Quelle place notre foi laisse-t-elle aux animaux ?

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Connaissez-vous la galerie d’anatomie comparée du Jardin des Plantes, réalisée pour l’Exposition Universelle de 1900 et préservée depuis ? C’est un endroit extraordinaire. Plus de mille squelettes de vertébrés y sont présentés, alignés comme à la parade. Le visiteur est saisi par l’évidence de la continuité entre les espèces, tant disparues qu’actuelles, qui se dégage de l’ensemble. Lui-même se sent impliqué dans la parenté universelle du vivant. Du coup, s’il est chrétien, le visiteur s’interroge : Quelle place notre foi réserve-t-elle aux animaux ?

La voix de Qohelet donne sa réponse en forme d’interrogation : Qui peut savoir si le souffle des fils de l’homme monte en haut tandis que de celui des animaux descend vers la terre ?
Qohelet a ici l’intuition étonnante de l’unité du vivant. Il voit l’ensemble des êtres apparentés par un même souffle qui les anime. Entre l’homme et l’animal, il constate une communauté de destin. L’un et l’autre naissent, vivent et meurent. L’un et l’autre sont bien portants ou malades, joyeux ou tristes. De ce point de vue, l’homme est une bête comme les autres.

Cette réflexion de Qohelet va à l’encontre de l’anthropocentrisme traditionnel de la pensée chrétienne, laquelle dans ses expressions majoritaires a fait de l’être humain le nombril de l’Univers. N’est-ce pas à lui que le salut de Dieu s’adresse ? D’ailleurs l’incarnation – le Verbe s’est fait chair - concerne un homme, le Christ, et non un animal.

Il reste que l’Ecriture Sainte accorde à l’animal une attention soutenue, bien plus favorable qu’on ne le croit couramment. Ce sont les théologiens qui dans l’ensemble se sont montrés sur ce sujet un peu légers avec les sources scripturaires.

Une mise à jour me paraît à la fois indispensable et urgente. Sous le double effet de l’explosion démographique et de la dégradation de l’environnement, les questions relatives à l’animal sont passionnément discutées de nos jours, comme en témoigne la récente pétition lancée par la Fondation 30 Millions d’Amis avec l’appui de philosophes, écrivains et scientifiques de renom. Donc l’animal vient à questionner aussi notre foi et notre morale.

Si nous relisons les premières pages de la Genèse, quelques idées fortes se dégagent à propos des animaux. Pour commencer, les animaux et l’homme sont créés ensemble le sixième jour. Ce sont donc des cohabitants et des coexistants. Ils sont faits pour vivre ensemble dans un monde commun.

Puis Dieu confie à l’homme un pouvoir (1) sur les êtres vivants. Mais attention, ce n’est pas l’autorisation d’une prédation aveugle! Il s’agit plutôt d’une gestion sage du règne animal, à l’image du berger et de son troupeau ou du gardien de réserve naturelle. Preuve en est le régime alimentaire de l’homme qui, dans le jardin d’Eden, est végétarien. Dans le cadre idéal et parfait de l’Eden, on ne tue pas pour satisfaire ses besoins alimentaires, et l’animal n’est pas le garde-manger de l’homme.

Plus loin, après le Déluge, intervient l’alliance conclue par Dieu avec tous les êtres vivants - c’est mon second texte. Vous avez entendu la singulière insistance sur « l’alliance pour toujours avec tous les êtres vivants, humains et animaux ». C’est répété à cinq reprises en cinq versets! Une telle insistance n’est pas fortuite. Si le lecteur n’a pas compris que les animaux sont englobés dans la même bénédiction que lui, c’est que les mots n’ont plus de sens.... A leur manière, les animaux sont des partenaires de l’alliance avec Dieu.

Dans ces conditions, dira-t-on, pourquoi l’Ecriture ne va-t-elle pas jusqu’au bout ? Pourquoi ne prohibe-t-elle pas carrément les sacrifices et l’abattage rituel, si souvent mentionnés dans la Bible ? Grave question en effet.

C’est qu’après la sortie de l’Eden et le Déluge, nous entrons dans le monde de l’ambigüité.
La conflictualité avec les animaux en est le signe le plus tangible. Le Déluge est présenté comme un effet de l’irresponsabilité et de l’immoralité des hommes. La peur et la brutalité s’installent entre l’homme et l’animal. Le régime alimentaire carné, qui fait son apparition à ce moment précis du récit, est une concession au manque de maturité de l’homme. Nous sommes obligés de trouver des compromis parce que nous ne sommes plus dans l’Eden et pas encore dans le Royaume.

Mais il n’en sera pas toujours ainsi. Selon le prophète Esaïe, l’avènement du monde à venir sera marqué par la disparition du cycle de la cruauté. « Le loup habitera avec la brebis et le tigre reposera avec le chevreau ; veau, lionceau et bélier vivront ensemble et un enfant les conduira… ». C’est une manière de dire que la disharmonie régnant aujourd’hui entre les espèces ne constitue pas l’étape ultime de l’évolution du vivant.

En attendant, nous sommes dans le pis-aller d’une humanité encore prisonnière de ses pulsions prédatrices, que la Loi de Moïse s’efforce d’encadrer. Les animaux doivent être bien traités, bien nourris s’ils sont domestiques et respectés dans leur besoin de repos. Quant à la chasse, elle est formellement interdite. De toute façon, nous aurons des comptes à rendre pour toute vie animale prise inutilement.

Les chrétiens ne pratiquent plus de sacrifices. Mais en tournant le dos à la Loi de Moïse, ils ont peut-être perdu de vue certaines prescriptions importantes. Jusqu’à maintenant, ils n’ont pas fait du sort de l’animal une priorité, même si ça commence timidement à changer.
Ce qui a prévalu, c’est la chosification de l’animal. Le philosophe Malebranche, prêtre oratorien, était un partisan résolu de la théorie de l’animal-machine, très à la mode au Grand Siècle. On raconte qu’il donnait de grands coups de pieds à son pauvre chien en expliquant : Cela crie, mais cela ne sent rien !
La conception absurde et non biblique selon laquelle les animaux n’existeraient que pour l’utilité de l’homme l’a emporté.

Aujourd’hui, avec la chasse récréative autorisée par bien des pays, avec l’élevage et l’abattage industriels, avec les manipulations génétiques et l’hybridation à but commercial, avec le trafic d’animaux sauvages, on est allé très au-delà de ce que pouvaient imaginer les auteurs bibliques…

Revenons à l’enseignement du Maître. Jésus savait que les animaux ne sont pas des machines mais des créatures sensibles. A plusieurs reprises, il affirme que la providence divine veille sur les animaux.

Les moineaux dont parle le Christ dans Luc sont l’illustration concrète de la générosité de Dieu. Dire que pas un seul n’est oublié devant Dieu, c’est dire que l’animal existe pour lui-même. Il n’est pas à la discrétion de l’homme, même si celui–ci le capture et le vend. Il n’est pas une chose. Il n’est pas un jouet. Il est un être sensible avec lequel il est possible de nouer des relations très subtiles. Il est une créature dont nous ne sommes pas le créateur. Il a été créé pour la gloire de Dieu. Si l’homme est à l’image de Dieu, l’animal est pour la gloire de Dieu.

Quelles leçons tirer de tout cela ?

Commençons par clarifier nos idées morales. Nous confondons l’animalité et l’inhumanité. Seul l’être humain peut se montrer inhumain et se laisse engluer dans l’injustice. Mais on incrimine volontiers l’animalité. Ce n’est pas un homme, c’est une bête, dit-on. Eh bien non, l’inhumain reste un homme justement. C’est là le problème. Ce sont des hommes qui ont inventé les génocides, l’esclavage, la torture, l’arme atomique et le reste… Ce sont des hommes qui cherchent à se rassurer en se déchargeant de leur culpabilité sur les bêtes. Or l’inhumanité est sans équivalent dans le règne animal. L’inhumanité relève du péché, et le péché n’est pas le problème des bêtes...

Apprenons ensuite à révérer la vie, pour reprendre la notion développée par Théodore Monod. Révérer la vie consiste à comprendre que ce n’est ni l’homme ni l’animal qui est au centre du grand Tout, mais la Vie elle-même. Croire en Dieu signifie respecter la Vie dans ses multiples manifestations. Ce qui implique d’en prendre soin concrètement.

Comprenez moi bien, je ne veux culpabiliser personne ! Mais il n’est pas interdit de réfléchir à notre alimentation, de recueillir les animaux blessés ou malades, de nourrir les oiseaux en hiver, de ne pas contribuer au commerce des hybrides, de corriger les effets néfastes de nos technologies sur la faune et ainsi de suite...

Réconcilions-nous enfin avec l’animal et nous nous réconcilierons avec nous-mêmes. L’Ecriture sainte est un puissant appel à sortir de la barbarie ancestrale.
Paradoxalement, les animaux nous aident dans l’amélioration de nous-mêmes. Il y a un lien entre la manière dont nous traitons les animaux et la manière dont nous nous traitons les uns les autres. Les animaux sont nos frères non pas inférieurs mais nos frères différents. Ils participent avec nous à quelque chose de plus grand que nous. Ils nous apprennent à leur façon comment nous dégager de l’inhumanité pour devenir enfin de vrais humains.


(1) Le verbe hébreu employé en Gn 1,26 est le verbe « assujettir ». L’homme devrait avoir avec les animaux le même type de rapport qu’un roi avec ses sujets. Assujettir ne signifie pas tyranniser ou massacrer. Sous le règne d’un roi éclairé et sage, les sujets peuvent mener une vie très heureuse. Le problème, c’est que le roi a gravement dysfonctionné, d’où le Déluge…

Quelle place notre foi laisse-t-elle aux animaux ? La théologie chrétienne, dans ses expressions majoritaires, a fait de l'homme le roi de la création pouvant disposer à sa guise des espèces animales. Une mise à jour paraît aujourd'hui indispensable et nécessaire. On découvre que les théologiens n'avaient pas lu très attentivement l'Ecriture qui accorde à l'animal une attention soutenue, bien plus favorable qu'on ne le croit couramment.

Détails

Avec la participation de
Loraine D’Andiran
Orgue
François Delor
Musique
Catherine Fuchs, hautbois