On m'a demandé si c'était mon dernier culte à la Cathédrale, eh bien pas tout à fait. Il y a le dimanche de Pâques et on vient d'organiser la tabelle des cultes entre le 1er avril et l'été. En ce qui me concerne, je suis prêt à continuer mon travail bénévolement pour la communauté et pour aider mon collègue Vincent Schmid qui va se retrouver seul.
Mais c'est quand même une occasion un peu étrange pour moi, c'est-à-dire que je suis poussé à réfléchir au sujet de l'être de l'église de Genève aujourd'hui, à sa situation, à ses rôles et d'imaginer quel est censé être notre travail dans une communauté moderne et si nous sommes au clair par rapport à ce qu'on doit dire, ce qu'on doit faire et ce qu'on doit être.
Alors j'ai choisi ces 2 passages magnifiques dans Esaïe et dans l'Apocalypse. Esaïe appelé par le Seigneur. Il n'a pas du tout envie d'être appelé par le Seigneur. Il avait comme chacune et chacun d'entre nous autre chose à faire, d'autres ambitions et il recherchait une vie tranquille. Mais il est appelé quand même et il n'a pas beaucoup de choix ! Il est choisi, il est nommé prophète par l'ange de Dieu et ensuite il est poussé vers la communauté. Alors la communauté, on en entend beaucoup parler aujourd'hui ! On entend que la communauté n'est pas toujours accueillante pour la parole chrétienne mais je m'excuse, en rapport avec le travail d'Esaïe, on dit que la population à ce moment-là était insensible, dure d'oreille et aveugle.
Les choses ne changent pas tellement. Ce n'est pas une excuse de dire : "Eh oui, on est dans une société séculaire, où les gens ne sont plus très intéressés dans une église." Notre travail c'est justement de rendre l'église intéressante, accueillante et positive.
Le 2e passage que Mme Follietaz a lu pour nous, c'est celui de l'Apocalypse au sujet de l'église de Laodicée. Vous voyez là le message de Dieu pour l'église de Laodicée et Dieu est assez fâché avec cette église. Il dit que "... puisque tu n'es ni froid, ni bouillant, je te vomirai de ma bouche." La remarque n'est pas très tendre, le message pas très nuancé, mais cela continue avec une phrase sur laquelle j'aimerais attirer votre attention.
Dieu continue - car c'est lui qui parle - "Je corrige et je punis tous ceux que j'aime." Le mot-clé dans cette phrase est le mot "aime" parce que vous le savez peut-être, c'est une citation du livre des Proverbes. Il est d'ailleurs répété plus loin dans le livre de l'Apocalypse au chapitre 5. Mais j'aimerais attirer votre attention sur le fait qu'ici l'auteur de l'Apocalypse - un des innombrables Jean - utilise un autre mot pour amour. Dans la version grecque de l'Ancien Testament, c'est un mot qui veut dire amitié, respect. Dans le chapitre 5 de l'Apocalypse c'est le même mot qui est utilisé, un mot décrivant l'amitié, le respect. Mais ici dans l'Apocalypse 3 où il vient de dénoncer l'église de Laodicée, "... ni froid, ni bouillant...", il utilise le mot philéo et c'est un mot qui implique un amour intense, passionné. C'est plus qu'un vague intérêt, une amitié, c'est un mot avec une connotation sexuelle, un mot qui implique des relations intimes et effectivement si vous lisez le reste de ce message pour l'église de Laodicée, vous voyez qu'ici il y a une église qui a déçu Dieu, le Créateur, mais que Dieu aime avec une passion et c'est un élément qui nous parle dans ces 2 passages.
Nous avons donc Esaïe envoyé dans un monde qui n'est pas très accueillant au message qu'il proclame et l'église de Laodicée qui n'est pas parfaite - comme aucune église ne l'est - mais que Dieu aimait d'un amour total, intense et passionné. Alors la communauté chrétienne ? On ne peut être chrétien tout seul, on ne peut être chrétien d'une façon égoïste, on ne peut être chrétien que si on a d'autres personnes autour de nous.
On travaille toujours en communauté et dans la communauté chacune et chacun a son rôle à jouer. Mais dans la communauté chrétienne on a presque l'impression de percevoir une autodestruction; la communauté protestante de Genève aujourd'hui avec ses licenciements de pasteur, avec ses vieux messieurs comme moi-même poussés à la retraite anticipée ! C'est comme une autodestruction. Vous voyez comme historien, j'ai toujours été fasciné par les sociétés en déclin parce que le déclin, cela vient presque toujours de l'intérieur, L'église protestante de Genève, l'église nationale dans les jours de notre gloire, n'est attaquée par aucune autre église, ni par les communistes ni par d'autres religions. Le mal vient depuis l'intérieur et c'est là-dessus que j'ai réfléchi et j'espère que je ne vous ennuie pas avec mes réflexions, mais il me semble que pour l'église protestante de Genève de nos jours, on a besoin de 3 choses : la vocation, le besoin d'être reconnu à l'intérieur de l'église et la vision.
La vocation de toutes les églises chrétiennes depuis toujours, c'est d'annoncer l'amour, c'est d'annoncer le pardon, l'espoir et l'espérance. J'étais très impressionnée par Claude Sage au Salon de l'Auto. On lui a posé la question de savoir pourquoi il fallait aller au Salon de l'Auto, et il a répondu "Pour rêver." Est-ce qu'on vient à l'église pour rêver, est-ce qu'on vient à l'église pour se sentir élevé, pour se sentir rempli de la grâce du Seigneur ? Malheureusement trop souvent les gens sont venus pour entendre une parole institutionnelle, procédurière, morose, morbide, pleurnicharde. La chose primordiale pour l'église et pour sa survie, c'est d'avoir une vision de sa mission et sa mission, c'est de convertir le monde et d'annoncer la bonne nouvelle autour de nous et jusqu'aux extrémités de la terre.
Et la deuxième condition, c'est de se reconnaître les uns les autres. Être une communauté dans un monde où nous sommes de plus en plus séparés les uns des autres, derrière nos écrans, dans nos voitures, dans une ville où l'on ne connaît pas ses voisins. A l'intérieur de l'église on a besoin de construire une communauté et une communauté où on voit l'autre et où on va avancer ensemble et non pas avec un regard vers la passé, mais vers l'avenir, vers la lumière, vers la grâce.
La troisième condition, c'est la vision. Si pour la vocation, je vois une vocation évangélique, pour la vision je vois une vocation éthique, une éthique protestante. On change de comportement parce qu'on est chrétien, parce qu'on est membre de l'église. Il y a des choses qu'on ne fait pas ou plus. Il y a un comportement du point de vue de l'honnêteté. On disait dans le passé que les banquiers genevois n'étaient forcément plus capables que les autres, mais qu'ils étaient plus honnêtes.
L'éthique ! Notre église est dans une ville qui montre quand même quelques signes inquiétants de décadence. Il y a des choses qui m'inquiètent beaucoup, moi genevois d'adoption. Je suis inquiet par le comportement d'un certain nombre de jeunes - ou de moins jeunes d'ailleurs. Ce qui me dérange, ce sont les incendies de voitures, ce sont les agressions dans les trams, ce sont les violences du G8. Le problème c'est qu'on peut toujours s'offrir une sorte de réconfort en se disant : "Tout cela, c'est peut-être des étrangers, des gens qui viennent d'Annemasse...". A y regarder de près on se rend compte que ce sont souvent des genevois !
Nous sommes en train d'élever une génération sans éthique ou qui trouve leurs idées éthiques dans les jeux vidéo ou pour qui les modèles de rôles sont Michael Jackson ou ENRON ou peut-être un Bush qui met de côté les Conventions de Genève à Guantanamo. L'éthique - absolu point de vue de comportement - où est-ce que nos jeunes peuvent entre trouver cela si ce n'est pas dans l'instruction de l'église ?
J'adore les jeunes et j'espère que je ne suis pas trop fascho dans mes attitudes, mais je vois une génération dans les écoles publiques et dans les écoles privées qui a besoin d'éthique et qui va le leur enseigner si ce n'est pas nous et c'est pour cette raison-là que je dis que cela doit être notre vision de l'église, notre vision de la société avec un message à partager. Et c'est là où j'en viens à mon compatriote, Edmund Burke, théoricien politique irlandais du XVIIIe siècle, qu'il a cité cette année par Klaus Schwab :"Tout ce qu'il faut pour que les hommes méchants réussissent, c'est que les hommes honnêtes ne fassent rien."
Qui va s'atteler à la tâche ? C'est le problème d'Esaïe. Lui, n'en a pas envie mais il a été choisi. La vocation dans notre société, notre espoir, c'est une église qui va se régénérer, qui va retrouver sa vocation, qui va retrouver sa vision et qui va faire face à une société égoïste, séculaire, de plus en plus violente, de plus en plus malheureuse. Le seul espoir pour nos jeunes - comme ces 2 adorables enfants qu'on a baptisés ce matin - c'est d'être placés en face d'une autre éthique, l'éthique d'un Jésus qui dit "Aime ton prochain comme toi-même." C'est le contraire de tout ce qu'ils vont entendre dans le reste de la société moderne. Et voilà une raison, un besoin de la société qui pourrait être comblé par la parole de l'église.
Alors contre l'église de Laodicée qui a perdu un peu sa voie, Dieu est fâché mais il l'aime quand même, "philéo", d'amour passionné. L'espoir est là et la vocation et la vision de l'église, c'est de faire face à la société avec le message de pardon, d'amour, de renouvellement et de transformation.
Espoir pour la société, espoir pour nos jeunes, avenir pour l'église bien sûr, mais aussi pour notre ville et pour notre monde. Ce n'est pas seulement un changement en pensant que si on essaie de changer, Dieu va nous accompagner. Mais en plus de nous donner la sagesse et la force comme pour Esaïe d'aller dans le monde et de faire face mais ce, avec détente, avec plaisir, avec humour, avec courage et avec l'assurance que nous sommes une communauté et que nous avançons ensemble les uns avec les autres et ensemble avec l'esprit de notre Dieu.
Amen !