1 Moi, je suis la vigne. La véritable. Et mon Père est le vigneron
2 Tout sarment en moi qui ne porte pas de fruit, il l'enlève. Et tout sarment qui porte du fruit, il l'émonde. Pour qu'il porte plus de fruit encore.
3 Vous, vous êtes déjà émondés. A cause de la Parole. Celle que j'ai rendue audible pour vous.
4 Demeurez en moi, et moi en vous. S'il ne demeure dans la vigne, le sarment ne peut porter fruit de lui-même. Ainsi vous non plus, si vous ne demeurez en moi.
5 Moi, je suis la vigne. Vous, les sarments. Qui demeure en moi et moi en porte beaucoup de fruit. Séparés de moi, vous ne pouvez rien faire.
6 Si quelqu'un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors. Comme le sarment. Il se dessèche. On les rassemble. On les jette au feu. Ils brûlent.
7 Si vous demeurez en moi, si mes paroles demeurent en vous, demandez ce que vous voulez : pour vous cela adviendra.
8 Ce qui donne son pesant de gloire à mon Père, c'est ceci : que vous portiez beaucoup de fruit et que vous deveniez mes disciples.
9 Comme le Père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans l'amour qui est le mien.
10 Vous demeurerez dans mon amour si vous gardez mes commandements. Comme moi j'ai gardé les commandements de mon Père et je demeure dans l'amour qui est le sien.
11 Je vous ai rendu audibles ces choses pour que la joie qui est mienne soit en vous et que votre joie soit en plénitude.
Vous ouvrez le journal, voici à peine trois semaines, et vous lisez : "Premier clonage d'un embryon : l'Amérique prise de vertige. Une équipe médicale de Washington est parvenue à créer artificiellement des jumeaux à partir d'un seul œuf humain. En Europe, de telles expériences sont interdites" (Nouveau Quotidien 16.10.93). La bioéthique est entrée à titre d'interrogation dans votre vie quotidienne ! Vous vous demandez : jusqu'où devons-nous aller ? Sera-t-il possible de faire congeler le double embryonnaire de son enfant, pour le cas où... ? Bien vite vous chassez ces fantasmes frankensteiniens en vous rappelant qu'en Suisse, désormais, la loi interdit rigoureusement toute manipulation génétique. Mais vous êtes rattrapés par une foule de questions qui se pressent en vous. Les recherches sur l'embryon, articulées aux techniques de procréation artificielle, ne déboucheront-elles par nécessairement sur des dérives eugénistes ?
L'établissement, grâce aux progrès de la génétique moléculaire, d'une véritable carte d'identité biologique de chaque individu, ne va-t-il pas nous conduire immanquablement vers une médecine "prédictive" qui visera à prévenir certaines maladies héréditaires en corrigeant par "bricolage" les gènes défectueux; puis qui sera inévitablement tentée d'améliorer - selon quels critères ? - notre santé ? Taille, couleur des yeux, aptitudes sportives, nous échappent encore. Mais déjà le choix du sexe est à notre portée. Et, dans le domaine animal, des veaux aux gènes modifiés sont ornés d'un arrière-train monstrueux qui leur permet à peine de marcher mais produit le double d'escalopes ! Sans parler des problèmes liés aux possibilités de régénérer des tissus nerveux par pelle... Le journal avait raison : il y a de quoi être pris de vertige ! Et ce n'est pas pour rien qu'a été forgé ce mot nouveau de "bioéthique" désignant la nécessité de réfléchir d'un point de vue moral aux conséquences des découvertes liées à la biochimie moléculaire et à la génétique. Les chrétiens eux aussi doivent y contribuer. Mais avant de nous tourner vers l'Evangile, il me paraît essentiel d'introduire préalablement deux remarques :
1. L'exigence éthique, dans le domaine qui nous occupe ce matin, doit être clairement posée dans la responsabilité qui échoit aux humains de discerner avec une sagesse prudentielle entre le possible et le souhaitable. Il est illusoire de croire que l'on peut arrêter la progression de la connaissance. Le vrai problème est ailleurs. La science, en tant que progrès du savoir théorique, offre des "possibles" à l'application technique. Mais tous ces possibles ne sont pas nécessairement souhaitables. Le discernement éthique surgit très précisément à cette articulation-là. Il engage un jugement, une sagesse, peut-être des lois, en tout cas une responsabilité qui départage le souhaitable du non souhaitable. Par exemple le possible de la fécondation in vitro est souhaitable pour aider un couple stérile, non souhaitable dans le cas d'une mère porteuse. Ou le possible d'une éventuelle chirurgie du gène est souhaitable dans le cas de maladies comme la myopathie ou les mucoviscidoses, non souhaitable face à des motifs de pure convenance. La bioéthique implique donc une délibération qui met en jeu nos valeurs.
2. Dans l'humain, ce que nous appelons la vie est, conjointement, l'articulation vivante de trois dimensions concomitantes. Par son génome, et dès sa conception, l'humain est d'abord un substrat biochimique. Mais il est aussi, et dès sa conception également, un être symbolique inscrit par le truchement de ses géniteurs au registre de la parole - parole qu'à son tour, à travers les signes linguistiques de sa culture, il prendra. Enfin il est - et là est peut-être le plus important - un sujet vivant ordonné; au gré de tout un monde émotionnel intérieur, à la promesse que soutient le désir des autres de le vouloir vivant, aimé, respecté. La vie, en tant qu'humanité de l'humain, n'existe sur cette terre qu'en relation à ce qui vient l'appeler à son humanité.
Qu'en est-il donc lorsque Dieu, dans l'Evangile, appelle l'humain à la vie et lui donne par là même les orientations d'un discernement éthique entre le souhaitable et le non souhaitable ? C'est ce qu'il convient de découvrir dans la subtile parabole johannique de la vigne, dont nous allons risquer une interprétation qui puisse nous apporter quelque lumière.
La parabole commence curieusement par donner une image purement biologique de la vie humaine. Dans le prolongement de la symbolique traditionnelle de la vigne (Israël) et du vigneron (Dieu) ici appliquée au Christ, nous sommes comparés à des sarments. Improductifs nous sommes arrachés, vigoureux nous voilà émondés. L'Evangile donnerait-il dans l'eugénisme...?
Le verset 3 vient nous rassurer : "Vous, vous êtes déjà émondés. A cause de la Parole. Celle que j'ai rendue audible pour vous". . Notre vie biologique aurait donc essentiellement à être émondée par la parole pour devenir fructifiante... L'effet de surprise est saisissant de modernité : la vigne qui nous porte est à la fois racine de vitalité et fructification liée à la parole ! Et Dieu joue sa révélation en Christ à la croisée de ce substrat organique et de ce suspens de la promesse. Dieu n'est pas la vie, mais la bénédiction de la vie. Il ne se confond pas avec une loi naturelle. Il est grâce vocationnelle. Il appelle le sarment humain - des potentialités fœtales du bourgeon au développement adulte des fruits - à son progressif devenir de sujet vivant, sans cesse à naître au soleil du désir et de la promesse qui l'ordonnent au visage de l'amour. Hors d'une telle vigne nouant la sève de ses plants aux pourpres de la parole, il n'est pas de vie humaine fructueuse, tout se dessèche et se calcine. Aucun sarment - aucun devenir biologique - ne peut se développer à partir de lui seul et advenir à sa fructification - à son humanité promise. Toujours il doit être porté par la parole aimante du désir de l'Autre, qui vient émonder sa prétention d'auto-fructification, prétention auto-fondatrice vouée à l'échec.
La parabole de la vigne nous invite donc de manière pressante à demeurer dans cet ancrage, dans cet enracinement de la vie dans la parole. Elle nous appelle à découvrir que cette proximité du vigneron à sa vigne est métaphore de l'Amour du Père dans le Fils - en ce Christ dont l'amour s'offre tel un commandement qui restaure notre responsabilité et promet à nos vies un surcroît de joie inopiné. Là se dessine, en son ultimité, le souhaitable éthique que nous recherchons. Mais peut-être ne le pressentent que les cœurs ouverts à ce qui émonde en eux toute prétention à la maîtrise absolue. "Heureux les cœurs purs : ils verront Dieu"...!
Ainsi, pouvons-nous revenir aux dilemmes de la bioéthique. Une fois encore - faut-il y insister ? - la foi, l'Eglise, n'a pas à trancher magistériellement tous les débats en cours. Dans le moment éthique qui sépare le possible du souhaitable, elle fait valoir la lumière de l'Evangile. Je me bornerai à souligner trois points d'orientation :
- substrat biologique, être symbolique et sujet vivant ordonné au désir et à la parole de l'autre, l'humain ne peut jamais être réduit à la logique des savoirs qu'il a sur lui-même. En tant que vivant, il n'apparaît dans les représentations qu'il se donne de lui-même que pour autant que - d'une certaine manière - il n'y est pas, et qu'il demeure, lui, d'un autre ordre, de l'ordre spirituel de la promesse où Dieu l'appelle à l'amour. C'est en tant que tel qu'il a valeur de personne;
- la souhaitable éthique à laquelle les chrétiens doivent travailler en collaboration avec les autres familles d'esprit du corps social, est l'élaboration d'une sagesse pratique qui ne dissocie jamais ce que la science, peut entreprendre, du contexte affectif, social et responsable dans lequel s'ouvre un réel horizon de promesse pour la vie à advenir, au secret de laquelle Dieu, à travers nous, désire apporter sa bénédiction et son amour;
- enfin, la foi nous fait devoir de refuser toute mercantilisation dans le domaine bioéthique. Aucune partie du corps humain, si infime soit-elle, ne peut être considérée comme une chose puisqu'elle appartient à celui qui fut, ou demeure, une personne. Elle ne peut être que donnée. Car la vie a elle-même été reçue. Or ce qui fait la dignité du donneur c'est son consentement à redonner ce qu'il a lui-même, pour un temps, reçu. L'interdiction de la vente préserve la dignité du sujet. Le don honore sa liberté ou celle de ses proches. Et l'amour vrai y gagne un nouveau plant de vigne !
Voir que Dieu est à l'œuvre dans de telles orientations éthiques réclame - oh oui ! - un cœur ouvert et transparent, une véritable sagesse du cœur. Heureux les cœurs purs, car ils entr'apercevront Dieu !
Amen.