Du miracle au mirage...

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Écouter le culte :

« Otez les miracles de l’Evangile et toute la terre est aux pieds de Jésus Christ ». Par cette formule célèbre, Jean Jacques Rousseau a ouvert une controverse à propos des Ecritures saintes qui n’est pas prête d’être refermée. Soyons honnêtes, nous chrétiens du XXIème siècle continuons d’avoir des difficultés avec la question des miracles. Faut-il pour autant aller jusqu’à les ôter pour rendre l’Evangile crédible ?
Suivons d’abord le raisonnement de Rousseau.

Pour lui, la foi et la raison ne s’excluent pas. La foi a besoin de la raison comme outil critique. Le premier pas pour parvenir à la foi saine d’un vrai chrétien, c’est de commencer par être sceptique. Afin de ne pas croire n’importe quoi. La raison, même si elle n’est pas toute puissante, est un précieux instrument de contrôle et d’assainissement de la religion. Elle fait la chasse à ces scories de la foi que sont la superstition, la charlatanerie et les traditions humaines accumulées au fil des siècles. La raison nous a été donnée pour délivrer la foi de la tentation de l’obscurantisme.

On reconnaît ici l’idéal de l’homme du siècle des Lumières, qui affirme son droit d’examiner librement toute chose et qui ne veut pas s’en laisser conter sur le plan spirituel.
Lorsque cet idéal des Lumières se met à souffler sur la Bible, il se passe que le texte apparaît comme devant être nettoyé des scories qui cachent l’essentiel.
Comme si l’Evangile était un diamant qu’il fallait dégager de la gangue de l’imagination, des superstitions et des légendes incroyables. La lecture au pied de la lettre (c’est vrai parce que c’est écrit) est par définition absurde. La lettre biblique doit passer par l’examen de la raison et de la conscience.

Aux yeux Rousseau, les miracles (ou les signes, j’y reviendrai), ceux du Premier et du Second Testament, font partie de ces scories, de ces superstitions dont le message libérateur de l’Evangile doit être débarrassé pour mieux se faire entendre. Au lieu d’être, comme on le suppose d’ordinaire, un soutien ou une preuve de la foi, le miracle est le principal obstacle à la foi. Je ne crois pas grâce aux miracles, je crois malgré les miracles ! Et si l’on a besoin des miracles pour croire, c’est que l’on est superstitieux et idolâtre. Le besoin de preuve va en sens inverse de la foi.
Parvenu à ce point, Jean-Jacques n’y va pas par quatre chemins. Les miracles sont des mirages, des tours de prestidigitation sophistiqués, on peut voir les mêmes aux foires de Venise et de Paris.
Quant aux guérisons et aux réanimations dont le Nouveau Testament est parsemé, elles ne sont pas en dehors de la nature, la médecine les expliquera bien un jour.

Là dessus, en lecteur assidu de la Bible, Rousseau cherche – et trouve – des appuis scripturaires à sa théorie.
En voici deux.

1) Des pharisiens viennent demander à Jésus un signe miraculeux prouvant sa messianité. Rien d’anormal, c’est une demande conforme aux attentes de la venue du Messie, très intenses à cette époque. Selon la tradition, le Messie doit être accompagné de signes du ciel attestant de l’authenticité de sa vocation et de sa mission.
Or Jésus refuse de faire un miracle. Il montre de l’agacement. Il déclare que seul sera donné le signe de Jonas. Ce signe de Jonas a fait couler beaucoup d’encre. Jonas, vous vous en souvenez, est ce prophète que Dieu envoie prêcher la repentance aux habitants de la ville de Ninive et qui s’empresse de filer dans la direction opposée…
Rousseau explique que le signe de Jonas, le seul signe dont Jonas dispose pour convaincre les habitants de Ninive, c’est sa prédication, c’est sa parole. Par conséquent le signe principal donné par Jésus à sa génération, ce sera sa prédication, sa parole. C’est sur la parole de Jésus, et sur sa parole seule, que notre foi doit se fonder. En aucun cas sur des miracles.

2) Ensuite il y a les allusions au retour du Messie à la fin des temps dans l’Evangile de Marc. Jésus invite ses auditeurs à la vigilance et au discernement. Des signes du retour, il y en aura tant et plus. Même les faux Messies en feront. Ils en feront de si convaincants que les croyants les plus fidèles s’y laisseront prendre.
Alors si un faux Messie est capable de miracles séducteurs, c’est bien que ces derniers ne sont la preuve de rien du tout !
Conclusion : Mettre les miracles de côté est la tâche prioritaire de celui qui veut croire sérieusement. La foi est confiance en une parole.

Admettons que ce point de vue de Rousseau rejoint des sentiments répandus parmi nous, quoique pas toujours avoués. Les miracles nous embarrassent.
On ne sait pas trop quoi en faire.
Que penser de certaines mouvances néo-chrétiennes qui font leur publicité tapageuse sur des promesses de guérison et de miracles à la chaîne? Où cela les mènera-t-il ? Que dire, a contrario, de tous ces miracles que Dieu ne fait pas, dans l’actualité désolante de notre monde ? Dostoïevski, par la bouche d’Yvan Karamazov, dit que Thomas, alors même qu’il touchait et voyait, n’a cru que parce qu’il avait décidé de croire…

Sauf que Rousseau n’a pas épuisé la question. J’aimerais attirer l’attention sur deux points qu’il n’aperçoit pas.

Premier point.
Qu’est-ce qu’un miracle de la Bible? D’abord et avant tout un fait de littérature. Un fait de langage écrit et lu. Le miracle est un moment particulier de la parole.
Je répète à mes catéchumènes que l’objectif le plus important du catéchisme, c’est d’apprendre à lire. Lorsque nous lisons le texte biblique, il faut prendre conscience que nous n’avons jamais un accès direct aux évènements, mais seulement à des récits de ces événements, réels ou pas. Nous ne saurons jamais si Jésus a effectivement guéri l’aveugle-né, le paralytique ou la femme atteinte d’une perte de sang. Nous ne saurons jamais de science objective s’il a guéri le possédé de Gérasa, s’il a multiplié les pains et les poissons. Nous ne saurons jamais s’il a rendu la vie à la fille du grand Rabbin de la Synagogue pas plus que nous ne serons jamais à la place du disciple Thomas qui voit et touche…

Deuxième point
L’Ecriture emploie pour miracle le mot signe, séméïon en grec. Ce que nous appelons un miracle est en réalité un signe. Un signe est quelque chose qui ne se suffit pas à lui-même. Il renvoie à autre chose. Il demande à être interprété.
Exemple, le proverbe paysan cité par Jésus:
Rouge le soir la pluie est en retard,
Rouge le matin la pluie est en chemin.
La couleur du ciel est un signe du temps qu’il va faire. Jésus nous donne cette précieuse clé de lecture. Les récits de miracles sont autant de signes particuliers disséminés dans le grand récit biblique que nous appelons la parole de Dieu.

Et vers quoi ces signes font-ils signe ?
Toujours vers les autres et vers Dieu.
Jésus agit pour les autres, pour leur bien, leur mieux-être, leur santé. Ces signes sont une manière de dire que Dieu prend soin de l’humanité. Cela est vrai depuis le signe du buisson ardent jusqu’au signe du tombeau vide. Les signes sont une forme de prédication de la bonne nouvelle selon laquelle Dieu est le Dieu de la libération des hommes aux siècles des siècles.
J’ajoute que ces signes sont donnés pour susciter notre interrogation et notre envie de comprendre. Ce sont des énigmes, comme des sphinxs, qui poussent à aller plus loin pour découvrir la proximité de Dieu dans notre vie. Découvrir que le mystère de Dieu est présent là où je ne le soupçonne pas.

Un sage a eu ce mot : Un miracle, c’est quand quelqu’un écoute la parole et la met en pratique… Et si c’était ça, en effet, le véritable miracle ? Toute libération, toute guérison, toute réconciliation authentique à laquelle nous contribuons ou dont nous bénéficions est un miracle. C’est le signe des forces positives de Dieu qui sont à l’œuvre parmi nous et à travers nous. Vous ferez des choses plus grandes que les miennes, a prophétisé le Christ…

Aussi nous ne pourrons pas nous satisfaire d’une Ecriture tronquée ou épurée.
Il y a un grand risque à trier ce qui nous arrange dans la parole de Dieu pour n’entendre que ce qui nous plaît. Veut-on un Dieu en prêt-à-porter, qui corresponde à l’idée convenable que nous nous faisons de lui ? Ou acceptons-nous l’inconfort d’un Dieu en robe de chambre, je veux dire un Dieu brut, théologiquement incorrect, qui ne nous facilite pas les choses ? Le texte est le texte, prenons-le tel qu’il est. Confrontons-nous avec ce qui nous dérange. Interprétons.
Car la parole de Dieu n’est pas donnée pour nous faire plaisir.
Elle est donnée pour que nous grandissions en foi et en humanité.

Amen.

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Avec la participation de
Camille Loup
Orgue
François Delor
Musique