Écouter le culte :
D’accord, il y a deux phrases qui pourraient faire peur dans cette prédication de Jésus, j’y viendrai tout à l’heure, c’est un des ressorts intéressants de cette parabole. Pour l’instant, commençons par la trame principale de cette histoire, une excellente et joyeuse nouvelle :
Dieu nous invite à un banquet de fête
Nous sommes invités à une fête joyeuse, avec un somptueux et délicieux banquet, à s’en lécher les babines. Il y a là un point important en ce qui concerne notre vie : ce n’est pas un examen, la vie n’est pas non plus une punition, nous sommes faits pour le bonheur, il fait partie de notre vocation. C’est d’ailleurs sur cette idée du bonheur que Jésus commence sa prédication dans cet évangile, avec ses fameuses huit promesses de bonheur : huit fois « heureux » et même neuf, d’après Matthieu 5, 3-12 !
Ensuite, est-ce vrai que la vie est une fête ? Oui et non, c’est plus compliqué que cela. C’est pourquoi Jésus ne dit pas simplement que la vie est comme une joyeuse fête, il dit que nous sommes invités à une fête, à un banquet délicieux et nourrissant, à une noce (une alliance d’amour et de fidélité entre lui et l’humanité, dont nous sommes). Où en sommes-nous de ce projet ? Il est en cours de réalisation, nous avons déjà un pied dans la joie du banquet, puisque déjà nous vivons de son souffle, et nous sommes encore appelés à venir.
Je retiens d’abord cela : le projet de Dieu est de nous réjouir et de bien nourrir notre être, c’est pourquoi il nous invite. Ce n’est pas simplement de la théologie, c’est une invitation très pratique, c’est aussi une sagesse de vie que nous pouvons déjà appliquer tout simplement dans la vie de tous les jours : grappiller dans notre journée les petites et grandes joies, et tout ce qui nourrira notre être d’un peu de justice, de paix, de bonté, ou d’espérance pour le meilleur à venir.
Ce geste peut commencer dès le matin en s’émerveillant de la vie qui nous anime, cela peut se poursuivre ensuite dans la journée, en dégustant au passage une petit joie, une belle pensée, une compassion qui nous prend. Et avoir de la gratitude pour la vie, pour Dieu, pour une personne.
C’est déjà comme l’apéritif de ce banquet que Dieu a préparé pour nous. Un banquet intérieur.
Dieu appelle, patiente, appelle encore
Ce banquet nous attend. Tout est prêt. Comment irions-nous le déguster si nous ne savions pas qu’une telle fête et de telles nourritures vivifiantes nous attendent ? C’est la seconde action de Dieu pour nous, ici : il nous nous a mis sur la liste des invités, il nous espère, c’est pourquoi il nous appelle, encore et encore. « Il appelle ceux qui ont déjà été appelés », dit Jésus selon une tournure de style typiquement hébraïque.
Dieu nous appelle de bien des façons. C’est parfois direct. J’ai rencontré bien des personnes qui ont été comme rejointes par Dieu alors qu’elles étaient à mil lieues de s’intéresser à lui. Il nous appelle aussi par ses serviteurs, nous dit Jésus. Cela nous concerne doublement : comme bénéficiaire du témoignage des autres, et comme un de ces serviteurs, après avoir déjà un petit peu goûté au banquet nous-même. Dieu nous embauche volontiers.
L’Église et son trésor de débats théologiques, l’église et ses membres ne se prennent pas pour le banquet céleste. L’église parle de ce banquet et dit à chaque personne qu’elle y est invitée, que Dieu lui a préparé une place avec un menu trois étoiles fait spécialement pour elle.
Jésus explique que ceux qui seront le plus disponible pour leur invitation personnelle sont ceux que nous trouverons « aux embranchements des chemins ». Ce sont ceux qui voient la multiplicité des chemins qui s’ouvrent devant eux, qui s’interrogent, qui questionnent les évidences, qui cherchent. Ce sont les personnes qui ont faim et soif de ce qui pourrait nourrir leur capacité à voir clair et à se décider. Là aussi, c’est une piste très concrète pour mieux vivre.
Nous avons déjà trouvé, dans cette parabole de Jésus, quelques belles choses que Dieu fait pour chaque personne : il l’a connue, il a mitonné pour elle un menu spécial et raffiné, il l’appelée à ce banquet, il a patienté, appelé encore, il a embauché des serviteurs pour l’appeler autrement, à haute voix et de mil façons.
On reconnaît facilement ici l’Évangile du Christ, une sacrée bonne nouvelle, une bonne nouvelle sacrée pour tous.
Et ceux qui sont éliminés par le roi ?
Seulement, il y a également des paroles de Jésus qui sont très rudes dans sa petite histoire : l’armée envoyée par le roi pour tuer les meurtriers et incendier leur ville ? L’invité qui est menotté et jeté dans les ténèbres du dehors parce qu’il n’est pas bien habillé et muet ? Que faire de ces paroles ? Elles sont certainement encore une bonne nouvelle pour tous puisqu’elles sortent de la bouche du Christ. Jésus a affirmé quelques pages avant notre texte que Dieu aime même ses ennemis, qu’il bénit même ceux qui le maudissent, qu’il fait du bien à ceux qui le haïssent, et qu’il invite même ceux qui le maltraitent et le persécutent. (Matthieu 5, 44)
C’est bon signe que les paroles violentes de cette parabole nous choquent, cela veut dire que nous avons bien saisi que tout dans la personne de Jésus, témoigne de la bonne nouvelle de l’amour et du pardon de Dieu.
Par contre, les personnes qui entendent Jésus trouvent cela tout à fait normal que ceux qui refusent l’appel de Dieu soient éliminés, ainsi que ceux qui disent hypocritement oui, comme celui qui se nourrit du banquet tout en refusant de jouer le jeu.
En écoutant cette petite histoire de Jésus, il pouvait sembler que Dieu invite généreusement, et qu’ensuite c’est la réponse de la personne qui déterminera si finalement elle sera à la table du banquet de la vie éternelle. Sauf qu’en conclusion, Jésus dit l’inverse : « une multitude sont appelés et peu sont élus ».
Dieu est ici le sujet de ces deux verbes au passif. Jésus ne dit pas : « Dieu appelle la multitude et ensuite chacun choisit. » Ce que dit Jésus, c’est que c’est Dieu qui invite et choisit, Dieu seul. Et nous savons par ailleurs que Dieu a déjà choisi la multitude des personnes, c’est à dire tout le monde (Mattieu 28, 19, ; 1 Timothée 2, 4).
Avec cette parabole et son étrange conclusion, Jésus invite les intégristes de l’époque à changer leur compréhension du salut, il n’est plus calculé sur la performance de la foi de la personne mais sur le libre choix de Dieu d’aimer chaque personne. Dieu invite la multitude des hommes et des femmes. Nous sommes apparemment dignes d’être invités, dignes d’être nourris, soignés, gardés aujourd’hui et toujours par Dieu. Et, comme le dit l’apôtre Paul (Romains 8, 31), si Dieu est ainsi pour nous, qui sera contre nous pour dire que nous n’y aurions pas droit ?
Ensuite, même dans le plus parfait des humains possibles, en chaque personne, il y a à la fois un peu de oui et un peu de non à Dieu (cf. Jean 8, 7). Nous pouvons reconnaître même au plus athée des hommes qu’il a quelque chose du souffle de Dieu, sinon, c’est nous-même qui avons un problème de vue, un problème de cœur. Car Dieu lui-même reconnaît ceux qui ne reçoivent pas sa lumière comme faisant encore et toujours partie « des siens » (Jean 1, 11).
Cinq réponses typiques à l’appel de Dieu
C’est pourquoi, nous pouvons nous reconnaître dans chacun des personnages de l’histoire que Jésus raconte, chacun parle d’une facette de notre personnalité.
- Il nous arrive d’être celui qui ne veut pas répondre à l’appel, ou qui ne l’entend pas, tout simplement. Par exemple quand nous étions trop jeunes encore, ou quand nous ne sommes pas en forme. Dieu patiente.
- Il nous arrive d’être celui qui est concentré sur autre chose, c’est même assez préférable qu’un neurochirurgien, un chauffeur de camion, ou un cultivateur de blé soit un peu concentré sur son affaire de temps en temps. Dieu patiente.
- Quant à ceux qui maltraitent et tuent les serviteurs envoyés par Dieu pour les inviter à se mettre en route, qu’évoquent-ils ? Jésus les appelle « ceux qui restent », ce qui dans la Bible désigne le petit camp des purs parmi les purs de la religion, je pense que Jésus parle ici des intégristes, ceux qui se pensent détenir la vérité de Dieu dans leur doctrine et qui ne veulent surtout pas la mettre en questionnement. Nous ne sommes pas immunisés contre ce risque, bien sûr, et c’est une source de mort et de souffrance. Dieu nous aide.
- Quant à celui qui est venu à la fête mais qui ne joue pas le jeu, il représente ce qui peut être tordu, incohérent, faussé dans notre attitude dans la vie, avec les autres, vis à vis de nous-même et de Dieu. Dieu nous aide.
- Heureusement, de nombreuses facettes de notre être sont comme ces invités trouvés en train de se poser des questions sur le chemin de leur existence et qui se sont rendu au banquet céleste, se nourrissant avec joie de ce que Dieu leur offre.
Nous sommes ainsi, chacune et chacun, ces cinq invités aux réactions différentes. Dieu a appelé la multitude des humains, il a appelé, comme le dit Jésus ici, le méchant et le bon qui est en chacun de nous. Cela veut dire que, comme la maman avec son bébé, comme le professeur avec ses élèves, comme le chirurgien avec son patient, comme l’agriculteur avec son champ, Dieu a un travail à faire pour nous mettre en forme. Il nourrit, il accompagne, il débroussaille, il opère, il éduque, il élève, il soigne et console chacune et chacun.
Comment Dieu nous sauve malgré tout ?
Il essaye, en tout cas :
- Avec ceux qui n’entendent pas l’appel, il rappelle et rappellera encore.
- De même avec ceux qui étaient trop concentrés sur leur tâche en ce monde. Dieu ne se lasse pas d’espérer pour nous, que nous puissions ménager un temps de shabbat, un temps de banquet et de joie.
- Pour cette part de nous-mêmes qui se cramponne à de petites certitudes comme enkystées, quand elles deviennent menaçantes face à tout questionnement, alors Dieu nous vient en aide comme un chirurgien le ferait d’une tumeur, il l’enlève, ou il la brûle comme le dit ici Jésus, ce qui évoque un tri minutieux dans la profondeur même d'un minerai pour en dégager l’or caché dans sa structure. Cette troupe envoyée par le roi n’est pas pour punir un rebelle, c’est pour nous soigner, nous sauver, nous et notre entourage.
- Pour ce qui serait en nous comme l’homme tordu et faux, Dieu commence par lui ouvrir les yeux et lui fermer la bouche : plus d’aveuglement ni de fausses excuses. En effet, le texte ne dit pas que l’homme ne répond rien, mais littéralement qu’il « a été muselé » (un passif dont Dieu est le sujet), comme on muselle un animal dangereux. Ensuite, il l’empêche de nuire et le jette dehors. Bon débarras. Là encore, c’est d’une maladie de notre être que Dieu cherche à nous libérer.
- À part l’intégriste et le tordu, il n’y a rien d’autre en nous qui pourrait gêner Dieu, apparemment, pour nous aider à avancer dans la vie. A force de nous appeler, d’ouvrir devant nous des bifurcations nouvelles, à force de nous soigner, de nous nourrir de bonnes choses et de joies vraies : Dieu nous aidera à grandir en grâce, en force et en sagesse.
C’est ainsi que Dieu appelle la multitude, et qu’en chacun il ne garde que ce qui semble bien peu. Ce petit peu, ce tout petit qui est cette perle précieuse que nous sommes au fond de nous-mêmes, qui dit « je » et qui est capable d’aimer et d’espérer, capable de pleurer, de s’interroger et de chercher à comprendre. Cette personnalité que Dieu aime d’un amour fou, et qu’il gardera toujours.
Voilà l’évangile bouleversant de la grâce de Dieu, une grâce active. Une grâce qui nous appelle à participer à aider ceux que Dieu nous confie.
Amen