Naître de la promesse

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L'avent est le temps liturgique de la venue de Dieu, que nous attendons dans l'énigme d'une naissance. La sienne, symbolisée dans l'enfant de la crèche. Et la nôtre, figurée par l'accueil que nous lui consentons. Car "naître", dans le témoignage biblique, a un sens tout à fait particulier. Ce n'est pas simplement venir au monde, sortir du sein maternel. C'est être rencontré par Dieu, ou plutôt par les paroles ou les événements qui révèlent sa présence discrète. Pour la Bible, naître est moins un commencement qu'un perpétuel renouveau. Il n'y a pas d'âge pour naître de la promesse qui nous rouvre au goût de vivre, au goût de l'autre. C'est dans nos têtes qu'il y du vieux, du désespoir, du scepticisme, des scléroses, des blessures non cicatrisées - tout un pesant éboulis de sentiments négatifs qui ensevelissent nos vies. Nous n'osons pas nous avouer à nous-mêmes qu'en fait nous n'attendons plus rien de tout à fait neuf, en tout cas pas une nouvelle naissance !

Et bien Dieu ne l'entend pas de cette oreille ! C'est pourquoi, à l'orée de l'Écriture, nous voici figurés par Abraham et Sarah. Un centenaire et une nonagénaire ! Deux existences hautes en couleur qui ont placé leurs pas dans la trace du Très Haut, mais qui n'attendent plus de la vie aucun enfantement, qui ne s'attendent plus à faire naître la vie, en eux et à travers eux. Car, dans le récit, l'impossible naissance d'Itzhac qui suivra, signifie, comme dans un conte oriental, que "le temps de vie" où Dieu annonce qu'Il vient n'est pas le temps biophysique qui trahit notre vieillissement, mais le temps intérieur où nous rejaillissons à la vie dans une fécondité nouvelle. Et le texte nous prend par la main pour nous faire découvrir ce "temps de vie", où Dieu fait renaître nos existences à plus qu'elles-mêmes, comme un temps intérieur marqué par trois dimensions : la vulnérabilité qui nous place au seuil de nous-mêmes, l'hospitalité du coeur qui nous rouvre à la convivialité, et la promesse qui rend notre temps à sa fécondité. Donnons la main au texte pour qu'il nous conduise !

Comme dans un film, il y a d'abord le titre : "Le SEIGNEUR se fait voir à Abraham aux Chênes de Mamré". Première énigme : comment le Transcendant, le Dieu Tout Autre, va-t-il se faire voir ? Travelling avant et gros plan sur Abraham. Il est en méditation. Il vient de se faire circoncire, il est souffrant. Il se tient assis à l'ouverture de la tente. Ce premier plan révèle d'emblée cette première dimension de nous-mêmes par laquelle Dieu va nous faire renaître en se faisant voir : c'est la dimension de la vulnérabilité. Abraham est en situation de fragilité, exposé, méditant, mais à l'ouverture de soi, non dans le repli intérieur. Il nous figure vulnérables, au seuil de nous-mêmes, non totalement refermés sur notre blessure. Car Dieu ne peut entrer dans nos vies que là où notre autosuffisance est entamée et appelle implicitement une relation. Mais comment Dieu entre-t-Il ?
Sur le mode de la contemplation mystique, lorsque l'âme aux confins d'elle-même, élève son dénuement vers le plus haut ? Ou dans la venue à nous d'un prochain, visitation d'un visage appelant au partage et à l'accueil ? Peut-être des deux façons.

Car dans notre petite séquence, Abraham est détourné de son regard contemplatif par le passage de trois voyageurs, comme si le Dieu Transcendant s'éclipsait pour se signifier dans la relation qui va se nouer. Abraham d'ailleurs - selon une lecture possible du texte - s'excuse auprès de Dieu de devoir s'occuper de ses hôtes. Mais, ce faisant, il passe le seuil de lui-même où l'exposait sa vulnérabilité et cette dernière se transforme en hospitalité du coeur. Ainsi Dieu se fraye-t-il passage dans le surgissement de la relation, refusant que nous l'assignions à résidence dans la seule intimité de l'oratoire. Nos vies commencent de renaître lorsque la venue de Dieu se fait sa place dans l'accueil et la convivialité. En prenant une miche de pain, Abraham ne dit pas seulement "mangez !", mais : "restaurez votre coeur !". C'est-à-dire : sur le chemin poussiéreux de nos existences, retrouvons ensemble la halte de la relation, la pacification d'un repas et d'une communion avec autrui. Car dans cette communion Dieu communie. Il passe Lui aussi. Mystérieusement. Comme autrui va sa vie, mais rouvre la nôtre lorsqu'il lui offre un champ d'écoute, une parole libérante, une joie inopinée. Bien avant Coluche la Bible nous invite à créer les "restos du coeur" ! Abraham s'affaire. Le film du texte décrit sa hâte dans une sorte de halètement des images. C'est nous dans notre stress quotidien. Mais toute cette précipitation n'est ici qu'au service d'un offrir. Dans cette gratuité du don, la grâce marque sa venue.

Alors la parole va emplir cette renaissance de la relation en se donnant comme promesse. Les hôtes annoncent le retour d'un temps de vie, d'un nouvel enfantement possible. Mais ici, en nous, le doute l'emporte. Nous sommes, avec Abraham et Sarah, enclins au scepticisme et au rire entendu. "Où est Sarah, ta femme ?" demandent les visiteurs. "La voici, dans la tente" répond Abraham. Nos esprits modernes ricanent... une fois de plus, la femme est aux cuisines ! Mais en réalité, Sarah était une patronne qui dirigeait son monde et l'arrière-plan du texte-film nous la montre se tenant sur le seuil de la tente, écoutant aux portes, mais prêtant attention à la parole grosse d'une promesse de vie. Elle figure notre ouverture possible ou refusée à la promesse dans toutes les situations d'impasse que connaissent nos existences. Ici l'impasse est l'absence de descendance. Mais sous les motifs de la "stérilité" et du "vieillissement", chacune de nos vies peut se reconnaître. C'est la stérilité ou la fécondité du temps réouvertes au coeur de la relation, qui sont en cause. La promesse ne peut s'inscrire dans nos vies comme sa dimension de renaissance, qu'à la condition exprès que nous attendions encore dans la confiance quelque chose de l'Autre. La venue de Dieu comme enfantement suppose ce délogement. Notre indécrottable scepticisme fait barrage à l'irruption de Dieu, à notre nouvelle naissance comme à une possible naissance suscitée par Lui. Mais l'humour du texte contourne notre ménopause spirituelle, refuse de nous considérer comme fanés pour les voies de la vie. À Sarah qui, après Abraham, a ri, Dieu fait un rire comme on fait un enfant - Itzhac "il rira" - et atteste par ce happy end de notre séquence filmée que sa promesse ne cessera de nous réenfanter au don de la vie, moins vieux que nous ne croyons être.

Ainsi se résume le chemin que creuse en nous, l'annonce que nous avons à naître de la promesse, là où Dieu nous rencontre. Une vulnérabilité première avouée au seuil de nous-mêmes s'ouvre à la relation en se tournant vers l'accueil d'autrui où Dieu mystérieusement passe. L'hospitalité offerte se mue ainsi en restauration du coeur au suspens de la grâce. Et la promesse qui s'inscrit dès lors comme la dimension insue de la parole vivante rouvre notre temps à sa fécondité.

Le temps de l'avent peut ainsi naître en nous comme une naissance à la Lumière de l'enfant de Bethléem qu'il indique.

Amen.

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Avec la participation de
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