La vocation

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Depuis que nos Églises réformées se restructurent pour adapter leurs forces aux moyens dont elles disposent, se pose de manière aiguë le problème de la vocation. Celles et ceux qui se sentent appelé-es ne peuvent plus tous exercer un ministère. On dit qu'il y a trop de ministres.
Mais paradoxalement, il y a aussi la crainte de l'inverse, du pas assez, car la relève pourrait bientôt ne plus être assurée. Alors, quand on ne peut plus, quand on ne pourra plus tout faire, qu'est-ce qui demeure essentiel ? Pour quoi sommes-nous appelés ? Pour quoi sommes-nous irremplaçables ?
La vocation première de l'Église, c'est d'annoncer l'Évangile ! Dans sa première lettre aux Corinthiens, Paul écrit : « Quel malheur pour moi, si je n'annonçais pas la bonne nouvelle ! » (1 Cor.9, 16). Et quel malheur ce serait pour nous !

Dieu appelle, pour que la bonne nouvelle du Royaume soit proclamée. Il nous appelle, avec ce que nous croyons et espérons, avec nos histoires personnelles, nos sensibilités si différentes et si riches, nos parcours spirituels variés. Le récit de Jean, qui nous raconte l'appel des premiers disciples, le montre : il y a des gens très différents, des adeptes de Jean-Baptiste, des Juifs traditionnels, et peut-être même des Hellénistes. Tous sont appelés à devenir disciples, et Jésus, tout de suite, leur fait confiance.
À Simon, fils de Jona, il donne le nom de Céphas, en araméen « le roc », c'est-à-dire Pierre, pour souligner le trait dominant de son caractère, et un nom nouveau pour marquer la nouveauté qui va bouleverser toute sa vie.
À Nathanaël, Jésus dit : « Voici un véritable Israélite !». Nathanaël en reste interloqué : « D'où me connais-tu ? »
Celui qui nous appelle nous connaît, il sait bien qui nous sommes et de quoi nous sommes faits, et il nous invite à le suivre. Les deux premiers disciples, André et son compagnon anonyme, incarnent le prophétisme radical de Jean-Baptiste, Nathanaël, lui, est un vrai Israélite. Il semble avoir la meilleure connaissance religieuse, car Jésus lui dit : « Quand tu étais sous le figuier, je t'ai vu. » Or, « Être sous le figuier », c'est une image traditionnelle pour dire qu'il se nourrit de l'enseignement de la Bible, qu'il vit de la liturgie du Temple et de la sagesse d'Israël. Pas étonnant donc que Nathanaël ait l'air le plus solide dans sa foi, mais cela ne l'empêche pas, au moment de sa vocation, d'avoir des doutes : « Quelque chose de bon peut-il venir de Nazareth ? » Il connaissait bien le texte du prophète Michée qui parle de Bethléem, mais aucune parole prophétique donnant une quelconque importance à Nazareth ! Mais Philippe lui dit simplement : « Viens voir », ne te fie pas aux impressions, fais-toi une opinion fondée !

Il y a les disciples du Baptiste et des Juifs pratiquants, et encore Philippe qui, à cause du nom que ses parents lui ont donné et de l'éducation qu'il a probablement reçue, est peut-être le plus ouvert au monde et à la culture grecque. C'est cela, la première communauté des disciples, une grande diversité, mais c'est ainsi que Jésus la veut, et la diversité, c'est sûr, est une richesse.
Elle s'exprime dans leur manière de parler de Jésus. En une quinzaine de versets, alors qu'il faudrait des pages et des pages d'encyclopédie pour les expliquer, se suivent neuf titres christologiques : un dans la bouche de Jean-Baptiste, « l'Agneau de Dieu », sept dans la bouche des futurs disciples, et un dans la bouche de Jésus, « Fils de l'Homme ». À propos de ce dernier, Jésus rappelle à Nathanaël le rêve du patriarche Jacob : une échelle posée sur la terre et dont le sommet touche le ciel, avec les anges de Dieu montant et descendant. À son réveil, Jacob s'était écrié : « C'est ici la maison de Dieu, c'est ici la porte du ciel ! » (Gen. 28, 17). Jésus laisse entendre qu'il est, lui qui nous appelle, la porte des cieux, celui sur qui les anges de Dieu montent et descendent, celui qui rapproche l'être humain de Dieu.
Neuf manières différentes de dire qui est celui qui doit venir. Jésus rassemble dans sa personne toutes ces espérances et il adresse son appel à chacune, à chacun, à tous ceux et celles qui vont fonder et former son Église, quels que soient leur théologie, leurs parcours personnels, leurs capacités ou leurs limites. Malgré son passé fanatique et sa mystérieuse écharde dans la chair, Saul de Tarse est appelé à devenir l'apôtre Paul, Jérémie s'estimait trop jeune (Jér. 1, 6), mais Dieu l'envoie comme prophète, Moïse ne savait pas parler, mais Dieu le choisit pour guider son peuple. Parce que, quand Dieu appelle, il donne toujours les moyens de répondre.

Mais comment être sûr d'une vocation et comment la reconnaître. Les apôtres ont été directement appelés par le Christ. Donc, aucun doute sur le sérieux de leur vocation et de leur réponse. Les prophètes de l'Église du premier siècle ont été reconnus en raison des dons qui manifestement étaient les leurs. Les anciens et les évêques, que l'Église primitive a institués, l'ont été sur la recommandation des apôtres et avec l'assentiment de l'Église, car personne ne doit exercer un ministère sans avoir été à la fois appelé et reconnu. Mais aujourd'hui, comment évaluer une vocation ?
Le texte de Jean reste silencieux sur les motivations profondes des disciples. Parce que nous ne pouvons pas, de l'extérieur, nous prononcer là-dessus. La vocation, c'est très personnel, très intime. La vocation, c'est la lutte intérieure de celle ou celui qui est appelé-e. C'est comme la lutte de Jonas, ira-t-il ou n'ira-t-il pas à Ninive porter la parole de Dieu ? La vocation, c'est Dieu qui suscite des tempêtes dans le cœur. Mais la paix vient… quand l'appel est accepté.
Cette lutte intérieure permet de voir clair sur ses motivations. Comme l'écrit Pierre du Moulin, pasteur et professeur de théologie, quelques dizaines d'années après Calvin, dans son petit traité « De la vocation des pasteurs », il faut que celui qui se sent sollicité au-dedans du désir d'accéder au ministère examine sa conscience. « S'il n'est point chatouillé d'un désir de paraître, ou s'il n'est point mené par son profit, ou s'il n'est point forcé par la pauvreté ou une autre nécessité, mais n'a d'autre but que la gloire de Dieu et l'édification de son Église. » (« De la vocation des pasteurs », liv. I, chap. I).

Mais Calvin distinguait la « vocation intérieure », par laquelle le proposant désire accéder au ministère et la « vocation extérieure », par laquelle l'Église confirme cette aspiration du candidat. Pour que la vocation soit reconnue, les deux doivent se rencontrer. Calvin fut le premier, dans la tradition protestante, à définir quatre critères de discernement d'une vocation, et l'un de ces critères, c'est la confirmation par autrui. La vocation doit être reconnue, et dans nos Églises, cela s'exprime lors de la consécration et ensuite au moment de l'élection par la paroisse. Ces deux moments sont particulièrement importants, car il y a là un témoignage de confiance, une prière, une force pour le ministère.
L'Église ne peut pas juger de la vocation, mais elle peut la reconnaître, en vérifiant l'adéquation du candidat à la charge envisagée, et en lui exprimant publiquement sa confiance.

Mais la vocation ne concerne pas que les ministres. L'appel est adressé à tout le peuple de Dieu ! C'est ce que nous appelons, dans nos Églises protestantes, le « sacerdoce universel », un principe directement inspiré de la Bible, de la première lettre de Pierre (2, 4 - 5), et aussi du livre de l'Apocalypse qui affirme que le Christ fait de nous, de nous tous ! « un royaume et des prêtres pour notre Dieu » (1, 6 et 5, 10). Et ce que Pierre du Moulin disait à propos des ministres est vrai pour chaque croyant : dans l'Église, chaque personne qui s'engage ne doit désirer qu'une chose, une seule, la gloire de Dieu !
Mais pas seulement dans l'Église. Luther, contre les moines de son temps, qui voyaient leur vocation comme une excuse pour se soustraire à la masse des humains, avait même appliqué le concept de vocation à toutes les activités profanes. Pour lui, toutes les vocations sont importantes et chaque activité humaine peut devenir le lieu du service de Dieu et du prochain. Dieu n'a-t-il pas appelé Cyrus, un roi païen ! à entrer dans son projet pour son peuple ?

Puisque tous nous sommes appelés, il est évident que nul n'est supérieur à l'autre. Dieu appelle à diverses tâches, à diverses responsabilités, mais si, dans l'Église, certains sont mis à part pour une tâche particulière et exercent un ministère, ils ne sont pas plus que les autres baptisés ni au-dessus d'eux !
Dans son Petit Catéchisme, Martin Luther écrit même que c'est à toute son Église que le Christ confie ce qu'on appelle « le pouvoir des clés », c'est-à-dire l'annonce du pardon à celles et ceux qui le cherchent. Tous les croyants sont aptes à appeler au Royaume, à consoler et à encourager, à reprendre et à exhorter. Il y a des ministères, mais pas de hiérarchie, car jusqu'à la fin des temps, le seul chef de l'Église, c'est Jésus-Christ ! Et puis, aucun ministre d'aucune Église ne peut revendiquer pour lui-même ni pour ses pairs l'exclusivité de la succession apostolique, car elle n'est pas liée à une imposition des mains qui remonterait aux apôtres, qui eux-mêmes l'auraient reçue du Christ, mais elle est liée à notre attachement à l'enseignement des apôtres. Voilà la véritable succession apostolique : la fidélité à la Parole éternelle de Dieu !
Ne nous lassons donc pas de toujours revenir à l'Écriture, car c'est là que nous trouvons la source et l'inspiration de notre vocation.

Dieu nous appelle tous. C'est ce qui fait vivre et grandir nos Églises. Nous pouvons être fiers de cet appel qui nous est adressé et de la confiance qui nous est faite. Dans le récit de Jean, c'est chaque fois un disciple qui en convainc un autre, une lumière qui en allume une autre. C'est ainsi que l'Évangile grandit, quand chaque croyant devient un membre vivant et actif de son Église !
Mais si nous ne pouvons pas nous engager dans la communauté des appelés, il reste, chers amis auditeurs, ce culte qui nous rassemble et qui nous unit dans une communion de foi et de prière et qui nous rappelle notre commune espérance.
Comme le dit la lettre aux Éphésiens : « Soyez remplis par l'Esprit ; parlez-vous par des cantiques, des hymnes et des chants spirituels ; chantez et célébrez le Seigneur de tout votre cœur ; rendez toujours grâce pour tout, au nom de notre Seigneur Jésus-Christ, à celui qui est Dieu et Père. » (5, 18 - 20). C'est lui qui nous appelle, toutes et tous, et qui nous donne force, courage et inspiration.

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
François Delor
Q
Musique
Catherine Fuchs, hautbois