À la lumière des songes

Cathédrale Saint-Pierre, Genève (©Jean-Christophe Emery)

Écouter le culte :

Je ressens une présence malsaine.
Quelque chose d'assez indéfinissable qui me suit dans un dédale de couloirs.
J'essaie de tout mon courage de fuir devant cette menace aussi indéfinie qu'angoissante.
Sueurs froides, rythme cardiaque qui s'accélère.
Envie de crier au secours, aucun son ne sort de ma bouche.
Il faut que je me réveille.
Un sursaut me fait ouvrir les yeux, transpirant, je sors de ce cauchemar...
Ouf !

Voici le mauvais songe qui venait inquiéter mes nuits d'enfance. Rêves et cauchemars agrémentent nos nuits et alimentent nos imaginaires. Ils sont parfois agréables, voluptueux et nous aimerions y rester ; ils sont parfois angoissants et nous les craignons.

Nous sommes inégaux devant les rêves. Des personnes s'en souviennent très bien, d'autres en gardent des sensations ou encore ne s'en souviennent plus au petit matin.

De tout temps, les rêves fascinent. Au tournant du 19e au 20e siècle, Freud en révolutionne l'approche en publiant « L'interprétation des rêves ». Il propose une auto-analyse, en racontant ses propres rêves hantés par la mort de son père Jacob, trois ans plus tôt et ses souvenirs d’enfance. C’est un livre de crise personnelle qui travaille la nature des rêves. Il conclut : « les rêves ont un sens, ils sont l'accomplissement d'un désir ». Cette théorie marque jusqu'à nos jours la psychanalyse et la psychologie. Elle a ses disciples et ses détracteurs.

Nos songes interpellent et nous avons parfois peine à en faire quelque chose : sont-ils prémonitoires, un exutoire… Nous gardons tout de même l'idée que nos rêves reflètent une part de nos vies.

Un songe s'invite au centre du texte du livre de Daniel que nous avons entendu ce matin. Le songe du roi : un texte qui nous plonge aux confins de l'antiquité.

Dans le Proche-Orient ancien, le songe est souvent utilisé comme moyen d'inspiration. Il y a l'histoire du roi Nabonide (610 avant Jésus-Christ) qui est convaincu que le dieu Sin lui ordonnait en rêves de reconstruire le temple détruit de Ehulhul à Harran.

Dans l'Écriture elle-même, ce texte de Daniel 2 connaît une filiation avec celui de Genèse 41, où le pharaon d'Égypte rêve un songe troublant :

Au bout de deux ans, Pharaon eut un songe. Voici, il se tenait près du fleuve.
Et voici, sept vaches belles à voir et grasses de chair montèrent hors du fleuve, et se mirent à paître dans la prairie.
Sept autres vaches laides à voir et maigres de chair montèrent derrière elles hors du fleuve, et se tinrent à leurs côtés sur le bord du fleuve.
Les vaches laides à voir et maigres de chair mangèrent les sept vaches belles à voir et grasses de chair. Et Pharaon s'éveilla.
Il se rendormit, et il eut un second songe. Voici, sept épis gras et beaux montèrent sur une même tige.
Et sept épis maigres et brûlés par le vent d'orient poussèrent après eux.
Les épis maigres engloutirent les sept épis gras et pleins. Et Pharaon s'éveilla. Voilà le songe.

Comme Daniel, Joseph sorti de prison pour l'occasion, interprétera cette histoire pour pharaon. Et voilà que dans notre histoire, le roi Nabuchodonosor fait aussi un rêve. Il a le même réflexe que le roi Nabonide, le pharaon. Il convoque tout ce que leur royaume connaît de scientifiques, de conseillers et de devins pour interpréter son rêve. Cependant contrairement au roi Nabonide et à Pharaon, Nabuchodonosor réunit cet aréopage de savants pour interpréter son rêve ... mais ils ne racontent pas son rêve. Voici le nœud de la crise.

Le roi impose son désir exorbitant d'entendre l'exposition du rêve lui-même... avant son interprétation. C'est indubitablement l'élément le plus dramatique et le plus extraordinaire du récit.

« J'ai fait un rêve qui m'a beaucoup troublé. J'aimerais comprendre ce rêve. »
Les astrologues répondirent au roi, en langue araméenne : « Que le roi vive pour toujours ! Que le roi dise le rêve à ses serviteurs et nous en ferons connaître l'interprétation. »

Nous imaginons la problématique des conseillers. Ils essaient dans un premier lieu de se concilier les faveurs du roi par une bénédiction : « Que le roi vive pour toujours ! », et demandent expressément que le roi raconte les péripéties de son songe. Mais rien ne vient...

Nabuchodonosor prend le parti de refermer son songe pour lui-même et de céder à la menace et à la violence. Il valide son attitude par la mise à l'épreuve des sages. Vous voulez gagner du temps parce que vous êtes des incapables. Et le roi garde son songe pour lui.

Outre son envie d'asseoir son pouvoir, sa justification est bancale et sa menace terrible. Il dit vouloir anéantir toute trace de l'existence de ses conseillers jusqu'à transformer leurs maisons en tas d'ordure. Son attitude cache la peur ! Et la peur engendre des réactions outrancières.

La question se pose : a-t-il, en réalité vraiment envie de connaître l'interprétation de son rêve ? Soi-disant Nabuchodonosor ne se souvient pas de son rêve... Hmm… Alors pourquoi est-il si impatient d'en connaître la signification ?

Le roi refuse de livrer son rêve parce qu'il pressent que la vérité qu'il va révéler sera funeste pour lui. Il a en lui un barrage psychologique face à la vérité qui le bloque et le fait partir dans l'abomination. Sa technique de survie face à la vérité est de tout simplement l'occulter. Il profite de son pouvoir pour en rejeter la faute sur les autres, ces devins incapables de deviner l'impossible. La situation est dramatique, mais tellement dans l'actualité de nos vies.

Combien de situations se bloquent et se figent et aboutissent à la violence et à l'horreur, car des hommes et des femmes refusent de voir la vérité en face !

Combien de situations en moi se bloquent et se figent, car je refuse de regarder la vérité en face ? Alors je me réfugie parfois dans des demandes inconsidérées aux autres et à Dieu.

Dieu peut beaucoup dans nos vies, mais il a besoin de notre collaboration humaine. C'est bon de prier Dieu pour la réussite de ses semestriels, mais c'est pas mal aussi de travailler les matières en même temps.

Alors Daniel intervient dans l'histoire. Daniel est un jeune homme juif. Sa jeunesse est cruelle, car il subit l'exil à Babylone. Il y a été déporté depuis Jérusalem par les Babyloniens. Daniel est un jeune homme créatif et plein de sagesse qui survit le mieux possible avec ses compagnons dans cet environnement hostile. Il est à la merci du roi et la sentence prononcée s'abat aussi sur lui. Daniel y réagit avec prudence et mesure ; tout à l'opposé du roi qui réagit avec précipitation et démesure. La prudence et la mesure comme grâces venues de Dieu. Daniel pare à l'urgence et ensuite, il prie.

Après les ténèbres du songe du roi et de sa violence, vient la lumière de Dieu : Dieu sait ce qui se cache dans les ténèbres, car la lumière est avec lui. Alors dans la prière de Daniel, l'espoir revient.

Il y a, exposé dans cette cathédrale, des photographies de lueurs dans le monde. Il y a celle d'une bougie fragile, mais droite et puissante qui éclaire notre grande cathédrale. Cette image fragile mais puissante peut nous aider à garder de la lumière dans nos vies. Nous aider à traverser nos temps d'obscurité.

Il n'y a pas de vallée,
il n'y a pas de désespoir,
il n'y a pas de colère,
il n'y a pas d'absurdité
si profonds
que la lumière de Dieu ne puisse pas atteindre.

Amen.

Nos vies sont parfois plongées dans les ténèbres et nous avons parfois des difficultés à avancer. Au milieu de tellement d'incertitude, nous aimerions trouver un peu de lumière sur nos chemins.

Nabuchodonosor, roi de Babylone, est inquiété par la nature de ses songes qu'il n'arrive pas à interpréter. Magie ou puissance de Dieu, Daniel arrivera-t-il à mettre de la lumière sur les étranges songes royaux?

Détails

Avec la participation de
La liturgie et les lectures seront apportées par le groupe de préparation au baptême et à la confirmation.
Orgue
Saya Hashino
Musique
Ensemble vocal Musikairos, sous la direction de Mi-Young Kim