"Le règne de Dieu est comparable à un filet qu'on jette en mer et qui ramène toutes sortes de poissons. Quand il est plein, on le tirage sur le rivage, puis on s'assied, on ramasse dans des paniers ce qui est bon et l'on rejette ce qui ne vaut rien".
En ce dimanche qui est comme au seuil de l'année nouvelle, c'est cette parabole de Jésus que je veux écouter avec vous. Une parabole où Jésus nous annonce le règne de son Dieu, comment il vient dans notre temps, comment il est avec nous tous les jours, tous les jours de nos années. Une parabole où Jésus nous parle aussi de notre vie, de notre vie en ce temps, où il nous dévoile ce que le règne de son Dieu en attend, quelle espérance il fonde en elle, quel sens, quel sens ultime il lui indique.
Mais laissons, à présent, la parabole nous instruire. Et, pour commencer, il y a ce filet auquel le règne de Dieu est comparable, ce filet qui ramasse toutes sortes de poissons une fois qu'on l'a jeté en mer. Un filet d'en genre particulier, un filet à la traîne. Un filet qui peut être tiré par deux bateaux ou bien mis en place par une barque et hâlé du rivage par de longs cordages. Un filet qui fonctionne en quelque sorte comme un immense râteau marin, un filet qui râtelle tout sur son passage, qui "ramasse toutes sortes de poissons" comme le dit la parabole. Il y a donc ce filet qui prend, qui ramène tout ce qu'il rencontre, tout ce qu'il trouve, ce filet totalement déployé, tout grand ouvert qui ne choisit pas, qui ne sélectionne pas ses prises, mais qui recueille tout dans ses mailles.
Voilà comment le règne de Dieu vient à nous, comment il est avec nous tous les jours de nos années : comme ce filet tout grand ouvert "qui ramène toutes sortes de poissons". Le règne de Dieu ne choisit pas, il ne sélectionne pas ceux qu'il veut recueillir, mais, tous les jours de nos années, il nous prend tous, tous les hommes, tous ceux qu'il trouve sur son passage. Il nous reçoit, nous tous qu'il rencontre, sans distinction d'aucune sorte, sans se laisser déterminer par des qualités ou des titres ou des mérites particuliers, sans se laisser déterminer par tous ces détails auxquels, nous, nous regardons.
De nous tous, il s'approche. À nous tous, il s'ouvre. À chacun d'entre nous, il offre sa place : le citadin et le paysan, le touriste et l'indigène, l'indépendant et le fonctionnaire, le maître et le serviteur, le noir et le blanc, le malade et le bien-portant, le génie et le crépusculaire, le riche et le pauvre, l'actif et le rêveur, l'audacieux et le timide, le bon et le méchant, le juste et l'injuste, le pécheur et le pharisien, l'autre et moi, tous, nous sommes recueillis, tous, pareillement, nous sommes pris en compte, jugés importants, tous, pareillement nous sommes aimés et à tous, à chacun, c'est la même grâce qui est faite, la même miséricorde qui est faite. Qui que nous soyons, Quelque nous soyons, la Parole qui pardonne, qui libère, la Parole qui fait du bien et qui remet en marche nous a-t-elle manquée cette année, tandis que nous connaissions maladies et angoisses, tandis que nous traversions culpabilités et découragements ? Et qui que nous soyons, quels que nous soyons, le pain et le vin nous ont-ils manqué sur cette table ? Ont-ils manqué de nous rassembler, de nous remettre ensemble, de nous réconcilier les uns avec les autres, ont-ils manqué, au cours de cette année de nous rendre la joie qu'il y a de vivre en une communion fraternelle ?
Et qui que nous soyons, et quels que nous soyons, l'amour des autres, leur bonté nous ont-ils manqué tous les jours de cette année ? Nous ont-ils manqué les gestes secourables, les épaulements fraternels dans tous ces moments où seuls nous n'aurions pas pu continuer notre chemin ? Nous ont-ils manqué les actes généreux, les présences chaleureuses, les gestes de douceur et de tendresse dans tous ces moments où, dépouillés de ressources physiques ou morales, nous ne pouvions plus nous assister, nous assumer, nous soutenir ou nous diriger ?
C'est le règne de Dieu : il est miséricordieux, il est bon pour chacun d'entre nous, tous les jours...
Et puis, maintenant, la parabole dit : "Quand le filet est rempli, on le tire sur le rivage, puis on s'assied, on ramasse dans des paniers ce qui est bon et l'on rejette ce qui ne vaut rien." Ainsi, dans le filet que l'on retire, il y a "ce qui ne vaut rien". Ce qui ne vaut rien, ainsi que l'évangéliste l'exprime dans son langage, c'est ce qui sent le moisi, la pourriture, ce qui est mort depuis longtemps, en état avancé de décomposition et qui est impropre à la consommation, ce qui ne peut pas servir, servir à nourrir les hommes, ce qui ne répond pas à ce que l'on en attendait, à ce que l'on en espérait, ce qui n'est pas bon, ce qui n'aide pas à vivre. "On rejette ce qui ne vaut rien." Ne nous attardons pas là-dessus. Pour l'expérimenter chaque jour, nous savons assez ce qui n'est pas bon, ce qui n'aide pas à vivre. Mais, maintenant, il y a aussi *ce qui est bon et que l'on ramasse dans des paniers." Et ce qui est bon, dans le langage de l'évangéliste, c'est ce qui est sain, vivant et qui est propre à la consommation, c'est ce qui peut servir, servir à apaiser la faim des hommes, ce qui répond bien à ce que l'on en attend, à ce que l'on en espère, ce qui aide à vivre.
Peu importe, donc, que le poisson soit de telle ou telle sorte, de telle ou telle espèce... ce qui compte, ce qui est décisif, ce qui détermine qu'il soit rejeté ou recueilli dans des paniers, c'est qu'il réponde au projet que l'on a pour lui au moment où l'on jette le filet : qu'il soit bon, qu'il serve, qu'il serve à apaiser la faim, à nourrir, à donner la vie, qu'il serve à aider les hommes, à les aider à vivre.
Or, c'est ici que Jésus nous parle de noter vie, de l'espérance que le règne de Dieu fonde en nous, du sens, du sens ultime qu'il nous indique :
que nous soyons bons, bons au sens où le sont ces poissons que l'on recueille dans les paniers, bons comme le règne de Dieu l'a été pour nous tout au long de cette année. Que nous passions nos jours à devenir ses serviteurs, ses membres vivants, ses membres vivants qui accomplissent aujourd'hui sa volonté de grâce, sa volonté de miséricorde, cette volonté que, devant nous, Jésus a accomplie en faveur de tout homme, qu'il soit ami ou ennemi : "Laisse là tes offrandes et va te réconcilier avec ton frère, mets-toi vite d'accord avec ton adversaire. Ne résiste pas au méchant. Si quelqu'un te frappe sur la joue droite, tends-lui aussi l'autre. Ne tourne pas le dos à celui qui veut t'emprunter. Aimez vos ennemis. Priez pour ceux qui vous persécutent. Quand tu fais l'aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite. Quand vous priez, dites : "Notre Père..." Ne vous posez pas en juges, pardonnez, que votre lumière brille aux yeux des hommes, tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux..."
Que nous soyons bons ! Que nous passions nos jours à servir cette volonté de miséricorde, à travailler pour le bien du prochain, à l'aider, à l'aider à vivre comme nous-mêmes nous désirons être aidés à vivre. Que nous soyons bons ! Quand nous traitons une affaire, discutons un contrat, réglons un litige, quand nous enseignons nos enfants, conduisons la voiture ou passons une commande, quand nous construisons notre maison ou notre carrière, quand nous partons en vacances ou payons nos impôts, et quand nous votons ou que nous sommes candidats, quand nous attendons au guichet ou que nous montons dans le train, quand nous marchons dans la rue ou que nous sommes attablés au café du coin, qu'en tout et partout , nous soyons bons, qu'en tout et partout nous n'ayons qu'un souci celui du prochain, celui de l'aider à vivre, de faire pour lui tout ce que nous voulons qu'il fasse pour nous.
Que nous soyons bons ! À leur manière, et certainement sans le savoir, ils ont été bons envers moi ils m'ont aidé, et ils m'aident à vivre dans les passages difficiles, et ils m'appellent aujourd'hui à la bonté envers mes frères, ceux et celles qui m'ont dit ces paroles qui demeurent gravées dans ma mémoire : de cette maman africaine en train d'allaiter son enfant âgé d'un jour et à qui je demande comment s'est passé l'accouchement : "le bon Dieu est grand ! monsieur le pasteur." De ce vieillard aux portes de la mort : "Je vais entrer dans un tunnel, mais j'ai confiance : je sais qu'au bout quelqu'un m'attend." D'une réfugiée qui avait parcouru des milliers de kilomètres et qui avait tout perdu : "Le monde est petit et on ne s'y perd jamais; car il y a beaucoup d'amis." De cet enfant, tombé de sa trottinette, qui s'est ouvert la lèvre, abîmé les dents et qui saigne : "tu sais, je peux encore siffler !" De ce catéchumène de 14 ans : "Il faut être la personne qu'on est !" De ce réalisateur de cinéma : "Il y a toujours un moment où chacun est beau. Il suffit de lui laisser le temps d'apparaître." De Jésus à l'aveugle Bartimée : "Que veux-tu que je te fasse ?" Et une fois que, découragé, je me demandais à quoi je pouvais bien servir, de ce malade inconnu auquel j'annonçais ma visite :"Vous avez bien fait de venir !"
Que nous soyons bons ! C'est le sens ultime de notre vie. Que la miséricorde du règne de Dieu nous transfigure, qu'elle transparaisse pour chacun en toutes les parties de notre existence. Que nous avancions, comme quelqu'un l'a écrit, l'oeil ouvert à toute merveille et la main tendue à toute détresse ". Tous les jours. C'est là maintenant ma prière. Pour vous. Pour moi.
Amen.