Écouter le culte :
La scène se passe dans un grand magasin de la place voici quelques jours: un petit enfant demande à sa mère quand est-ce que Noël va venir.
Réponse très argumentée d’une maman qui lui explique qu’il nous faut nous préparer à accueillir Jésus, qu’il y aura 4 semaines pour le faire, soit beaucoup de dodos, qu’il y aura une couronne avec 4 bougies, une nouvelle chaque semaine, qu’on va acheter un sapin qu’on va décorer, aménager la crèche dans le salon et alors Noël sera là.
Réponse de l’enfant: « Eh bien, ça va être long ! »
Ça va être long ! Et pour certains, pas seulement les enfants, ça va être trop long.
Une vie sans enfants du temps de Zacharie, ça devait être long. Il fallait soutenir le regard des autres, encaisser leurs sous-entendus, et se demander, quand bien même ce n’était pas son projet, quel pouvait bien être le sens de l’existence.
Les discussions sur l’oreiller, les reproches qu’on retient, l’envie de chercher une autre épouse, pour un autre projet, la difficulté de vivre dans une société qui mise tout sur l’enfant, signe de la bénédiction de Dieu, ça devait grenouiller, tarauder, obséder.
Ça, l’histoire ne le dit pas. Ce que l’histoire dit, c’est que ces deux-là, Zacharie et Elisabeth, étaient justes aux yeux de Dieu, c’est-à-dire qu’ils faisaient juste - peut-être même tout juste - et qu’ils obéissaient parfaitement aux lois et aux commandements du Seigneur. Ils mettaient leurs pas dans ceux du Seigneur. Ils étaient calés dans le projet même de Dieu.
Peut-être même qu’ils avaient une relation privilégiée avec Dieu pour tenir, être encouragés, s’engager chaque jour dans l’amour, le respect, la solidarité.
Il faut bien ça pour vivre dans notre monde. Pour comprendre, pour croire, pour aimer.
Un prêtre reconnu, digne pour le service du Temple, une épouse descendante de Aaron, frère de Moïse, une réputation sans faille.
Alors, quand un ange de Dieu vient lui annoncer qu’ils vont avoir un fils, alors même que le chemin se raccourcit, la parole qui porte sa question semble légitime. Dieu viendrait-il en dépit même des réalités de la vie ?
Et le seul fait d’avoir douté de ce projet de Dieu va le conduire à un silence de 9 mois.
Le temps d’une grossesse.
Un prêtre, un théologien retiré de paroles pendant 9 mois, c’est un comble !
Parce que sans la parole, un prêtre, un pasteur ressemble à un trolleybus sans fil. C’est inutile.
La parole, c’est notre carburant à nous croyants. Nous avons été construits à coups de paroles, de dialogues, de va-et-vient entre l’autre et moi.
Alors, si Dieu vient nous couper la parole, de quoi on a l’air ?
Nous avons habité des temps de l’Avent dégoulinant de paroles, de musique, d’animations dans les rues, et nous voilà avec un paradoxe face auquel il est difficile de tenir: parler d’une expérience fondamentale, constitutive, bouleversante que Zacharie a pu vivre: se taire, être réduit au silence.
Nous croyons au long, lent et patient dialogue avec Dieu.
Nous croyons que la Parole, Sa parole, est au coeur de nos expériences.
Nous croyons qu’il n’y a que notre parole pour nous tenir devant lui, pour être le pont qui conduit notre être intérieur jusqu’à lui.
Comme Zacharie.
Comme Elisabeth.
Comme tant de femmes, d’hommes et d’enfants qui prennent au sérieux la présence de Dieu.
Ce n’est pas tant la question de se taire ou non.
Elisabeth n’a pas été, elle, privée de paroles, mais c’est bien plutôt dans ce qui va remplir ou habiter notre parole.
En renvoyant Zacharie au silence, Dieu le renvoie à la source d’une réponse - sa réponse- qu’il doit maintenant rechercher.
Mais tout de même, il y a des règles qu’on ne peut pas transgresser. On ne devient pas père ni mère au crépuscule de sa vie.
En renvoyant Zacharie au silence, Dieu l’invite à chercher et à trouver un autre chemin que celui des impossibilités évidentes, que le doute et les questions dont il a déjà les réponses.
Il lui offre 9 mois, comme pour la croissance de toute vie physique,
Dieu offre 9 mois à Zacharie pour que, par et grâce à son silence, il fasse de la place en lui pour retrouver une réponse à offrir, une attitude à trouver, un comportement différent et peut-être pour lui un peu nouveau: la louange.
Le silence de Zacharie n’est pas l’affaire d’une expérience imposée, une étape nécessaire pour un dialogue véritable avec Dieu.
Le silence de Zacharie est l’occasion pour lui de se mettre à rechercher les mots qui porteront la présence de Dieu dans son monde.
La présence du Christ parmi nous pose problème. Et à tous les niveaux. Cette présence offerte va, au mieux, être questionnée, au pire, être menacée, violentée.
Zacharie va vivre cette expérience à son niveau, dans sa vie propre. Il va être bousculé dans ses convictions, sa compréhension du monde, de ses relations, de Dieu même. Et par le silence, retrouver ce qui fonde sa relation avec lui.
La louange.
Jamais notre statut personnel ne peut se contenter de faire valoir. Là où nous sommes, dans ce que nous vivons, face à l’impossible ou improbable présence de Dieu, nous ne sommes ni épargnés ni méritants. Nous sommes qui nous sommes, avec nos histoires, nos valises, nos regrets.
Nous sommes qui nous sommes, avec nos réussites et nos succès, nos projets assumés et portés.
Mais à force de savoir tellement comment se comporter, on se construit une manière d’être au monde qui enferme Dieu dans un rituel, des habitudes et des attentes improbables.
Dieu, celui qui offre un projet inouï à Zacharie, est aussi celui qui l’invite à plonger au plus profond de lui-même pour découvrir ce qui le fait vivre, ce qui le construit, ce qui lui donne de l’élan.
Qu’est-ce qui nous donne de l’élan ? Nos vitrines, nos gratifications, nos tables à venir ?
Qu’est-ce qui fait de nos vies un bien si précieux, capable à notre tour de donner la vie ?
L’entrée en silence, comme une mise à part, et non une mise à l’écart, l’entrée en silence comme un temps qui va grâce à nous, et en même temps sans nous, concevoir un rapport au monde et à Dieu.
Quelque chose d’aussi précieux et inouï qu’une vie qui grandit en silence, d’une vie qui un jour deviendra naissance.
La louange !
Zacharie n’aura que ces mots lorsqu’il retrouvera le langage: des mots de louange.
Des mots qui désignent l’engagement de Dieu dans ce monde et en faveur de chacun de nous.
Le monde n’aura de cesse de vouloir éliminer l’enfant qui vient: Jean le Baptiste, fils d’Elisabeth et de Zacharie, mais aussi Jésus, fils de Joseph et de Marie, fils de Dieu aussi.
Les forces maléfiques vont se liguer pour les faire disparaître.
Et ceux qui sont porteurs, à leur manière, de la vie des enfants qui leur sont confiés, vont entrer en louange.
Zacharie, Marie, Siméon ont porté plus loin les mots qui bâtissent le monde de Dieu.
Du silence, naîtra la louange.
Des mots rediront l’amour de Dieu.
De Dieu qui vient.
Amen.