Écouter le culte :
La fin d’une année civile, et certains anniversaires qui nous sont personnels, nous rendent sensibles au temps qui passe. Ou plutôt au fait que nous passons, et comment mettre à profit les surprises de l’année future ?
La Bible pourra-t-elle nous aider à prendre de la hauteur et de la profondeur face à l’histoire de notre vie ? Savoir que faire par nous-mêmes et qu’attendre de Dieu ? Je le pense.
Je vous propose de lire ensemble un texte à la fois curieux et célèbre au chapitre 3 du livre de l'Ecclésiaste (Qohélèt), livre très philosophique et subtilement spirituel.
Livre de l'Ecclésiaste 3:1-14
Il y a un rendez-vous pour tout, un temps pour chaque chose sous le ciel :
un temps pour mettre au monde et un temps pour mourir ;
un temps pour planter et un temps pour arracher ce qui a été planté ;
un temps pour tuer et un temps pour guérir ;
un temps pour démolir et un temps pour bâtir ;
un temps pour pleurer et un temps pour rire ;
un temps pour se lamenter et un temps pour danser ;
un temps pour jeter des pierres et un temps pour ramasser des pierres ;
un temps pour étreindre et un temps pour s'éloigner de l'étreinte ;
un temps pour chercher et un temps pour perdre ;
un temps pour garder et un temps pour jeter ;
un temps pour déchirer et un temps pour coudre ;
un temps pour se taire et un temps pour parler ;
un temps pour aimer et un temps pour détester ;
un temps de guerre et un temps de paix.
Quel avantage le travailleur retire-t-il de son travail ? J'ai vu la tâche que Dieu donne à l’humain pour lui répondre. Tout ce qu'il fait est bon en son temps ; il a même mis dans leur cœur l’éternité, bien que l’humain ne puisse pas saisir l'œuvre que Dieu fait du commencement jusqu'à la fin.
Je le sais : Il n'y a de bon pour eux, qu’à se réjouir de faire du bien (et de se faire du bien) pendant leur vie ; et aussi que, pour tout humain, de manger, boire et voir le bien au milieu de son travail est un don de Dieu.
Je sais que tout ce que Le Dieu fait durera pour l’éternité : Il n'y a rien à y ajouter et rien à en retrancher. Le Dieu a fait qu'il nous étonne. Ce qui est a déjà été, et ce qui sera a déjà été, Le Dieu recherche ce qui est perdu.
Évangile de Jésus-Christ selon Matthieu 19:14-15
Jésus dit : Laissez faire les enfants, ne les empêchez pas de venir à moi ; car le royaume des cieux est pour ceux qui sont comme eux. Puis Jésus les bénit en leur imposant les mains et partit de là.
Première lettre de l’apôtre Paul aux Thessaloniciens 5:16-23
Réjouissez-vous toujours, priez continuellement, rendez grâce en toute circonstance : telle est, à votre égard, la volonté de Dieu en Jésus-Christ. N'éteignez pas l'Esprit, ne méprisez pas les messages de prophètes, examinez toute chose : retenez ce qui est bien, écartez-vous du mal de toute sorte.
Que le Dieu de la paix puisse vous sanctifier lui-même tout entier !
Avec son « il y a un temps pour tout... » et ses choquantes paires d’actions contraires, l’Ecclésiaste affirme que la même action peut être bonne à un moment et mauvaise à un autre. Cela choque le moraliste qui va taxer cela de relativisme, cela scandalise l’intégriste qui va parler de blasphème contre la volonté de Dieu qu’il croit posséder. L'Ecclésiaste est ainsi très libérant pour nous et cela est d’un grand secours car ces morales présentées comme absolues font un mal terrible en venant culpabiliser la personne au pire moment de sa vie, ce qui est bien cruel. Par exemple, le divorce ou l’avortement ne sont pas de bonnes choses dans l’absolu, pourtant, dans la vie réelle il peut exister des situations où c’est néanmoins la moins mauvaise des solutions, et qu’il est temps de faire cela malgré tout.
Cela dit, l’Ecclésiaste ne dit pas que tout est égal et que nous pouvons faire n’importe quoi. Nous savons bien que cela reviendrait à laisser le chaos entrer dans notre existence et à être source de chaos autour de nous, avec son lot d’augmentation de la souffrance. Ce n’est pas ce que propose l’Ecclésiaste. Au contraire. Il propose de travailler sur nous-mêmes avec l’aide de Dieu afin d’être capable de trouver nous-mêmes une bonne réponse aux questions parfois brutales que nous pose la vie. L'Ecclésiaste reconnaît que cela n’est pas facile ni confortable.
En conclusion à cette liste étrange il dit : « Quel avantage le travailleur retire-t-il de son travail ? J'ai vu la tâche que Dieu donne à l’humain pour lui répondre. » (3, 9) Le texte sous entend, par un jeu de mots sur les verbes hébreux, que ce devoir de répondre personnellement est une véritable croix pour nous. Comment en serions-nous capables ?
L’Ecclésiaste nous a libéré des règles brutales. Comment aurons-nous maintenant assez de clairvoyance et de sagesse pour trouver par nous-mêmes un bon chemin ? Et ensuite comment avoir assez de maîtrise de soi pour faire ce que l’on a décidé ? L’apôtre Paul le reconnaît par ailleurs quand il dit : « Hélas, je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je ne veux pas. » (Romains 7, 19) et c’est l’impression que me fait cette liste étrange et terrible de l’Ecclésiaste avec son rythme lancinant de « un temps pour ceci, un temps pour cela » qui donne l’impression d’une puissante machine qui avance vers moi et qui décide de rendez-vous, d’actions qui s’imposent à moi.
Effectivement : quelle liberté avons-nous en réalité quand nous décidons d’une action ? Avons nous vraiment choisi ou est-ce que ce choix s’est comme imposé à nous à ce moment là, avec notre intuition du moment, nos préférences, nos faiblesses (comme le dit Paul), en fonction de notre certaine conception du bien et du mal, de l’acceptable ou non. Nous sommes à un rendez vous avec des circonstances uniques, jamais vues. Quelle latitude avons nous ? Compte tenu de ce que nous sommes et des circonstances, dans un sens, il est trop tard, le temps est arrivé. Quelle latitude aurions-nous eues avant ? Préparer de meilleures circonstances possibles ? Bien sûr, même si tant de choses nous échappent (3, 11).
Ce que propose l’Ecclésiaste ici, à mon avis, c’est de travailler sur nous-mêmes, de nous former afin d’être plus lucide et plus fort quand nous serons à ce rendez-vous. Notre vraie liberté est là : dans notre préparation aujourd’hui, ce qui fera évoluer ce que nous serons demain. C’est d’autant plus facile que cela peut se faire en particulier quand nous sommes en bonne forme, avant que les choix tragiques les plus difficiles nous « tombent » dessus. Et apprendre aussi de tout cela.
Travailler sur soi-même est également ce que proposent les philosophes stoïciens et épicuriens avec leurs exercices spirituels. Seulement l’Ecclésiaste place ces exercices dans une relation à Dieu, avec son aide, ce qui à mon avis renforce et embellit considérablement la démarche.
1. La vision d’en haut
Le premier exercice proposé apparaît dès l’introduction : « Il y a un temps pour chaque chose sous le ciel ». « Sous le ciel » : il y a là une invitation à avoir une vue d’en-haut sur la réalité de ce monde et du temps. Nous voir comme faisant partie du tout. Les philosophes antiques invitaient aussi à cet exercice consistant à élargir notre champ d’analyse, en plus de l’attention que nous portons au cœur de notre être. Cette vue d’en-haut est déjà un décentrement de soi-même et c’est par conséquent de l’amour. C’est un exercice d’attention intellectuelle et de mémoire pour le philosophe.
Pour l’Ecclésiaste ou pour Paul, c’est à la fois cet exercice complété par un exercice théologique et mystique. Tout cela se conjugue. C’est Dieu qui comprend le temps, les enchaînements et l’ensemble de la réalité, nous dit l’Ecclésiaste, cependant : « Dieu nous a donné d’avoir une petite idée, à notre mesure mais réelle de l’éternité et de l’univers » (3, 11) – le mot hébreu « olam » désigne les deux. Ce don nous permet de réfléchir, examiner, rechercher, partager nos points de vue. Ce que Paul nous invite à faire sans négliger la Bible et l’Esprit-Saint, ce qui sous-entend que le travail philosophique est également essentiel.
Cet exercice de « regarder chaque temps sous le ciel », pourquoi n’est-il donc pas dans le catalogue des vingt-huit choses nécessaires en leur temps ? C’est que ces 28 choses peuvent avoir rendez-vous avec nous à un temps particulier, cela peut être notre choix, facile à faire ou tragique. Par contre, cet exercice de méditation que propose l’Ecclésiaste n’est pas un rendez-vous occasionnel, il est un exercice permanent comme le dit également Paul.
L’Ecclésiaste reprend ainsi la méditation proposée par les exercices de formation chers aux stoïciens et épicuriens, une méditation ouverte aux dons de Dieu, et confiante en lui.
Cette vison d’en haut nous aide aussi à saisir notre place. Nous sommes une partie du tout de l’univers et de l’histoire du monde, c’est déjà un point philosophique important. Le second est que nous ne sommes pas Dieu. L’Ecclésiaste prend ainsi ses distances avec les intégristes qui pensent que leur science serait montée jusqu’au cieux. Au chapitre 5 de son livre, il explique : « Ne te presse pas d’ouvrir la bouche, et que ta conscience ne se hâte pas d’exprimer une parole devant Dieu ; car Dieu est au ciel, et toi sur la terre. » (5, 2)
C’est ce qui fait l’incroyable richesse et aussi le tragique de l’existence humaine, l’Ecclésiaste souligne que nous sommes sur terre et enfants de la terre (« ben-adam ») et que pourtant Dieu nous donne d’avoir une certaine vision vue du ciel. Nous sommes comme une corde en tension entre ces deux réalités : le ciel et la terre. Cela donne parfois un certain tragique à nos choix, comme l’indique la liste des 28 actions paradoxales.
Il y a effectivement une tension afin de pouvoir bien saisir les rendez-vous que nous imposent l’instant unique du présent : afin de le mettre à profit en apportant notre propre réponse, la meilleure possible pour nous. L’Ecclésiaste fait subtilement diminuer cette tension par la confiance que nous pouvons avoir dans l’avenir grâce à Dieu. En effet, dans cette liste qui ressemble à un tourbillon de chaos, l’Ecclésiaste nous montre que nous pouvons avoir confiance en Dieu : sa liste commence par le temps de la naissance et se termine par le temps de la paix. Dieu veille donc sur la fin heureuse comme il a veillé sur le début de l’histoire. De toute façon, explique l’Ecclésiaste, Dieu recherche même ce qui est perdu (3, 15).
Autre signe dans le texte : la liste comprend 28 articles ce qui évoque dans la symbolique biblique le 7 de la bénédiction divine et le 4 de la terre qui sont conjugués ensemble.
Enfin : seul Dieu a une action parfaitement bienfaisante, nous soulage l’Ecclésiaste. A nous, simplement, de faire ce que nous pouvons. L’humain est ainsi comme une corde entre le ciel et la terre, une corde ni trop tendue ni trop détendue est alors vibrante. Ce que nous propose ces exercices spirituels est de nous accorder pour faire sonner notre propre chant, donner de la joie et en s’en réjouir avec Dieu. C’est une position plus humble que celle de philosophes qui se pensent capables de se former et se sauver eux-mêmes, et qui se doivent d’être performant.
L’adaptation proposée par l’Ecclésiaste change l’objectif visé par notre travail sur nous-même. Les philosophes cherchaient à se dépouiller de ce qui entrave l’humain. L’image est celle du travail d’un sculpteur qui attaque un bloc de marbre pour dégager la statue qui est comme cachée à l’intérieur. Dans la Bible, cette idée d’être libéré par Dieu de ce qui nous empêche de vivre existe et l’Ecclésiaste nous y aide, mais cette libération complète seulement un travail de croissance de l’œuvre de la création de l’humain en nous. C’est ce que nous voyons par exemple dans l’épisode où Jésus nous invite à ressembler à un enfant. Il y a là une vision positive de notre nature et du temps qui passe : il est notre allié naturel comme il l’est pour l’enfant quand il n’est pas maltraité. Chaque année de plus rime pour lui avec une croissance de son corps, de ses connaissances, de son autonomie et peut-être de sa sagesse et de sa spiritualité. Dans cette vision biblique nous n’avons donc pas à nous dépouiller de la joie de vivre en ce monde ni d’être indifférent aux peines, à la maladie ou à l’injustice, comme le proposaient les stoïciens ou les épicuriens afin de se rendre plus imperméables aux aléas de l’existence. Au contraire : nous pouvons avoir avec Dieu une vision d’en haut sur ces réalités, une vision créatrice face au bien comme au mal. Et y trouver de la joie.
2. Se réjouir de bien faire et de se faire du bien
Le second exercice que nous propose l’Ecclésiaste (et Paul) est fort sympathique, mais comme c’est un exercice à pratiquer régulièrement, cela demande une petite discipline quand même : « se réjouir de bien faire (et de se faire du bien) pendant notre vie » (3, 13). Il y a en effet une ambiguïté dans le texte hébreu pour savoir si cet exercice essentiel qui nous est proposé est de « faire le bien » ou de « se faire du bien ». Quand il y a ambiguïté dans le texte biblique c’est qu’il convient de conjuguer les deux, de les tresser ensemble. L’exercice proposé est donc à la fois de nous former (prendre soin de nous) et de produire (d’appliquer nos qualités en faisant du bien). De tisser les deux.
Et pour cela, simplement chercher à s’en réjouir, délibérément. Joie de se faire du bien en nourrissant notre être, notre intelligence, notre foi. La méditation, la prière, la philosophie, la lecture, se rassembler avec d’autres, l’analyse critique pour garder le meilleur et mille autres choses peuvent être des temps où nous nous faisons du bien avec l’aide de Dieu. Le temps de shabbat aussi, temps où nous nous exerçons à nous réjouir d’être en ce monde tout simplement. Les temps de plaisir aussi ne sont pas nécessairement des temps d’égoïsme mais peuvent être des temps où nous nous faisons du bien – dans la mesure où ils contribuent à élargir notre cœur. A nous de voir si cela nous a réellement fait du bien en terme de qualité d’être et de nous en réjouir alors. De faire le bilan, d’être maître de notre programme d’exercices et de leurs rythmes, avec le même sens pratique que pour la santé de notre corps.
Cette joie de notre formation est à conjuguer, à tresser avec du temps d’application en trouvant comment faire du bien. Joie de voir le bien produit par notre petit travail (3, 13). Il y a une grande joie en tissant les deux, nous dit l’Ecclésiaste ; dans notre formation et dans l’application de ce que nous avons acquis comme capacités, nous dit l’Ecclésiaste, comme le diraient également les philosophes stoïciens et épicuriens. Seulement ici, il y a une invitation à y voir un don de Dieu. Et d’ajouter cet exercice essentiel qu’est la louange à Dieu.
Ce texte de l’Ecclésiaste nous invite ainsi à prendre notre temps et à prendre vraiment du bon temps afin de nous préparer à vivre cette extraordinaire merveille qui consiste à vivre le temps présent, la journée présente. Car nous avons rendez-vous avec notre aujourd’hui. Quand on a un rendez-vous amoureux, on se réjouit, on se prépare le corps et l’esprit au mieux, on a peut-être même soigné un peu sa ligne, élevé notre âme. Nous pouvons alors donner une réponse où nous aurons mis ce que nous pouvons. Et ce ne sera pas si mal. A Dieu d’assurer la suite, il cherchera ce qui est perdu. Et ce sera bien.
Amen