Écouter le culte :
«Qui est le plus grand?» Autrement dit, lequel d’entre nous sert-il le mieux Jésus-Christ? Qui est le plus fidèle à son enseignement? Ce n’est pas la question des disciples qui est originale. C’est la réponse de Jésus.
«Le plus grand»…
Parce qu’il y a en effet un vrai rapport de hiérarchie entre nous. Nous ne sommes pas tous égaux dans le service du Christ. Il y a parmi nous le meilleur, le médiocre et le pire, et en l’occurrence Jésus ne le remet pas en question. Il ne dit pas à ses disciples: «Allez, vous êtes tous de braves gens et vous faites ce que vous pouvez.» Non, la hiérarchie est là. Le problème avec Jésus, c’est qu’elle n’est jamais là où on l’attend. On prend des regards énamourés, on trottine à sa suite, on se demande lequel est le plus grand, et le voici qui nous dit: «Si quelqu’un veut être le premier…qu’il soit non pas «mon» serviteur, mais le serviteur «de tous».
C’est là qu’on reconnaît Jésus, le Maître. Rien pour lui, tout pour les autres. Et joignant le geste à la parole, au cas où on n’aurait pas compris qu’être serviteur de tous, c’est bien servir ceux qui ne sont pas «de chez nous» ceux qui ne sont pas «comme nous», il prend un petit enfant par la main, le place au milieu d’eux, le prend dans ses bras et l’accueille.
Nous on se demande : Pourquoi un enfant? Pourquoi diable un enfant? Et on se met à trouver des tas de qualités aux enfants, parce qu’on ne pourrait jamais imaginer que Jésus place au centre quelqu’un ou quelque chose qui serait sans «qualité». Alors on dit : «oui, parce qu’ils sont gentils les enfants » comme si les enfants étaient gentils par nature! Ou alors, on dit : «parce que les enfants font plus et mieux confiance qu’un adulte». Mais allez gagner la confiance d’un enfant qui ne vous connaît pas!
Il nous faut toujours du temps avant de comprendre que ce n’est pas pour ses qualités réelles ou fantasmées que Jésus place l’enfant au centre, mais bien parce qu’il n’appartient pas au petit groupe, au petit clan, au petit cercle d’initiés. Et le plus grand parmi ses disciples, pour Jésus, c’est donc celui ou celle qui arrive à rompre le cercle, à faire une place au milieu du clan à celui qui n’en est pas. A accueillir «celui qui est dehors.»
Que des églises chrétiennes se rassemblent de temps en temps pour manifester leur unité en Jésus-Christ, quoi de plus normal? On ne fait là rien d’extraordinaire, si ce n’est que – comme l’aurait dit Saint-Paul – ceux d’Apollos, ceux de Céphas, ceux de Chloé se souviennent qu’ils ne sont pas étrangers les uns aux autres. Pas mal, mais après tout, si l’on considère les choses du point de vue de l’Evangile, ce n’est encore rien du tout.
«Le plus grand?» Celui qui se place au service de tous! Le plus grand? Celui qui n’est pas fermeture mais ouverture. Le plus grand? Celui qui se fiche de savoir qui est de son église et qui n’en est pas pour exercer les gestes vitaux d’humanité à l’égard de tous.
Malheurs aux petits! Aux petits calculs, aux petites habitudes, aux petits cœurs, aux petites rancœurs. Et le Christ qui n’a jamais méprisé les images fortes va nous servir une série d’allégories qu’on serait bien bête de prendre au pied de la lettre :
Si vous utilisez votre main droite pour repousser plutôt que pour accueillir, coupez votre main, cela vous évitera la sclérose.
Si vous utilisez votre pied pour chasser les gens qui ne sont pas de chez vous plutôt que de faire un pas vers eux, eh bien coupez votre pied, cela vous évitera de voir la gangrène vous envahir.
Et si vous utilisez votre œil non pas pour vous émerveiller de l’autre mais pour surveiller et punir ceux qui ne sont pas comme vous, de chez vous, arrachez-le avant que votre champ de vision ne se rétrécisse aux 4 murs d’une prison.
Quand on dit que le Christ sauve son Eglise, on voit bien ici que le salut n’est pas une abstraction. Nous sommes ici précisément sauvés de ce qu’il y a de plus primaire, de plus primitif dans nos natures débiles, si promptes à établir des barrières qui finissent par devenir nos tombeaux.
Revenons un instant sur notre passé d’Eglise et faisons preuve ensemble d’un peu d’imagination :
Si ses disciples s’étaient souvenus de ses paroles quand ils sont partis à pied en croisade vers Jérusalem ; s’ils s’étaient coupés les pieds plutôt que de couper la tête des musulmans, l’Eglise, vous en conviendrez, n’en serait aujourd’hui pas là.
Si ses disciples s’étaient souvenus de ses paroles quand ils ont plongé leurs mains dans les ors du pouvoir, de la richesse et de la puissance , s’ils s’étaient coupés les mains plutôt que de les plonger dans les trésors du monde, l’Eglise aujourd’hui n’en serait pas là.
Si ses disciples s’étaient souvenus de ses paroles quand ils ont regardé muets les juifs persécutés, les pauvres spoliés, les étrangers expulsés, s’ils s’étaient arrachés les yeux plutôt que de les fermer, l’Eglise aujourd’hui n’en serait pas là.
Il y a en ce moment au MIR une exposition superbe mais terrifiante qui met en évidence à quel point les chrétiens ont fait preuve d’une violence inouïe dans le passé les uns à l’égard des autres, comme des loups qui s’entredévoreraient, sauf que les loups ne s’entredévorent pas, à moins de crever de faim, et encore…
Je simplifie bien sûr à l’extrême, mais d’où vient cette image caricaturale de ce que nous sommes, si ce n’est de toutes les occasions que nous avons manquées de conformer nos actes à la parole du Christ.
«Qui accueille en mon nom un seul enfant comme celui-là – c'est-à-dire précisément, un enfant qui n’est pas votre enfant ; un enfant qui vous est étranger ; un enfant auquel rien ne vous relie: ni les liens du clan, ni les liens du sang, et j’ajoute, ni les liens de l’ethnie, de la religion ou de la race – qui accueille donc «en mon nom un enfant comme celui-là, m’accueille moi-même; et qui m’accueille, ce n’est pas moi qu’il a accueilli, c’est celui qui m’a envoyé».
Comment mieux dire que Dieu est «dehors»? Et que sa présence prend le visage de celui ou de celle qui, venant de l’extérieur, a été accueilli au milieu de nous.
« Qui est le plus grand ? »
« Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous »
N’est-il pas temps aujourd’hui que l’Eglise se tourne résolument vers sa propre modernité, c’est-à-dire qu’elle prenne la place que le Christ lui destine depuis la nuit des temps. Non pas la première place, avec ceux qui occupent les premiers rangs, mais la dernière place, la place de dernière de la classe et qui la rend si proche, justement, de tous les derniers de la terre. N’est-ce pas là sa vocation d’être servante plutôt que maîtresse d’école ?
N’est-ce pas la plus éminente des dignités de ne plus chercher à être reconnu mais à reconnaître ; de ne plus chercher à être accueilli, mais à accueillir, de ne plus chercher à être aimé mais à aimer.
Aujourd’hui, à notre très modeste niveau, nous avons voulu manifester cet accueil en nous mettant en arrière, et en nous ouvrant à une tradition liturgique qui n’est plus celle d’aucun d’entre nous ; qui dépasse donc nos petites habitudes, nos petites cloisons confessionnelles, et nous remercions Marcel Pérès et ses musiciens de nous avoir ouvert cette porte. Qui sait si ce n’est pas par là, justement, que passe aussi, aujourd’hui, le souffle de la présence de Dieu.
Aujourd’hui, pour nous, la présence de Dieu à l’œuvre dans la création et dans le cœur de chacun prend le visage de Samantha Reichenbach, qui a demandé à recevoir le baptême. La porte qu’elle a demandé à franchir, grâce à Dieu lui est ouverte.