Écouter le culte :
Quelle est la véritable quête de notre vie ? Le sens que nous aimerions donner à notre vie au plus profond de nous-mêmes ? La question existentielle qui nous préoccupe au plus profond de nos tripes ? Nous la formulerions sans doute chacun de manière différente, selon notre histoire, notre personnalité, nos convictions.
Dans l’évangile d’aujourd’hui, sorti de nulle part, un homme se jette aux pieds de Jésus, comme les lépreux demandant la guérison quelques chapitres plus tôt : « Bon maître, Que dois-faire pour obtenir la vie éternelle en héritage ? » C’est–à-dire être accueilli un jour auprès de Dieu parmi les Justes. C’est LA question de sa vie !
La scène est poignante. C’est un homme en recherche. Prêt à se remettre en question, prêt à beaucoup d’effort. Il respecte les commandements et même depuis sa jeunesse, les dix et les autres : respect de l’autre, aumône, générosité, prière, humilité sans doute… Il est parfaitement en ordre avec sa tradition et sa religion. Mais il en veut plus.
Je ne suis pas sûr de lui arriver à la cheville dans cette soif de sens à la vie, cette soif de bien faire, cette soif de Dieu. Seulement, incontestablement, il n’est pas heureux. Torturé, préoccupé… et tellement peu sûr d’être accepté et aimé de Dieu. Fait-il vraiment tout juste ? Il y a une angoisse, une peur, une insatisfaction profonde au cœur de sa vie. Alors, pour répondre à son angoisse et pour combler ce vide, il se dit qu’il a encore tant de progrès à faire.
Cet homme est le premier à vouloir comprendre ce qui lui manque encore. Quel idéal de perfection ! Et qu’il est actuel cet homme. Il serait comme un poisson dans l’eau dans notre monde qui fait de la réussite, de la compétence et de l’excellence les trois piliers de la valeur d’un être humain. Qu’il est actuel, cet homme. Il serait comme un poisson dans l’eau dans notre monde foisonnant de formations, de cours, de séminaires ; pour s’améliorer, pour se perfectionner, professionnellement, psychologiquement, physiquement, spirituellement aussi.
Jésus, lui, le regarde… et l’aime. Il est manifestement touché par sa sincérité et le drame qui le consume. Jésus le regarde et l’aime. Cet homme, prisonnier de ce qu’il doit faire ou ne pas faire, obsédé par sa quête de perfection, est invité à entrer dans un autre registre : celui, d’un amour qui l’accueille. Mais le perçoit-il seulement ?
Pour le redire en langage familier, il y a du boulot ! Il lui faut une sorte d’électrochoc : tout remettre à plat, pour reconstruire autrement. Et son véritable manque n’est absolument pas là où il le croit. « Une seule chose te manque », dit Jésus. Une seule chose. Va ! Vends ! Donne ! Viens ! Suis-moi ! Un processus de dépossession impressionnant.
Jésus lui demande ni plus ni moins de se séparer de ses biens, de quitter son logement, sa famille, ses racines. Cela va plus loin et plus profondément qu’une générosité hors norme. C’est un renversement qui est vraiment total.
Cet homme pratiquait l’aumône, la dîme sans doute. Eh bien, c’est lui qui devra vivre de l’aumône et de la générosité des autres, dans la bande à Jésus. Il pratiquait, lui et sa famille, l’hospitalité, signe de cet accueil de l’autre et de l’étranger. Eh bien, maintenant c’est lui qui devra espérer et accepter d’être hébergé, puisqu’il suivra un maître qui n’a nul lieu ou reposer sa tête.
Il était profondément enraciné dans l’Alliance et le peuple d’Israël, dans sa famille et dans son clan. On lui demande de vivre comme l’oiseau sur la branche. Lui qui était prêt à investir beaucoup pour obtenir la proximité de Dieu au dernier jour, Jésus lui demande de devenir un sans-ressources, ici et maintenant. Lui qui était dégagé des besoins matériels pour s’adonner aux préoccupations spirituelles, Jésus l’invite à plonger dans l’expérience du manque, du dénuement, de la précarité, avec des soucis très concrets et très matériels au quotidien.
Franchement – moi, vous, nous – est-ce que nous aurions accepté un conseil aussi extrême, pour ne pas dire complétement fou ? Lui, il ne peut pas. Le saut est beaucoup trop grand. Jésus lui demande l’impossible, et l’absurde ! Alors quelle déception et quelle tristesse devant cette étrange réponse. Fin de l’histoire.
Enfin la Bible ne le dit pas, mais, peut-être les mots de Jésus ont-ils fait leur chemin dans sa tête et dans son cœur. Peut-être a-t-il fini par faire le lien entre ce regard aimant et bienveillant du Christ posé sur lui et cette nouvelle proposition de vie si déroutante. Peut-être s’est-il souvenu que Jésus n’a cessé de le répéter à longueur d’Évangile : « Le Règne de Dieu est là, il s’est approché. » Peut-être a-t-il compris que Jésus lui tendait une invitation, en fait gratuite, mais qu’il ne pouvait pas la voir, ni même imaginer qu’elle existe.
Peut-être a-t-il compris qu’il vivait sa réussite sociale et matérielle, et sa vertu, comme des preuves de sa valeur et de sa foi, vécues comme des preuves exigées par Dieu. Et qu’il lui était ainsi devenu impossible d’entrer au Royaume de la gratuité de l’amour de Dieu, au Royaume de son amour inconditionnel comme on dit volontiers aujourd’hui, au Royaume de sa grâce comme aime le dire Paul et les Réformateurs.
Et, pour y enter, il faut déposer nos richesses. On n’y entre pas fort de ses richesses matérielles. Fort de ses réussites scolaires. Fort de ses compétences professionnelles ou de ses facilités relationnelles. Fort de ses capacités psychologiques, artistiques. Ou même de son palmarès spirituel.
Toutes ces richesses peuvent bien sûr être utiles, dans notre vie et dans notre monde. Elles peuvent sans aucun doute nous épanouir et être développées et mises au service des autres, pour le bien de tous. Elles font même partie des dons de Dieu que nous avons à partager avec les autres, bien sûr. Avec elles et grâce à elles, nous célébrons la vie !
Mais nous laisser rencontrer par Dieu dans sa volonté de nous aimer, c’est se désencombrer de tout ce que nous croyons nécessaire de faire, d’avoir ou de réussir. C’est sans doute entrer dans la dimension de la rencontre, du don et du partage, plutôt que dans l’obsession de l’accumulation, de la perfection et de l’amélioration sans fin, pour être quelqu’un de bien.
C’est nous accepter d’abord en état de manque, d’imperfection, d’inachèvement, de dénuement et de dépouillement. Et ce n’est ni du masochisme, ni de la dévalorisation de soi, pas du tout ! C’est une étonnante libération : le droit d’être soi-même. Et là, la bonté de Dieu et le regard d’amour du Christ peuvent nous trouver et nous rencontrer.
Au début du récit, l’homme traite Jésus de bon maître… et il se fait reprendre. Personne n’est bon à part Dieu seul ! Et si cet homme n’avait simplement pas vu la hauteur, la longueur, la largeur et la profondeur de la bonté de Dieu pour lui ?
Et nous, percevons-nous ce regard aimant que Dieu pose sur nous à travers le Christ ?
Amen