Qu'est-ce qu'une âme forte?

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Écouter le culte :

Fortifie-toi ! Ce conseil que Paul prodigue à son disciple Timothée, nous pouvons l’entendre où que nous soyons sur le chemin de la vie.
Les jeunes gens peuvent l’entendre. Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour préparer nos enfants à affronter l’existence. Leur monde sera très différent du nôtre, ses exigences et ses problèmes ne seront pas moindres que ceux que nous connaissons et réclameront beaucoup de force.
Les adultes peuvent l’entendre. Toutes sortes de défis et de charges pèsent sur ceux qui sont aux responsabilités. Il faut beaucoup de force pour avancer entre l’obligation de la performance et la compétition généralisée.
Les personnes âgées peuvent l’entendre. Vieillir, c’est apprendre à renoncer. Renoncer demande beaucoup de force.

Ce « fortifie-toi » nous parle de force de caractère, de force d’âme. C’est le conseil d’un éducateur – étant entendu que l’éducation continue bien au-delà de l’école. Un éducateur sait combien cette force est déterminante pour atteindre les buts que l’on se fixe. C’est un conseil de bâtisseur valable pour tout le monde.

Ce « fortifie-toi » parle en pointillé de l’être accompli que nous devrions devenir à partir de l’enfant qu’on est au départ. La sagesse populaire a une formule qui résume ce programme : « La véritable force consiste à dominer son être ». Les catéchismes en ont une autre, assez voisine. Aimer Dieu de toutes nos forces, c’est faire en sorte que tous nos actes aient pour motif le désir de Lui plaire…

Le juste chemin serait donc celui qui mène vers l’adulte idéal, à ce héros capable de se surmonter et de se surpasser à volonté. Ce chemin, on le balise en quelques points. On dit : « Obéissez à ces quelques points. Moyennant cette obéissance, vous deviendrez des âmes fortes. » On parie toujours sur les forces humaines : fortifie-toi et ta force suffira.

Or l’Écriture Sainte a une manière bien différente d’envisager la chose. Elle part de Dieu et non de l’homme. La force est à Dieu, proclame le psalmiste.

Je relève d’abord que l’Écriture évite de parier sur les seules forces humaines. Elle replace les situations les plus ordinaires dans la perspective de la transcendance divine. On lit au livre du Deutéronome ce passage à propos de quelqu’un qui a réussi : « Garde-toi de dire en ton cœur : ma force m’a obtenu ces richesses. Souviens-toi du Seigneur ton Dieu, c’est Lui qui te donne de la force ».

J’ai réussi dans la vie. Je pense ne devoir ma réussite qu’à moi-même. Je suis content de moi. Je dois pourtant me demander qui, en secret, m’a fortifié. Ai-je un projet à réaliser ? Que je n’oublie pas de demander à Dieu son aide. Car la force est à Lui.
Le cas de figure inverse est vrai aussi. J’ai traversé une épreuve particulièrement cruelle. Je suis pour ainsi dire un survivant. Comment se fait-il que je n’aie pas été emporté ? Je dois me demander qui, en secret, m’a fortifié. Et remercier Dieu de m’en être sorti. Car la force est à Lui.

C’est une façon de souligner que je ne suis pas à moi-même mon propre principe. Exister, c’est être plongé dans un jeu complexe de dépendances. Je ne puis persévérer dans mon être qu’en recevant à chaque instant des forces qui ne viennent pas de moi, mais de l’Univers : l’air, la lumière, la nourriture, l’eau, le battement cardiaque, etc. Je suis un être qui reçoit son être d’un autre être.
Il en va de même dans la vie morale et spirituelle. Après tout, espérer, cela vient de respirer.

Aussi ne suffit-il pas de commander: tu dois faire ceci, tu dois faire cela, tu dois te comporter ainsi. Quand on n’y arrive pas, quel remède propose-t-on ? Comment fait-on ? Tendre encore plus sa volonté jusqu’au prochain obstacle ? Mais si on ne le peut tout simplement pas ?
Une trop forte tension mène à la cassure. Quand nous ne pouvons plus nous porter nous-mêmes, laissons-nous porter. Fortifie-nous, Toi que nous appelons notre Père qui es aux cieux !

L’Écriture sait que l’être humain est parcouru par une faille essentielle, qui le traverse et qui menace de réduire à néant ses meilleures ressources. Une faille dont il est indispensable de tenir compte. Il y a en moi une faiblesse fondamentale qui à la longue se transforme en passif et que je traîne, tant bien que mal, derrière moi.
Ne serait-ce que la question de la mort. On nous raconte qu’on peut apprendre à bien mourir ; les rayons des librairies sont pleins d’ouvrages sur la manière de bien mourir. Mais qu’est-ce qu’une bonne mort, une mort réussie ? Qui peut le dire ? Si je meurs dans la souffrance et la peur, est-ce que j’aurai raté ma mort ? La mort est de toute façon plus forte que nos forces humaines, puisqu’elle les anéantit. Ponce Pilate n’a pas livré Jésus à la croix en disant : « Voici le héros ! » Il a dit : « Voici l’homme… »

Alors fortifie-toi, oui, mais fortifie-toi dans la grâce qui est en Jésus-Christ. Paul écrit ces mots depuis sa prison à celui qu’il considère comme son fils spirituel, Timothée. Après avoir accompagné l’apôtre pendant des années, Timothée se prépare à entrer dans le ministère. Ce détail a son importance. Le ministère offre un point de vue privilégié sur l’âme humaine. On y apprend, comme dit l’Évangile, ce qu’il y a dans l’homme. Ce qui était vrai à l’époque de Timothée reste vrai aujourd’hui. Des âmes blessées, abîmées, tourmentées, on en rencontre souvent, on ne rencontre que ça. On n’a pas idée de la somme de souffrances psychiques et morales de nos contemporains. La civilisation la plus puissante de tous les temps est aussi celle du plus profond désarroi en face de l’existence.
C’est pourquoi il ne s’agit pas que Timothée s’enferme dans une armure de règles externes, du genre : maîtrise-toi, serre les dents, dépasse-toi, sois exemplaire, impassible et aimant en toute circonstance par dessus le reste.

Il s’agit que Timothée se fortifie dans la grâce.

Il s’agit que Timothée se fortifie dans la certitude que ce mystère que nous appelons Dieu est la source de toute re-création. Nos faiblesses, nos blessures et nos fautes amoindrissent notre être, elles nous dé-créent, elles nous déshumanisent. Le pardon et la guérison nous recréent à mesure. Se fortifier dans la grâce consiste à réaliser que personne n’est réduit à sa faiblesse naturelle. Nous sommes promis à autre chose, à une vie pardonnée et guérie, moins inquiète d’elle-même, plus heureuse finalement. Un malade n’est pas un être voué à la maladie mais un être promis à la santé, et les aumôniers dans les hôpitaux sont là pour le rappeler.

Comment pourrions-nous être heureux si nous restons minés par nos chutes, nos peurs et nos passifs ? La grâce nous donne le droit d’être approximatifs devant Dieu. Nul besoin de tout réussir, ni d’incarner la perfection pour lui plaire !
Telle est la vérité paradoxale que Timothée doit s’appliquer à lui-même avant de l’enseigner aux autres. Telle est la véritable force de la foi chrétienne, une force qui ne vient pas de nous parce que la force est à Dieu.

Certes, lorsqu’on évoque la force de la foi, il convient de préciser. Il peut y avoir un petit risque d’idolâtrie, celle de croire que Dieu vous rend tout puissant. En voici la démonstration par l’absurde, strictement authentique. L’affaire serait risible si elle n’était tragique. Il y a quelques semaines, un prêcheur vedette d’une télé-réalité américaine est mort après avoir été mordu par un serpent à sonnette au cours d’une cérémonie religieuse. Il était fervent adepte d’un mouvement fondamentaliste dont l’un des rituels les plus frappants est la manipulation de serpents dangereux. Ce mouvement prétend s’inspirer de l’histoire de Paul sur l’île de Malte, survivant sans dommage à la morsure d’une vipère alors qu’il ramassait du bois pour faire un feu. Mais les Actes des Apôtres qui racontent cette anecdote ne la présentent pas comme un miracle de la foi. Il y a de la place pour l’interprétation. Ce pourrait être tout aussi bien un coup de chance qui a servi la prédication de l’apôtre, car la vipère n’est pas mortelle à tous les coups. Le médecin Luc, auteur des Actes, le sait mieux que quiconque.

Se fortifier dans la grâce n’a rien à voir avec un fantasme de surpuissance. Cela signifie autre chose. C’est une affaire d’acceptation de soi.

Vous pouvez accepter ce qui vous manque parce que la promesse de Dieu de ne pas tenir compte de ce qui vous manque est indéfectible.
Vous pouvez accepter d’être faible parce que Dieu est fort pour vous.
Vous pouvez accepter d’avoir peur parce que Dieu est courageux pour vous.
Vous pouvez accepter vos chutes parce que Dieu vous relève.
Vous pouvez accepter de ne pas être capable d’aimer parce que Dieu vous aime par-dessus tout.
Vous pouvez même accepter d’être dans le doute et l’irrésolution spirituelle, parce que Dieu croit en vous.

Puisez votre force dans la grâce qui est en Jésus-Christ !

Dans la vie, faut-il parier seulement sur nos forces humaines ou compter avec la force que Dieu donne? Et que signifie exactement cette dernière? Le pasteur Vincent Schmid propose de méditer le conseil que l’apôtre Paul donne à son disciple Timothée: « Fortifie-toi dans la grâce en Jésus-Christ ».

Détails

Avec la participation de
Orgue
François Delor
Musique