Écouter le culte :
Jan
Je me souviens de ma grand-mère toute fâchée. Je devais avoir six ou sept ans et cela se passe aux Pays-Bas. J’allais parfois chez elle, à la sortie de l’école, prendre les quatre heures. Du pain avec du choc, c’est universel !
Moi j’aimais bien la mie, mais pas les croûtes. Et quand je les faisais subrepticement glisser sous la table pour que le chien s’en occupe, ma grand-mère piquait une grosse colère.
Elle me rappelait avec véhémence les années de la guerre où on avait droit à une seule tranche de pain noir par jour ; de cet hiver terrible de mille neuf cent quarante-quatre où elle quémandait un peu de nourriture dans les fermes aux alentours ; de ces kilomètres parcourus dans un froid glacial pour rentrer avec quelques raves et deux ou trois œufs.
Oui, elle était sacrément en colère ma grand-mère, et elle détestait l’idée qu’on puisse jeter de la nourriture, même les dernières miettes du pain sec.
Ce jeûne forcé du temps de la guerre l’avait amenée non pas à vénérer l’abondance de nourriture, mais à se révolter contre le gaspillage de ces biens de tous les jours.
Avant chaque repas elle priait et mon grand-père, faisant le signe de croix avec le couteau sur le pain, bénissait Dieu avant d’en couper des tranches.
Depuis la fin de la guerre et le retour des étals achalandés ils n’ont plus jamais sauté un seul repas, jamais. Pourquoi feraient-ils cela, alors qu’ils en ont tant souffert pendant cinq longues années.
Pourquoi sauter un repas, pourquoi jeûner, pourquoi renoncer, s’abstenir, alors que rien ne vous y oblige ?
Pourtant, le Jeûne existe depuis la plus haute antiquité, et la Bible fourmille d’exemples de grands hommes et femmes qui manifestent ainsi leur attachement à Dieu. En voici quelques uns:
Armand
- Jésus, avant de commencer son œuvre, a jeûné quarante jours dans le désert.
- Ses disciples priaient et jeûnaient avant de prendre des décisions importantes.
- Dans l’Ancien Testament, le roi Josaphat appelle tout le peuple d’Israël à jeûner devant la menace d’une invasion par la grande armée égyptienne.
- Le livre d’Esther raconte un jeûne complet de trois jours qui sauve le peuple du méchant Haman, qui avait obtenu du roi de Perse la permission de tuer tous les Juifs de son royaume.
- Et enfin le prophète Esaïe parle du jeûne qui plaît à Dieu et qui va bien plus loin que la seule abstinence de manger et de boire, puisqu’il libère les enchaînés, enlève le joug, rend la liberté, partage son pain, loge et habille les pauvres. C’est carrément un programme socio-politique !
- Jésus lui-même nous recommande de faire le jeûne, mais discrètement et sans se mettre en avant. C’est dans l’évangile de Matthieu au chapitre six.
Jan
Merci pour les exemples, mais allons maintenant un peu plus loin. Le jeûne est devenu un thème porteur de nos jours. Il y a des stages, des cours, des initiations au jeûne.
C’est peut-être parce ce que l’abondance de biens nous écrase par son omniprésence.
C’est peut-être aussi parce que si on ne consomme pas, on n’existe pas dans notre société. Mais en tout état de cause, ici, on choisit de jeûner. De là où tu viens on ne choisit pas, si j’ai bien compris.
Armand
Au Congo et un peu partout en Afrique, nous vivons dans la disette et la rareté des denrées alimentaires.
Les familles sont pauvres et n’ont pas à manger tous les jours.
On peut appeler cela un jeûne forcé ou une grève de la faim imposée, en tous les cas ce n’est pas un choix. Nous subissons cette réalité. Ce n’est pas seulement pour des raisons climatiques et écologiques, mais aussi à cause des injustices sociales et de la mauvaise gestion de nos richesses naturelles.
Voilà pourquoi les paroles à propos d’un jeûne sonnent tout autrement à nos oreilles : c’est une réalité que nous avons souvent subie, mais rarement choisie.
Jan
Oui, je comprends. Et je comprends d’autant mieux que notre Jeûne fédéral n’a pas été choisi non plus. En effet, le Jeûne tel que nous le connaissons aujourd’hui remonte à l’époque du jeune État fédéral du milieu du 19e siècle. Après la guerre du Sonderbund, le gouvernement a tout mis en œuvre pour réconcilier les cantons réformés et catholiques.
Dans ce but, il leur imposa une journée de célébration commune. Et ça a marché ! La Suisse existe toujours et c’était loin d’être assuré à l’époque.
Tu ne trouves pas intéressant qu’un jour de Jeûne partagé est plus fort que l’armée ou la police pour imposer la paix ?
Armand
Sûrement, c’est intéressant, mais c’est de l’histoire !
Franchement, à part les gâteaux aux pruneaux et le lundi de congé, qu’est-ce qui est resté de cette volonté initiale ?
Y a-t-il encore cet esprit de simplicité et de prière qui a inspiré par exemple Nicolas de Flüe ? Lui, il a jeûné très souvent et a su amener un esprit de paix et de conciliation dans le pays, d’après ce que j’ai pu lire dans les livres d’histoire.
Aujourd’hui, tellement de gens vivent chacun pour eux dans leur coin. Dans le pays d’où je viens, on a faim, c’est sûr, mais les gens sont moins seuls et la vie est souvent plus joyeuse.
Jan
Mais justement, n’est-ce pas là le rappel utile pour notre temps : le Jeûne fédéral a été créé pour que les gens se parlent, communiquent et célèbrent ensemble, avec toutes leurs différences et toutes leurs richesses, ici dans la Broye, chez vous de l’autre côté des ondes, et partout dans ce pays.
N’est-ce pas là ce que l’apôtre Paul appelle « vivre comme des enfants de la lumière » ?
Amen.