Chers amis,
À ses lecteurs en danger, l'auteur de la lettre aux Hébreux propose " une ancre pour leur âme ", une ancre pareille à celle qui figure ce mois dans les pages centrales de " Bonne Nouvelle ". À ses " marins-lecteurs " qui pilotent difficilement le bateau de leur vie chrétienne dans le monde tel qu'il est autour d'eux, l'auteur propose une ancre " bien fermement fixée ".
Mais précisons : ce qui menace la vie croyante de ces chrétiens de la 2ème moitié du premier siècle, ce ne sont pas d'abord des réalités extérieures, persécutions ou catastrophes, pense-t-on, mais plus probablement une certaine fatigue. Vous l'avez entendu, l'auteur leur écrit : " Ne ralentissez pas votre zèle ! ", " Que chacun de vous montre la même ardeur jusqu'à la fin ! " et il disait déjà au troisième chapitre " encouragez-vous à tenir… ! "
Il n'est pas facile de discerner la cause de cette lassitude chez les destinataires de la lettre. Peut-être déjà la patience que leur impose l'attente, plus longue que prévu, du retour du Seigneur. Ce que l'on sait par contre beaucoup mieux, trop bien, c'est ce qui nous fatigue, nous, dans notre vie de femme et d'homme, dans notre vie chrétienne au cœur de notre monde tel qu'il est : Quelle fatigue lorsque les cadres professionnels, sociaux, humains dans lesquels nous ramons sont insatisfaisants et correspondent toujours moins à ce à quoi nous aspirons ! Quelle fatigue quand le monde est toujours plus fou ! Quelle fatigue lorsque les sollicitations multiples nous écartèlent et surchauffent les agendas ! Quelle fatigue lorsque les changements continuels dans les structures qui nous accompagnent de l'école à la vie professionnelle, de la vie professionnelle au grand âge, et même dans l'institution ecclésiastique nous forcent à toujours nous informer, nous adapter, et repenser et remettre en place ! Quelle fatigue lorsque les événements de l'existence font que, brusquement, nous ne sommes plus très sûrs que notre vie, à notre place, avec l'énergie que nous dépensons, les projets que nous nourrissons, la peine que nous nous donnons, a encore un sens ! Quelle fatigue ! Nous n'en sommes plus à la normalité où une fatigue en chasse une autre. Non, elles s'accumulent, s'ajoutent les unes aux autres et c'est alors comme une lourde lassitude qui émousse les convictions, qui pèse sur l'enthousiasme dans le service, qui ôte la patience dans les relations.
Notre qualité de présence personnelle s'en trouve alors fanée. Notre qualité de vie communautaire se trouve aussi atteinte et se relâche. Et ce n'est pas seulement le risque dans nos vies communautaires paroissiales.
" Ne ralentissez pas votre effort !", " Que chacun de vous montre la même ardeur jusqu'à la fin ! ", " Encouragez-vous à tenir !", Notre auteur voit la barque de ses lecteurs, lasse, dériver, chancelante sans plus offrir de vraie résistance aux sirènes du moment. Et c'est pour cela qu'il leur propose " une ancre pour leur âme ". Une ancre solidement fixée.
Fixée où et à quoi ? Fixée à leur remarquable passé ? Il y a en effet une solidité qui peut venir de l'attachement à la ligne suivie dans le passé. On se dit alors : " Tu as tenu jusque-là, tu ne vas pas abandonner en si bonne voie ", " Il ne faut pas que les autres puissent dire : on ne te reconnaît plus ". Effectivement, les destinataires de la lettre semblent avoir un beau passé. Vous avez entendu ce que leur dit l'auteur : " Dieu n'oubliera pas votre activité et l'amour que vous avez montrés pour son nom au service des croyants dans le passé ". Ils ont un grand passé, mais ce n'est pas dans ce grand passé que l'ancre qui les sauvera est fixée.
Où est-elle fixée ? Dans les édifiants souvenirs laissés par quelques géants de la foi ? Effectivement, il y a certainement une solidité qui s'ancre dans l'admiration de personnes que l'on considère à tort ou à raison comme des modèles. Et dans notre passage, les lecteurs sont invités à se souvenir d'Abraham le persévérant. Ne dit-on pas qu'il a attendu 25 ans, sans se lasser, entre la promesse reçue d'une descendance lorsqu'il quitte Haran et sa réalisation. Il y a ainsi des personnages références (on en parle un peu ces temps), mais, ce n'est pas à ces repères-là qu'est fixée l'ancre qui sauvera de la dérive les lecteurs de la lettre.
Non, ici, l'ancre qui leur est offerte à saisir, qui nous est offerte à saisir, elle est fixée dans le ciel, elle est fixée - nous dit notre texte - au-delà du voile, donc dans la présence de Dieu. Elle est fixée à ce qui a guidé le Christ, elle est fixée là où il veut finalement nous entraîner. Elle est l'ancre de l'espérance, elle nous attache à l'invisible promis.
Il y a une persévérance qui se fortifie de l'attention au but promis, au but fixé. Il y a une force de maintien de l'enthousiasme, qui vient de ce que l'on sait pour quoi on navigue. Il y a un repos régénérateur de courage qui vient de ce que l'on sait que le Christ nous précède en nous ouvrant un chemin de salut. Ou, pour reprendre le langage du psaume 84 lu en ouverture du culte, il y a des forces que l'on gagne et que l'on renouvelle " à mesure que l'on s'avance pour se présenter devant Dieu ".
À propos, pendant quelques semaines de mars ou d'avril, une publicité avant ou après le 22h30 nous invitait à acheter le journal Bilan et à y lire un article sur les apprentis et entre autres sur leur manque de motivation. En fait, c'était aussi un article révélateur de la lassitude des patrons. Or c'était intéressant : de tous les patrons interrogés, le seul qui gardait son enthousiasme d'éducateur - et il gardait aussi proportionnellement à la grandeur de son entreprise davantage d'apprentis - c'était celui qui formulait le plus clairement son espérance. Une espérance qu'il nourrissait quant à l'avenir des jeunes qui lui étaient confiés.
Une espérance qui l'habitait quant à son rôle, sa vocation de formateur. Il apparaissait nettement qu'il y a un lien entre l'espérance qui nous remplit et la force que l'on reçoit pour traverser les difficultés. Une espérance claire évite les dérives de la lassitude, Jacques H. mécanicien à Romanel, respect !
Ou encore ceci : pour le matin de Pâques, un de nos groupes paroissiaux a préparé un texte et nous avons entendu ici même l'une d'entre vous lire ceci : " Seigneur, avec toi, j'ai traversé des obscurités intérieures : les regrets, la culpabilité, la lassitude, l'amertume, la violence, la maladie, le deuil… L'espérance m'a toujours guidée, et chaque fois que j'ai crié vers Toi, tu m'as donné sérénité et confiance, et la paix dans la souffrance ". Il y a un lien entre l'espérance qui nous habite et la force que l'on reçoit pour traverser les difficultés.
Alors, " mes bien-aimés " comme dit l'auteur de la lettre, mes biens aimés sœurs et frères dans la foi, mais aussi parfois sœurs et frères dans une certaine fatigue. " Que rien ne ralentisse notre effort !". " Que notre ardeur demeure !" Pour cela il nous est offert " une ancre pour notre âme ". Il nous est offert, dans le décor spectaculaire et souvent démotivant de notre monde, la bénédiction de pouvoir rester solidement liés à ce qui est invisible.
Il nous est offert, dans notre histoire agitée et usante, la bénédiction de pouvoir rester solidement attachés à ce qui demeure, à ce qui aura le dernier mot. Il nous est offert, à l'aube de chaque journée, la bénédiction de pouvoir rester attaché à celui qui nous précède et nous attend : notre Seigneur Jésus-Christ.
Aussi, la barque de notre âme chancelle ou dérive, lançons et lançons encore, même si nous l'avons déjà tenté 100 fois, lançons notre ancre dans le ciel et ne la lâchons pas!
Amen !