Je ne sais pas, chers frères et sœurs qui vous joignez à nous aujourd'hui par le truchement des ondes, si vous connaissez la région d'où est retransmis le culte de ce matin, et en particulier ce triangle formé par les trois paroisses de Péry, d'Orvin et de Vauffelin qui se sont unies pour assumer les cultes des deux premiers dimanches de septembre, celui d'aujourd'hui et celui de dimanche prochain. Mais si vous ne connaissez pas notre coin de terre, je puis vous assurer que lorsqu'on parle de petites routes étroites et sinueuses, et de porte étroite à franchir, nous savons de quoi il s'agit. Nous en mesurons les conséquences à longueur d'année, et en particulier lorsque revient l'hiver, lorsqu'il s'agit d'emprunter les routes sinueuses qui franchissent les diverses cluses qui donnent l'accès à nos vallées. Ce n'est pas pour rien d'ailleurs que la population de la région s'est mobilisée le week-end dernier pour participer en grand nombre à la fête des tunnels, cette manifestation à laquelle s'est associé le chœur mixte de Péry-Sonceboz, et destinée à marquer l'ouverture prochaine des tunnels et de la route à grand gabarit qui permettront de franchir plus facilement quelques-uns de ces obstacles dès la mi-novembre.
Bien sûr, nous sommes conscients de la chance que nous avons d'habiter une région si belle et si attachante. Et nous vous invitons volontiers à venir nous y saluer. Mais pour nous le côté pittoresque des routes sinueuses se faufilant à travers les gorges et les montagnes est souvent masqué par les inconvénients que cela comporte pour la vie quotidienne. D'ailleurs, si l'on s'aventure volontiers dans les régions périphériques pour y flâner, on choisit d'ordinaire les grandes voies, plus rapides et plus sûres, lorsqu'il faut aller rapidement d'un lieu à un autre.
Or voilà que pour aujourd'hui, la liste des propositions de textes de la liturgie nous invite à méditer ce texte sur la porte étroite et le chemin resserré qui mènent à la vie. Alors que justement, vous en conviendrez sûrement avec moi, chers frères et sœurs, nous avons souvent l'impression que les chemins étroits nous étouffent.
Bien sûr, on pourra toujours répondre que ce n'est pas de nos routes dont parle Jésus dans l'Evangile selon Matthieu. Ni des routes de Palestine d'ailleurs, mais des routes de la vie. Ou, en tout cas, des routes qui mènent à la vie. Mais j'ai bien l'impression que lorsqu'il s'agit des routes de la vie, nous réagissons comme pour les routes qui permettent de se déplacer d'un lieu dans un autre, et que nous préférons nettement les routes larges. Pas pour arriver plus rapidement au but, évidemment, mais pour éviter un maximum de difficultés.
C'est vrai que la vie, frères et sœurs, c'est un long chemin à parcourir. Un chemin dont on connaît le point de départ, la naissance, et dont on sait qu'il nous mène immanquablement vers la mort, sans toutefois qu'on sache grand-chose de cet aboutissement. Et entre les deux, il y a un itinéraire à parcourir. Un itinéraire dont nous pouvons choisir certaines étapes, alors que d'autres nous sont imposées par les circonstances, ou par les autres. C'est pourquoi nous sommes un peu face à la vie comme face à un projet de voyage vers un pays que nous n'avons encore jamais visité : avec un point de départ relativement bien connu, un point d'arrivée connu aussi, du moins par le nom, ou peut-être par les livres, et entre les deux un parcours à choisir. Mais lequel ?
Alors nous faisons pour la vie comme pour nos voyages : nous planifions et tentons de baliser les meilleurs chemins possibles, ceux qui éviteront au maximum les difficultés et qui offriront les meilleures chances de réussite et de bonheur.
Oui, frères et sœurs, chacun de nous est placé devant cette même tâche : faire aboutir sa vie le mieux possible, la mener de telle sorte qu'elle soit une réussite. Un parcours que nous préparons d'ailleurs aussi déjà pour nos enfants, si nous en avons. C'est en effet le but de toute éducation : donner à chaque enfant les meilleures chances possibles pour qu'il réussisse, lui baliser le meilleur chemin vers le bonheur. Mais au fait, qu'est-ce que la réussite ? Et qu'est-ce que le bonheur ?
Chacun de nous a sa petite idée là-dessus, forgée par le spectacle que le monde nous offre et alimentée par les déclarations qui nous sont faites par toutes sortes de personnes et d'institutions.
Bien sûr plus personne ne serait assez naïf pour affirmer que l'argent est la clef du bonheur. Mais comme le manque d'argent est à coup sûr cause de problèmes, et pour beaucoup même synonyme de malheur, on en conclut qu'il contribue tout de même, dans une mesure non négligeable, au bonheur. Mais la réalité, elle, est parfois bien plus têtue que nos efforts, qui n'obtiennent pas toujours les résultats escomptés.
Plus personne aujourd'hui ne serait assez naïf pour dire que l'être humain trouve son bonheur dans le travail, surtout qu'il nous use souvent plus que de raison. Mais quand on constate que le chômage plonge tant de personnes dans le malheur - peut-être pas un malheur causé par les soucis d'argent, mais un malheur dû au sentiment de mise à l'écart que font naître peu à peu les multiples refus d'embauche qu'il faut essuyer - quand on constate que le chômage peut être synonyme de malheur, alors on se dit que le travail est tout de même un élément important du bonheur, même s'il est souvent cause de tracas. Et on y consacre toute notre énergie. Mais pour un résultat parfois bien décevant.
Plus personne aujourd'hui ne serait assez naïf pour affirmer que la réussite sociale est source de bonheur, puisque la foule est versatile et que bien souvent elle rejette ceux qu'elle a acclamés la veille. Mais quand on voit à quels drames peuvent mener les échecs, on se dit que la réussite sociale n'est pas à négliger non plus. Et pourtant nul d'entre nous n'est maître de sa réussite, parce que les autres refusent souvent de reconnaître ce à quoi nous estimons avoir droit.
La question subsiste dès lors pour chacun : comment composer, à partir de tous les éléments qui, semble-t-il, contribuent au bonheur, et malgré tous les obstacles qui semblent le désagréger au fur et à mesure que nous le construisons, comment composer le subtile mélange qui fera qu'au bout du compte le bonheur sera au rendez-vous ? Vers quoi orienter notre vie pour ne pas l'exposer aux désillusions ? Quelle route faut-il baliser devant nous et devant nos enfants pour que ni nous ni eux, ne nous retrouvions pas un jour devant un orage, et finalement devant une impasse ?
Remarquez bien, frères et sœurs, que ce n'est pas une question artificielle. C'est la question de toute existence humaine. Il suffit d'avoir le courage de regarder un peu en soi pour le reconnaître.
Pourtant la prise au sérieux de cette question nous donne parfois le vertige, tant elle paraît immense et compliquée. Une question tellement impressionnante d'ailleurs que beaucoup refusent de la considérer, se contentant de prendre la vie comme elle vient, alors que d'autres, la trouvant tellement lourde et le vertige tellement insupportable tentent d'y échapper au moyen de toutes sortes d'artifices qui permettent de masquer la réalité. Mais pour combien de temps ?
C'est d'ailleurs ce qu'ont bien compris tous ceux qui ont quelque chose à vendre et qui, par publicité interposée, tentent d'aider à leur manière à répondre à cette question. Et c'est ainsi que nous sommes littéralement envahis de sollicitations qui toutes veulent faire de nous des femmes et des hommes heureux et épanouis.
Mais voilà, ce piège est tellement gros qu'il ne fait pas illusion très longtemps. Et nous savons tous qu'il faut autre chose qu'une savonnette ou un déodorant, autre chose qu'une belle voiture, autre chose qu'un téléphone cellulaire ou une place de cadre pour être heureux. Et nous savons tous aussi qu'aucun paradis artificiel ne peut masquer la réalité de l'existence.
Le problème de la recherche du bonheur, ce qui fait que cette quête n'aboutit jamais, c'est que nous croyons toujours qu'il est au bout de nos efforts, ou dans la réalisation de nos potentialités, et que nous pouvons être maîtres de cette recherche. C'est d'ailleurs ce dont tous les messages publicitaires tentent de nous persuader, nous laissant croire que c'est un chemin facile, à portée de chacun, où la réussite est à tous les rendez-vous. Et, en conséquence, nous nous y engageons souvent, sans nous rendre compte que cette facilité n'est qu'une illusion.
Il nous faut donc réentendre cette invitation de Jésus que nous avons entendue tout à l'heure : «Entrez par la porte étroite. Large est la porte et spacieux le chemin qui mène à la perdition et nombreux sont ceux qui s'y engagent. Combien étroite est la porte et resserré le chemin qui mène à la vie, et peu nombreux sont ceux qui le trouvent
Nous aspirons à des chemins larges et faciles, et à des portes spacieuses et larges ouvertes, alors que les chemins de la vie sont souvent étroits et resserrés, nous obligeant souvent même à des efforts qui dépassent nos possibilités et nos forces. Et nous sommes tentés de lorgner vers ce qui nous promet aise et facilité. Mais pour marcher vers quelle impasse ?
Pourquoi dès lors ne pas s'engager à la suite de Celui qui se présente à nous comme le chemin et la vie ?
Mais attention, ce n'est pas le chemin de la facilité. Ce n'est pas un chemin sans aspérités. Le chemin qui nous est proposé est un chemin étroit parce qu'il s'agit d'abord de regarder la vie en face, alors même qu'elle se présente parfois sous des traits hideux. C'est un chemin étroit ensuite parce qu'il nous est proposé de renoncer à en tenir seuls le volant. Or, s'il est déjà difficile de faire confiance à autrui, combien davantage encore est-il difficile de faire confiance à ce Jésus qui nous interpelle! Oui, c'est un chemin étroit parce que se décider de faire confiance à Jésus-Christ, c'est renoncer à mettre sa confiance dans ses propres possibilités. C'est un chemin étroit parce qu'il faut commencer par se débarrasser de toutes ses illusions pour ne parier sa vie que sur ce Jésus qui marche à la croix.
Et c'est un risque, comme tout pari d'ailleurs. Mais pourquoi ne pas prendre ce risque-là puisqu'il nous est proposé par Dieu lui-même ? A-t-on déjà vu un père proposer un chemin impossible où l'enfant risque de se casser le cou ? Non, bien sûr. Et lorsque le chemin est très difficile, le père est toujours là pour prendre son enfant par la main et lui aider à franchir les obstacles.
Amen.
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