne se passe pas comme ça ! Le Christ se tient au contraire à l'arrière du bateau. Qu'à cela ne tienne ! Avec la mobilité que permettent les symboles, j'imagine alors le Christ à l'arrière du bateau-église tenant le gouvernail et menant l'Eglise là où il veut. Ah non ! dans notre texte ça ne se passe pas non plus comme ça.
Alors, frères et sœurs, c'est ici que les choses deviennent intéressantes. En fait à l'arrière du bateau-église… le Christ dort ! Et même au plus fort de la tempête, il continue à dormir. Ne trouvez-vous pas surprenant cette idée d'un Christ qui peut dormir parmi nous, alors que nous sommes malmenés de toutes parts ?
Parce que vous savez bien, par expérience, que pour s'endormir, il faut un climat apaisant autour de soi. S'endormir, c'est devenir peu à peu indifférent aux réalités extérieures. Si vous êtes habités par des problèmes d'agenda, des problèmes à résoudre dès le lendemain, à coup sûr, vous ne vous endormirez pas.
Pour s'endormir dans une voiture, un avion ou un petit bateau, il faut avoir confiance au conducteur ou au pilote. Dans notre texte, c'est précisément le cas. Si ce bateau symbolise bien l'Eglise, cela signifie alors que le Christ fait suffisamment confiance aux chrétiens que nous sommes pour se permettre de s'endormir de temps en temps parmi nous. Attention ! le Christ absent mais bel et bien Christ confiant. Un Christ qui nous fait confiance, qui considère donc que nous sommes assez grands, assez forts pour mener la barque tous seuls avec notre foi et avec notre intelligence.
Cette idée que le Christ peut ainsi se permettre de s'endormir parmi nous quand il en a envie, voilà quelque chose qui doit nous libérer d'un certain infantilisme religieux qui voudrait que l'on fasse appel à lui pour tout et pour rien. Ne plus nous comporter comme des petits enfants qui courent dans les jupes de leur mère pour n'importe quelle peccadille. C'est bien cette attitude religieuse infantile que Jésus réveillé reprochera à ses disciples : « Mais, enfin, vous n'avez donc plus de foi !» étant entendu que dans l'idée de Jésus, les disciples auraient dû avoir suffisamment de moyens pour s'en tirer tout seuls dans cette tempête.
Concluons.
De ce texte, je vous invite à retenir 2 choses.
Premièrement :
Le Christ qui prend parfois la liberté de s'endormir parmi nous, nous rappelle qu'être chrétien, ce n'est pas se complaire éternellement dans notre petitesse, nos manquements, nos insuffisances, mais c'est prendre fermement en main la barre de notre vie et de l'Eglise, avec foi.
Secondement :
Que notre foi ne peut que grandir et évoluer si nous prenons parfois le courage de faite table rase de toutes nos convictions à son sujet pour aller au-devant de lui, que ce soit dans la prière personnelle ou dans l'étude en groupes avec cette question : «Mais qui es-tu donc ?»
Amen.