Se regarder en face, c'est le point de départ de toute sagesse...

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Écouter le culte :

UN SOCRATE CHRETIEN ?

Mettons-nous ce matin à l’écoute de l’Épître de Jacques. Elle est l’unique témoin d’une sensibilité chrétienne disparue, tel un rameau qui ne se serait pas développé par la suite. Jacques, chef de file des chrétiens de Jérusalem, passe pour être un frère de Jésus.
Il représente un stade très ancien du christianisme, qui n’a pas encore réfléchi à la croix et qui semble ignorer la résurrection. Il considère que les chrétiens sont des juifs fidèles à leur tradition qui suivent un maître particulier, Jésus, en qui ils voient l’envoyé de Dieu.

Sa grande originalité est la perspective de la sagesse. Au centre de la vie chrétienne, Jacques place la sagesse, ce que nous ne faisons plus guère et c’est dommage.
Quelle sagesse ? Pas celle que conçoit Paul, avec ses paradoxes sophistiqués sur la folie de la croix qui est la sagesse de Dieu…
Plutôt une sagesse conçue à la manière de l’Antiquité, qui se donne comme l’école de la vraie vie. Dans l’Antiquité existaient d’influentes écoles de ce genre, comme celle des stoïciens ou des épicuriens qui enseignaient l’art de bien vivre et de bien mourir, qui orientaient la quête du bonheur et qui s’attachaient à donner des réponses concrètes aux questions concrètes que pose la vie.

Jacques conçoit l’Eglise comme une école de sagesse, concurrente des stoïciens et des épicuriens, avec une éminente particularité: point de sagesse sans Dieu!
À la différence des philosophes qui évacuent Dieu de leur système (Épicure est un matérialiste athée) la sagesse, pour Jacques, entretient un lien étroit avec la foi. Celui qui manque de sagesse, qu’il la demande à Dieu et elle lui sera donnée, comme elle a été donnée au roi Salomon.

Donc, selon Jacques, au coeur du culte véritable se tient la question de la sagesse. Ai-je besoin de souligner la soif de bien vivre, de bien mourir et d’être heureux qui ronge nos contemporains ? Soif à laquelle trop souvent nos discours d’Église ne répondent pas, tant ils sont déconnectés et éloignés des préoccupations élémentaires ? Il y a trop de discours abstraits, bien pensants, de langue de bois et non de vraies paroles. Les vraies paroles étanchent la soif de bien vivre, de bien mourir et d’être heureux. Peut-on considérer que le culte devrait servir à mettre un peu d’ordre dans sa vie, à prendre confiance face à la mort, à redécouvrir le simple plaisir d’être au monde ?

Dans ce but, Jacques propose un usage des Écritures saintes sur lequel il vaut la peine de s’arrêter. « Celui qui aura plongé le regard dans la loi parfaite, la loi de liberté… »
Ce que Jacques appelle la loi désigne l’Écriture. Elle n’a rien à voir avec la loi que Paul combat, cet ensemble d’obligations auquel il est impossible de satisfaire.
La loi est ici un enseignement. Au temps de Jacques, le support écrit de cet enseignement est la Bible juive plus la prédication de Jésus, qui devait circuler sous la forme de petits recueils, les Évangiles n’ayant pas encore été composés. On relève dans l’Épître une grande quantité de références au sermon sur la montagne.

L’Écriture est présentée par Jacques comme un miroir. Miroir est un mot rare et important, car dans ce miroir se reflète le visage de naissance de l’homme, notre vrai visage. Raison pour laquelle Calvin affectionne ce mot et l’utilise à tout bout de champ «Les psaumes sont le miroir de l’âme ». Il y a indiscutablement un effet miroir de l’Écriture. Qu’est-ce à dire ?

L’écriture biblique possède une étrange vertu qu’il faut avoir éprouvée pour bien la saisir. Elle me parle de moi. Elle me montre qui je suis. Elle m’appelle à être ce que je dois. Adam et Eve, Caïn et Abel, Abraham et Isaac, Sara et Rachel, Joseph et ses frères, les disciples de Jésus, Marthe et Marie ne sont pas seulement des personnages antiques, ayant ou non réellement existé, appartenant à un monde révolu depuis des millénaires et pour partie fruit de l’imagination de conteurs orientaux. Ces personnages sont en nous, ils représentent une part de nous-mêmes, avec nos désirs, nos espérances, nos peurs. Ils sont les transmetteurs d’une leçon de sagesse salvatrice pour les hommes et les femmes d’aujourd’hui. L’Écriture est un miroir dans lequel, en se révélant, Dieu révèle l’homme.
Cela, nous l’expérimentons – ou nous devrions toujours l’expérimenter - dans le culte.
Jacques est un Socrate chrétien. Ce qu’il appelle la loi parfaite, comprenez le miroir de l’Écriture, est l’irremplaçable auxiliaire de la connaissance de soi. Elle est le moyen de naître à nous-mêmes, une variante de la méthode de Socrate.

Bien sûr, le chemin de la connaissance de soi n’est pas obligatoirement plaisant ou valorisant. On découvre une inévitable part d’ombre, faite de nos manques, de nos fantasmes, de nos pulsions. Cette part doit être impérativement reconnue et traversée, ce qui peut décourager. Un accouchement n’est pas plaisant pour la mère ; il peut aussi être traumatique pour l’enfant.
J’ajoute que nous avons une relation ambiguë avec un miroir. Miroir, mon beau miroir… Lorsqu’on se sent bien ou beau on le recherche, mais on s’en détourne quand on ne veut pas se regarder en face.
Or, se regarder en face est le premier pas de la sagesse.

Il arrive qu’après avoir regardé dans le miroir, on oublie ce qu’on a vu. Dans la tendance à la distraction qui caractérise l’homme réside le blocage principal. Toute occasion est bonne pour se détourner de soi-même. Blaise Pascal a magnifiquement parlé du divertissement : « Les hommes n’ayant pu guérir la mort, la misère, l’ignorance, ils se sont avisés pour se rendre heureux de n’y point penser ». La société dont nous participons offre mille stratégies d’oubli de soi. Les loisirs, la consommation des marchandises, les écrans, le virtuel, les drogues, les jeux, bref le spectacle global diagnostiqué par Guy Debord, dans son essai fameux sur la Société du Spectacle, est une gigantesque machine à s’oublier qui fait de nous des spectateurs et non des acteurs de notre vie.

Pour s’arracher à la fascination de ce spectacle permanent, pour se libérer de cette Égypte symbolique, il faut beaucoup de force et de courage, que seul Dieu peut inspirer. C’est là qu’intervient la foi. La foi permet la résolution. Avoir la foi, c’est être résolu. La foi nous connecte à nos véritables racines. Par ces racines, nous puisons l’élan d’aller au-delà des apparences et des illusions.
S’il est proposé de nous regarder en face, c’est pour voir plus loin. Il s’agit de nous construire ou nous reconstruire, de réorganiser notre psychisme, de nous épanouir en devenant soi. La Parole de Dieu est une parole actuelle, toujours contemporaine, pour se construire. C’est une dynamique psychospirituelle.

Un seul exemple. Au livre de la Genèse, on lit: « Dieu dit : faisons l’homme à notre image… » Pourquoi faisons ? Pourquoi ce pluriel ? À qui Dieu s’adresse-t-il ? Aux anges ? Aux deux autres personnes de la Trinité ? La réponse la plus évidente est qu’il s’adresse à l’homme, à vous et à moi. Ensemble, toi et moi, nous allons créer l’homme tel qu’il n’existe pas encore, nous allons finir de créer l’homme à l’image de Dieu. Ensemble, nous allons parachever l’œuvre de la création.

Nous sommes en devenir. Voilà pourquoi Jacques insiste tant sur la mise en pratique. « Mettez en pratique la parole et ne vous bornez pas à l’écouter, soyez des réalisateurs de la parole qui a été plantée en vous »…
Étant entendu qu’une telle mise en pratique est double, la pratique intérieure et la pratique extérieure.

Au culte, nous privilégions la pratique intérieure. Chaque moment de culte, de méditation, de prière, d’étude peut-être considéré comme un pas supplémentaire dans le voyage intérieur auquel Dieu nous invite. La parole qui a été plantée en nous est un processus dont il faut s’occuper, et l’Église existe là où elle offre les moyens de s’en occuper.
Mais hors de ces moments de ressourcement, il nous est demandé de veiller à notre pratique extérieure. Je suis le gardien de mon frère, de ma sœur… Mon comportement vis-à-vis du prochain est l’expression du stade maturité que j’ai atteint. Ceux qui terrorisent les autres sont eux-mêmes des êtres terrorisés. Ceux qui guérissent les autres sont eux-mêmes des êtres en voie de guérison.

La conclusion de Jacques est merveilleusement limpide: « La religion pure et sans tache devant Dieu notre Père consiste à visiter les orphelins et les veuves dans l’épreuve... »
À condition de préciser que la pratique de l’amour du prochain dans l’épreuve suppose que nous ayons compris ce que signifie être orphelin ou être en deuil. Pour cela, nous avons à regarder, à travers le miroir, ce qui au plus profond de nous est orphelin et endeuillé. Toute cette désespérance inséparable de la vie, selon Albert Camus. Tout ce qui en notre être intime a une soif infinie de guérison et de consolation.
Étanchons cette soif personnelle par la parole qui guérit l’âme et nous pourrons nous occuper valablement de la veuve et de l’orphelin…

Ne serait-ce pas là, simplement, le secret du bonheur ?

L’Epitre de Jacques est l’unique témoin, dans le Nouveau Testament, d’une tradition sapientiale à partir de Jésus. Ignorant la croix et la résurrection. L’épître développe une conception de la Loi comme miroir de l’être humain.
Luther n’aimait pas ce texte en raison de l’attention qu’il porte au œuvres. En fait ces œuvres sont pour Jacques autant d’étapes sur le chemin de l’accomplissement spirituel… Il se pourrait qu’un christianisme sapiential soit une piste pour parler à nos contemporains.

Détails

Avec la participation de
Liliane Schneiter
Orgue
Vincent Thévenaz
Musique
Marina Lodygensky, cantatrice