De quoi l’avenir sera-t-il fait ? Êtes-vous optimistes ? À l’image de l’Hebdo avec sa couverture rose, vous pensez que des solutions seront trouvées. Êtes-vous pessimistes ? Comme cet ami qui scrute anxieusement l’avenir anticipant les catastrophes. Ou désabusés : « Tout change, même l’avenir n’est plus ce qu’il était ! »
Optimistes ou pessimistes ? En tous cas, aujourd’hui, on ne croit plus que Dieu mettra fin, un jour, à l’expérience « humanité ». L’idée du Jugement dernier donne lieu à des plaisanteries, Plus personne n’a la conviction salutaire qu’il devra un jour rendre compte de ses actes. La sincérité justifie toutes les volte-face. Les émotions deviennent le critère de nos comportements; l’instant prend le pas sur la durée.
Aujourd’hui, de grandes craintes ont pris la place des convictions du passé : la peur de l’épuisement des ressources naturelles, le réchauffement climatique accéléré qui produit déjà certains effets désastreux et éveille des terreurs que l’on croyait dépassées. Sans parler des peurs de pandémies qui s’emparent régulièrement de nos sociétés occidentales si mal à l’aise avec le vieillissement et la mort. Certains films apocalyptiques montrent le monde et ses habitants livrés à des forces obscures et mettent ainsi en images nos craintes diffuses. « L’homme tremble pour des maux qui n’arriveront jamais et pleure sans cesse pour des biens qu’il n’a pas encore perdus» disait déjà l’écrivain Goethe.
Optimistes ? Quand nous nous sommes levés du bon pied. Pessimistes ? Quand les contrariétés s’accumulent. Les disciples de Jésus se préoccupaient aussi de la fin des temps. Ils voulaient savoir quand et comment ces événements arriveraient. À l’époque, dans le judaïsme, on cherchait à deviner quand surviendrait l‘apocalypse, on scrutait les événements à la recherche de signes précurseurs. La réponse est claire : « Vous ne savez ni le jour ni l’heure : veillez !» Pour l’évangéliste Matthieu, la fin des temps et le retour du Christ vont de pair. Il illustre son propos par trois paraboles bien connues : le récit du Jugement dernier, la parabole des talents et celle qui nous a été lue tout à l’heure intitulée « Les dix vierges! »
De quoi notre avenir sera-t-il fait ? « Alors le Royaume des cieux sera semblable à dix jeunes filles…» Vous avez remarqué les anomalies choquantes de cette parabole.
- un époux scandaleusement en retard pour ses noces ;
- le refus de partager des jeunes filles sages ;
- l’exclusion définitive prononcée par l’époux envers les vierges dites insensées, une attitude peu généreuse le jour de ses noces ;
- un mariage célébré en pleine nuit au point que les demoiselles d’honneur s’endorment toutes !
1. La fin des temps ? La fête que Dieu nous prépare.
La fin des temps ? C’est l’irruption du Royaume des cieux. Le dernier mot de Dieu sur notre avenir, sur l’avenir de l’humanité n’est pas une catastrophe, mais une fête ! « Vous ne savez ni le jour ni l’heure ». Inutile de vous perdre en de vaines spéculations, préparez avec confiance l’arrivée de l’époux, comme on prépare une fête. Dieu n’abandonne pas l’histoire à elle-même.
Veiller, c’est croire que nous allons non vers le vide et l’absurde, mais vers un événement majeur, joyeux, désiré : une fête !
2. Un retard libérateur
Matthieu écrit son évangile après Marc, mais il est le seul des évangélistes à nous raconter cette parabole. Il pense à sa paroisse, composée de Juifs qui ont suivi le Christ et qui attendent impatiemment son retour. Ils sont d’ailleurs convaincus que le Christ reviendra encore de leur vivant. Forts de cette même conviction, les paroissiens du 1er siècle après Jésus-Christ en tiraient des conclusions diamétralement opposées :
- Certains ne travaillaient plus, abandonnaient toute responsabilité, ne se mariaient plus, bref ne prenaient plus aucun engagement pour vivre au jour le jour.
- D’autres ne croyaient plus en la venue du Christ et vivaient comme si l’avenir dépendait uniquement d’eux-mêmes et de leurs actions
- D’autres encore spiritualisaient le retour du Christ : c’est dans nos cœurs, dans notre âme que tout cela se passe sans aucun impact sur la vie en société et sur l’action dans ce monde. C’est pour eux que Matthieu écrit ces chapitres.
Ce retard de l’époux libère de la tyrannie de l’instant, du « tout, tout de suite ». La confiance – dans la certitude de l’arrivée de l’époux – permet de vivre avec les frustrations qu’entraîne son retard. Le temps présent est un temps de crise qui marque le passage du Royaume des cieux actuellement caché vers le Royaume pleinement manifesté. Parce que l’avenir s’ouvre sur une confiance, chacun est libéré de la peur pour s’engager dans le présent : non pas dans un «carpe diem» avide, sans passé et sans avenir. Non, ce serait renoncer à la mémoire, à l’imagination et à la volonté.
Veiller, c’est vivre dans le présent et recevoir l’avenir comme un don.
3. Avoir de l’huile : un détail déterminant
Matthieu nous décrit deux comportements contraires des demoiselles d’honneur. Qu’est-ce que la folie des unes ? Ne pas avoir anticipé le retard, un retard important de l’époux. Elles n’ont pas emporté de provisions suffisantes d’huile pour « gérer » un retard de l’époux. Tant que le retard ne survient pas, il n’y a pas de différence visible entre les jeunes filles. Toutes s’endorment !
Ce n’est pas le sommeil des jeunes filles qui est critiqué, sages et insensées, elles s’endorment toutes. L’erreur n’est pas de s’endormir, mais de n’avoir pas anticipé. Qu’est-ce que cette huile ? Plusieurs hypothèses ont été émises. Est-ce la foi ? Est-ce un engagement responsable dans le monde ? Les deux certainement, comme les deux faces d’une même médaille. Pour Matthieu, la foi sans acte n’est pas la foi.
Dans un livre étonnant intitulé « Face à l’extrême », le chercheur au CNRS de Paris, Tzvetan Todorov, décrit l’action des « sauveteurs » par opposition aux héros. Ces personnes ont toutes sauvé au moins un individu menacé, au risque de leur propre sécurité. Le couple de Magda et d’André Trocmé a organisé le sauvetage de très nombreux juifs dans le village cévenol de Chambon-sur-Lignon durant la dernière guerre mondiale. André Trocmé y exerçait son ministère pastoral. C’est l’attitude de son épouse, Magda qui nous intéresse ici. Magda a affaire à des personnes concrètes qu’il faut aider par des gestes quotidiens : « Non seulement, je ne suis aucunement une héroïne, mais je ne suis même pas une bonne chrétienne; tout ce que j’ai fait, c’est ouvrir ma porte quand on a frappé et partagé mon repas quand l’autre avait faim ». Veiller, c’est faire aux autres ce que nous voudrions qu’ils nous fassent. (Matthieu 7, 12)
4. Personne ne peut vivre à notre place
« Au milieu de la nuit, un cri retentit… » On ne sait pas qui prononce ce cri. Mais ce cri signifie : « les jeux sont faits ! » Tout le monde se réveille. Les jeunes filles sages ont besoin de leur huile pour remplir leur mission. Elles ne partagent pas, l’entraide n’est plus possible.
La porte est fermée. Cinq demoiselles d’honneur ont prévu l’imprévisible, cinq autres non. Une sévérité que nous n’aimons pas, car nous n’aimons pas que nos actes aient des conséquences. Nous sommes renvoyés à la réalité quotidienne. Chacun a pour vocation d’être acteur de sa vie et d’assumer ses actes et ses choix. Durant notre existence, c’est à nous de jouer. Personne ne peut vivre à notre place. « Chacun doit apprendre à s’inquiéter, sinon il périt par l’absence de toute angoisse ou parce qu’il est submergé par elle. Celui qui a appris à s’inquiéter de la bonne manière est parvenu au sommet», écrivait le philosophe Sören Kierkegaard.
Veiller, c’est s’inquiéter à bon escient et agir dans le présent.
Vous et moi sommes avertis : la participation au festin final se joue maintenant, dans cette vie qui nous est donnée. Ne nous excluons pas nous-mêmes de la fête !
Conclusion : le voile s’est levé
Optimistes, pessimistes ? Ni l’un ni l’autre. Mais réalistes, invités à la confiance et à la vigilance. N’attendons pas passivement de Dieu qu’il sauve miraculeusement le monde de ses catastrophes. N’attendons pas de Dieu qu’il nous évite nos limitations, nos fragilités et les risques de la vie.
Refusons de nous laisser écraser par l’ampleur de la tâche. Devant la dégradation de la planète, devant notre mort ou celle de ceux que nous aimons, devant les épreuves de toutes sortes : ni fuite de nos responsabilités, ni repli égoïste, ni « sauve-qui-peut » dans des spéculations réconfortantes, ni découragement devant les résultats !
Nous nous engageons avec confiance dans les combats quotidiens et concrets pour plus de justice, plus d’amour et pour la sauvegarde de la création. Nous préparons l’imprévisible : l’irruption du Royaume parce ce que nous faisons nôtre la foi de l’écrivain Georges Bernanos : « Il n’y a pas un Royaume des morts et un Royaume des vivants, il n’y a qu’un Royaume de Dieu et nous sommes dedans ! » Parce que nous voulons dire, avec Job « Je sais que mon Rédempteur est vivant, et que Lui – le dernier – se lèvera sur la terre.. » Amen !
Confession de foi
Nous disons notre foi avec ces paroles retrouvées sur une religieuse tuée le 10 novembre 1995 :
« Vis le jour d’aujourd’hui. Dieu te le donne, il est à toi, vis-le en Lui.
Le jour de demain est à Dieu, il ne t’appartient pas. Ne porte pas sur demain le souci d’aujourd’hui. Demain est à Dieu, remets-le Lui.
Le moment présent est une frêle passerelle : si tu la charges de regrets d’hier, de l’inquiétude de demain, la passerelle cède et tu perds pied.
Le passé ? Dieu le pardonne.
L’avenir ? Dieu le donne.
Vis le jour d’aujourd’hui en communion avec Lui.
S’il y a lieu de s’inquiéter pour un être bien-aimé, regarde-le dans la Lumière du Christ ressuscité. »
Amen !