Chers auditeurs, chers paroissiens,
Ce culte radiodiffusé a ce matin une couleur bien particulière qui est à mettre en lien avec l’événement que nous commémorons aujourd’hui : à savoir le dimanche de la Réformation. En effet, s’il est un élément particulier sur lequel les Réformateurs, tant Luther que Calvin, ont beaucoup insisté, c’est le retour de la musique au peuple chrétien : c’est-à-dire, faire chanter l’ensemble des fidèles, y compris les femmes. Calvin mettra en exergue en particulier les psaumes, ces chants issus de la tradition juive que Dieu met dans la bouche des fidèles pour chanter sa gloire. Voilà pourquoi, ce matin, l’ensemble de ce culte met si fortement en avant les psaumes.
Pour bien saisir le contexte de ce qui nous paraît aujourd’hui évident, il faut savoir qu’au début du 16ème siècle la musique n’était quasiment que religieuse et elle était chantée en latin par des religieux ou par la schola, ce choeur de jeunes garçons. Le chant, largement polyphonique et harmonique, était l’apanage de « professionnels ». L’assemblée assistait à la messe, mais n’y participait pas. Les Réformateurs ont voulu spécifiquement que les fidèles puissent louer Dieu par eux-mêmes. Et pour ce faire, le chant d’Eglise va subir de profondes et nombreuses transformations au niveau des textes et de la musique. Pour faire chanter l’assemblée des fidèles, premièrement, il faut des chants en langue du peuple, pour que ce dernier puisse tout simplement comprendre les paroles. Les Réformateurs vont donc s’atteler à un gros travail de traduction, là en allemand, ici en français.
Mais il faudra également adapter les textes pour qu’ils puissent être chantés. On va donc les mettre en strophes sous forme de poésie métrique, c'est-à-dire avec un certain nombre de pieds ou syllabes auxquels vont correspondre des notes de musique. Finalement, la mélodie elle-même va devoir être au service du texte et non l’inverse : elle va soutenir par sa prosodie les accents toniques de la langue.
Toutefois, entre Luther et Calvin, on observe une grande différence qui fait aujourd’hui la richesse d’un recueil comme le Psaumes et Cantiques. Luther aimait la musique et en a même composé. Comme il le disait lui-même : «Dieu annonce l’Evangile aussi par la musique.» Luther veut mettre le Christ au centre du culte. Mais il manque cruellement de chants s’appuyant sur des épisodes du Nouveau Testament. Il va donc composer ou faire composer de nouveaux chants prêchant l’incarnation, la croix ou la résurrection. Ce sont les fameux chorals luthériens. Le plus fameux des compositeurs luthériens s’appelle Jean Sébastien Bach. Le plus célèbre choral est de la main-même de Luther et s’intitule : «C’est un rempart que notre Dieu».
Calvin et ses disciples sont allés plus loin dans la réforme de la musique, bannissant tout ce qui pouvait rappeler la mainmise de « professionnels » sur la musique religieuse. Ils vont aller jusqu’à supprimer les orgues de chœur. Sous Calvin, le chant des fidèles se fait a capella, c’est-à-dire sans le soutien d’instrument de musique, mais aussi à l’unisson, les hommes chantant la mélodie à une octave inférieure à celle des femmes. Le répertoire réformé est le chant des psaumes qui deviendra nos traditionnels psautiers que ces derniers soient genevois, français ou romands.
C’est lors de son séjour à Strasbourg, auprès de Martin Bucer, que Calvin découvre les psaumes chantés en allemand par l’assemblée. A la suite de Luther, Bucer a mis en vers et en strophes l’ensemble des psaumes. Calvin en est profondément touché. Et il reprendra cette idée, mais en confiant à de vrais poètes et de vrais musiciens la mise en vers et en musique de l’ensemble des psaumes. C’est un travail de plus de 20 ans, chapeauté par des personnalités comme Clément Marot, Théodore de Bèze, Loys Bourgeois ou Claude Goudimel. Ce dernier harmonisera le désormais célèbre Psautier de Genève en le rendant polyphonique et alors réservé à un usage privé, en famille.
Pourquoi Calvin a-t-il restreint si drastiquement sa source d’inspiration aux psaumes ? La réponse se trouve certainement dans les fameux trois exclusivismes de Calvin : la foi seule, l’Ecriture seule, à Dieu seul la gloire ! Les psaumes justement répondent très bien à ces trois préoccupations de la Réforme : la foi seule, parce que les psaumes sont l’expression de la foi du peuple de Dieu, l’Ecriture seule parce que les psaumes sont bibliques, à Dieu seul la gloire parce que les psaumes glorifient Dieu.
Aux yeux de Calvin, on ne saurait user avec légèreté d’un instrument aussi puissant que le chant, qui a, nous dit Calvin : « grande force et vigueur pour émouvoir et enflammer le coeur des hommes ». Il convient donc de s’assurer que les textes chantés soient bien à propos, car, nous dit Calvin : «quand la mélodie soutient de mauvaises paroles, cela transperce beaucoup plus fort le cœur».
Ainsi, aux yeux de Calvin, il n’y a pas de meilleure chanson ni plus propre à l’édification de la foi que les Psaumes de David. Quand on les chante, on est certain, nous dit Calvin : «que Dieu nous met en bouche les paroles, comme si Lui-même chantait en nous, pour exalter sa gloire» !
Si aujourd’hui le chant des psaumes n’est pas l’apanage de la seule Réforme, il constitue néanmoins un élément essentiel de l’identité protestante. Mais aujourd’hui, il nous faut bien reconnaître que c’est justement au niveau du psautier ou de la musique en général, que se cristallisent nombre de tensions internes aux Eglises protestantes. Et cela est d’autant plus vif que, comme le soulignait déjà Calvin, avec la musique ce sont les émotions, les affects qui parlent. Je ne suis pas loin de penser que nous sommes plus près à nous diviser par rapport à tel ou tel recueil de chants, à tel ou tel style musical, que par rapport à telle ou telle option théologique.
Nos propres histoires paroissiales, ici à la Vallée de Joux ou là où vous êtes chers auditeurs, en sont certainement les témoins : que d’heures passées à discuter de la pertinence d’un nouveau recueil, que de tensions autour d’un synthétiseur ou d’une batterie, que de blessures parfois autour d’une louange censée montée vers Dieu. Aujourd’hui, je crains que le psautier est un peu le parent pauvre de nos célébrations : les jeunes l’ont renié car étranger à leur culture, les 40-60 ans ne maîtrisent que quelques chants, les anciens emportent avec eux un héritage qui n’a pas su être transmis. Le chant d’Eglise est en train de redevenir à nouveau l’apanage de « professionnels » qu’ils soient organistes ou chorales. La présence ce matin de l’Ensemble choral Val d’Orbe et de la Camerata baroque est en la parfaite illustration, malgré tout le plaisir et la reconnaissance pour leur apport précieux.
Mais il est justement précieux, car sans eux, on risque fort de paraître fade si ce n’est à nos propres oreilles, tout du moins aux oreilles des auditeurs. En ce dimanche de la Réformation, il serait peut-être bon de se réapproprier le rêve de Calvin : une louange biblique, portée par une foi vibrante, à la gloire de Dieu, et que tous peuvent entonner. A mes yeux, je ne vois que deux solutions : soit nous inventons un nouveau répertoire de chants au style original — c’est, il me semble, l’option prise par les frères de Taizé — soit nous nous réapproprions le psautier tout en intégrant certains apports récents d’une louange moderne.
Mais cette dernière solution ne se fera pas sans un certain effort : nous avons besoin des anciens pour qu’ils nous transmettent leur savoir. Même si la voix n’est plus aussi assurée qu’hier, vous pouvez participer à faire apprendre aux générations qui vous succèdent la richesse de votre patrimoine ; nous avons besoin des 40-60 ans pour qu’ils s’attellent non seulement à l’apprentissage de leur propre héritage, mais aussi qu’ils fassent une réelle place à des styles musicaux jeunes et différents ; nous avons besoin des jeunes pour qu’ils découvrent leurs racines, pour qu’ils revendiquent une place légitime dans l’Eglise, mais aussi pour qu’ils portent un regard critique sur leurs propres apports musicaux.
En cette année du 500ème anniversaire de la naissance de Calvin, en ce dimanche de la Réformation, rêvons pour nos paroisses protestantes, ici comme au loin, de communautés unies et fières de louer le Dieu trois fois saint. Avec Théodore de Bèze, rêvons de faire nôtre ce psaume 96 :
Chantez à Dieu l’hymne nouvelle. Chantez, ô terre universelle. Bénissez son nom et chantez. Et de jour en jour proclamez le grand salut qu’Il nous révèle. A Dieu seul la gloire.
Amen !
Psaume 96 (mis en rime par Théodore de Bèze)
Chantez à Dieu l’hymne nouvelle
Chantez, ô terre universelle
Bénissez Son Nom et chantez
Et de jour en jour proclamez
Le grand salut qu’Il nous révèle.
Prêchez à tous peuples Sa gloire
Ses hauts faits dignes de mémoire
Car Il est grand, et sans douter
Plus à louer, à redouter.
Que tous ces « dieux » qu’on leur fait croire
Car ces faux dieux qui les étonnent
Sont un rien auquel ils s’adonnent.
Mais l’Eternel a fait les cieux
La force et l’éclat radieux
Vont devant Lui et L’environnent.
La gloire et la magnificence
Sont dans Sa sainte résidence.
Familles des peuples, venez
Rendez à l’Eternel, rendez
Louange, honneur, obéissance.
Louez l’Eternel d’une sorte
Digne du très saint Nom qu’Il porte.
Venez humblement, nations
De bon coeur offrez-Lui vos dons.
Ses parvis vous ouvrent leurs portes
Que l’humanité se rassemble
Afin d’adorer tous ensemble
Devant l’Eternel, dans l’éclat
De Sa sainteté ici-bas
Et que toute la terre en tremble
Et que chacun, où qu’il puisse être
Dise : l’Eternel est le Maître
D’âge en âge il affermira
Le monde et le gouvernera.
Le royaume attendu va naître
Qu’on entende sous cet empire
Les cieux chanter, la terre rire
L’océan spacieux tonner
Les chants, les forêts s’égayer.
Que tout L’adore et tout L’admire
Cette révélation est claire
Il vient, Il vient juger la terre
Juger le monde justement
Et tout peuple impartialement
Dans Sa fidélité plénière.