L’évangélisation est l’aboutissement du dialogue

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Dimanche dernier, nous avons médité dans le même livre des Actes des Apôtres la conversion de Paul : le persécuteur-persécuté ou celui qui a été aveuglé pour voir clair. Aujourd’hui, nous assistons à une autre conversion, une autre transformation radicale: celle de Pierre, l’évangélisateur évangélisé. Ces chapitres 10 et 11 des Actes sont charnières : Luc raconte une deuxième Pentecôte, mais cette fois-ci destinée aux païens. Comme la Pentecôte a été l’événement fondateur de l’Eglise, l’effusion de l’Esprit Saint sur les païens donne un visage totalement nouveau à l’Eglise, qui n’est plus simplement un mouvement religieux marginal à l’intérieur du judaïsme, mais qui est appelée à devenir une religion universelle. D’ailleurs, c’est juste après cet événement, dans la suite du chapitre 11, qu’on donne pour la première fois le nom de « chrétiens » aux disciples à Antioche ! Nous assistons dans ces chapitres 10 et 11 à rien de moins que la naissance du christianisme ! Au moment où beaucoup de voix annoncent le déclin, voire la mort de notre christianisme en Occident, il vaut certainement la peine de méditer ces chapitres pour espérer une re-naissance !

Mais comment cela s’est-il produit ? On a souvent intitulé notre passage « la conversion de Corneille », ce centurion romain païen chez qui Pierre se rend. Je pense que Luc insiste plus sur la « conversion » de Pierre, et à sa suite de l’Eglise de Jérusalem, qui découvrent que Dieu est beaucoup plus grand que leurs conceptions étroites. Pierre l’évangéliste devient l’évangélisé de par sa rencontre avec Corneille, le païen. Le « christianisme » est né de cette rencontre improbable, impensable entre Pierre, le disciple juif de Jésus et Corneille, le centurion romain : deux êtres que tout opposait, qui n’auraient jamais dû se rencontrer selon les critères de l’époque !

Et si pour re-naître, l’Eglise d’aujourd’hui avait, elle aussi, à vivre des rencontres improbables et à redécouvrir l’évangélisation ? Mais quelle évangélisation ? C’est un terme qui nous met souvent mal à l’aise dans notre société plurielle qui privilégie le dialogue et l’ouverture plutôt que l’affirmation massive de convictions conflictuelles ! On a tendance à se représenter l’évangélisation sous la forme de la propagande religieuse ou pire encore du marketing théologique ! Comme si l’on avait un « produit » tout fait à vendre pour obtenir plus de parts sur le grand marché des religions et philosophies ! Dans ce cas de figure, je possède la vérité (religieuse, spirituelle, morale) qui donne le sens à la vie et je cherche à l’apporter aux autres pour les rendre heureux !

La propagande ne propage alors que du déjà-su, déjà-connu qui veut transformer l’autre qui ne peut être que dans l’erreur, mais qui ne saurait transformer celui qui annonce le message, qu’il ne fait souvent que répéter, message qui risque de se transformer en « slogan ». Nous nous méfions à juste titre d’une telle « évangélisation » et nous avons tendance à la laisser aux sectes de tout acabit, au risque de tomber dans l’extrême inverse : n’avoir plus rien à dire ou à vivre qui témoignerait de l’originalité chrétienne, se confondre totalement dans la société environnante, avec un silence gêné. Là il n’y a plus d’évangélisation parce que nous n’avons plus conscience d’être au bénéfice d’une Bonne Nouvelle à partager ! Dans les deux cas, l’évangélisation-propagande ou la non-évangélisation par manque de conviction, il n’y a pas de véritable rencontre avec autrui, avec celui qui pense ou vit différemment.

Le récit de la rencontre entre Pierre et Corneille peut nous redonner le goût de l’évangélisation où l’évangélisateur devient l’évangélisé, transformé par la rencontre ! Il y a là une véritable troisième voie où celui qui « évangélise », qui témoigne de la « Bonne Nouvelle » qui le fait vivre, qui essaie de partager ses convictions et peut-être aussi ses doutes, découvre quelque chose de nouveau de l’évangile par ce partage avec autrui qui est pris au sérieux dans ce qu’il vit, pense, expérimente. Comprise ainsi, l’évangélisation n’est pas le contraire du dialogue, de la tolérance, de l’ouverture, mais elle est l’aboutissement du dialogue qui modifie, transforme, fait bouger les deux protagonistes. Conversion de Corneille ou conversion de Pierre ? En fait, conversion des deux par leur rencontre qui leur a permis, à tous deux, de découvrir ou d’approfondir l’Evangile et d’être ainsi conduits à la Vie (verset 18).

Comment Pierre a-t-il été transformé, comment s’est-il laissé évangéliser lui qui était un homme de convictions et de certitudes ? Comment s’est opéré le déplacement intérieur qui lui a permis de découvrir un Dieu surprenant, à l’œuvre là où il ne l’imaginait pas ? Ne nous laissons pas tromper par le caractère un peu merveilleux de la description qu’en donne Luc, avec les visions et les extases ! C’est une manière de dire l’origine divine de cette ouverture, de ce pas en avant, de ces transgressions même, qui ont dû être chez Pierre le résultat d’un débat intérieur, peut-être même d’un combat intérieur. Pierre doit d’ailleurs se justifier devant l’Eglise de Jérusalem, choquée et qui lui demande des comptes sur le bien-fondé de ses actes ; il commence alors par raconter sa vision où il est question de manger des animaux impurs, ce qu’il se refuse de faire. Ce n’est pas une question annexe ! Nous sommes là au cœur de l’identité religieuse de Pierre ! Ce sont ces convictions les plus profondes et fondamentales qui sont remises en question par cette vision ! On a sûrement de la peine à en voir l’enjeu aujourd’hui, mais s’il n’y a plus de distinction entre pureté et impureté, c’est tout l’édifice religieux et moral de Pierre qui s’effondre ! Surtout que cette distinction permettait de définir l’identité et l’appartenance religieuses : on passe en effet très vite et naturellement des aliments mangés aux personnes qui mangent ! Ce sont alors elles qui sont « pures » ou « impures » : le vrai croyant ne pouvait avoir de contact avec des « personnes impures », au risque d’être contaminé ! C’était déjà le débat des pharisiens avec Jésus, qui mangeait avec des personnes de mauvaise vie, alors que les pharisiens s’en séparaient. Un pas est encore franchi si l’on entre dans la maison d’un païen et qu’on mange avec lui ! Pierre devait certainement vivre un combat intérieur ! Jusqu’où aller pour rester fidèle à Jésus dans son ouverture, mais sans faire s’écrouler tout l’édifice religieux ? On entend ce genre d’arguments dans beaucoup de débats qui divisent de nos jours les Eglises !

Or Pierre n’y répond pas de manière théorique, mais il va accepter de répondre à une invitation, à un appel. Il y a dans notre texte une petite phrase qui peut passer inaperçue, mais qui est décisive ; juste à la fin de la vision, trois hommes se présentent à lui : « L’Esprit me dit de m’en aller avec eux sans aucun scrupule (litt : sans faire de distinction). Et nous sommes entrés dans la maison de Corneille » ! C’est là qu’il y a la fin du combat intérieur, la décision de transgresser volontairement la Loi, le courage de dépasser des frontières pour aller à la rencontre de l’autre, simplement poussé par l’Esprit - le Souffle - d’Amour du Christ. Pierre accepte donc de se mettre en mouvement, de se déplacer physiquement, mais aussi moralement, spirituellement et il entre chez autrui, il instaure une proximité, une intimité ! Corneille n’est plus regardé comme un païen à fuir pour rester pur, un centurion romain, peut-être un ennemi politique. Pierre doit abandonner toutes les « distinctions », tous ses préjugés, toutes ses barrières identitaires, pour simplement entrer en relation avec un autre homme.

Voilà qui peut nous interpeller dans nos réflexions actuelles autour de la « mort des Eglises ». Nous cherchons à préserver le noyau dur de nos convictions, à affirmer nos identités, au lieu de nous demander peut-être : que devons-nous laisser, abandonner, dans notre histoire, nos traditions, nos certitudes qui sont en fait des barrières à la rencontre d’autrui, des obstacles à l’action de Dieu ? Comme pour Pierre, la compréhension de ce qui nous est autre, différent, étrange, exige de notre part des déplacements, de ne pas rester figés dans nos certitudes, bloqués dans nos convictions, ainsi qu’un désir d’être « avec » l’autre au lieu de sans cesse nous identifier par opposition ! Voilà ce que Pierre a vécu, ce qui lui a permis d’être un évangélisateur évangélisé par sa rencontre avec Corneille! En poussant Pierre à cette rencontre en profondeur, en l’accompagnant dans son chemin d’ouverture, en le précédant même auprès de Corneille, l’Esprit d’Amour du Christ peut alors souffler en toute puissance sur cette maison, vivifier cette rencontre, et transformer tous deux : Pierre et Corneille, ainsi que leurs proches !

Evangélisateur évangélisé ? Oui, car Pierre va découvrir des dimensions insoupçonnées à l’Evangile, cette Bonne Nouvelle qu’il est appelé à recevoir pour lui tout en la proclamant à autrui : la foi n’est pas un dû, mais c’est le don gratuit de Dieu, ce n’est pas quelque chose que l’on possède, mais que l’on reçoit et nous sommes invités à reconnaître aussi ce don chez les autres. Ils en sont les bénéficiaires ! L’évangélisation est alors toute autre que la propagande : non pas apporter du déjà-su, des certitudes, convictions figées, dogmes et principes moraux rigides, mais nous laisser guider par l’Esprit d’Amour du Christ vers les autres, nous ouvrir à la nouveauté et aux surprises des rencontres, et nous laisser transformer, nous, notre communauté, notre Eglise, par l’Evangile qui nous conduit à la Vie !

« Qui suis-je ? Qui sommes-nous pour faire obstacle à l’action de Dieu ? »

Second culte en direct de l'Église française de Bâle. Daphné Reymond et Michel Cornuz proposent de relire les récits charnières des Actes des apôtres, au moment où le lectionnaire de l’Église catholique romaine fête les apôtres.Après Paul, aveuglé pour découvrir une nouvelle clarté, voici Pierre qui lui aussi vit une conversion qui ébranle tout son système religieux. Dans Actes 10 et 11, on parle de la conversion de Corneille, le centurion romain païen. Mais en lisant le récit plus attentivement, force est de constater que c'est Pierre qui est invité à se « convertir». Par sa rencontre avec Corneille, il doit reconnaître que l’Esprit de Dieu dépasse les frontières religieuses traditionnelles. Pour le pasteur Michel Cornuz, le texte d'Actes 11, appelle l’Église dans son ensemble à entrer dans cet universalisme, au risque de produire beaucoup de résistances.
Et de nos jours ? Quelles sont les frontières dans lesquelles l’Église s’installe-t-elle ? A quelle transgression l’Esprit appelle-t-il ? Quelle conversion pour les Églises et les chrétiens ? Michel Cornuz propose de réfléchir à ces thèmes par une célébration portée musicalement par la chorale africaine de l’Église française de Bâle, signe d’une communauté plurielle.

Détails

Avec la participation de
Anaïs Meyer
Orgue
Dieter Lämmlin
Musique
Chorale africaine de l’Eglise française de Bâle sous la direction de Christian Koul