La Parole plantée en nous

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Accueillez avec douceur la parole qui s'enracine en vous

Versets 19 - 27
"Vous le savez, mes frères bien-aimés : (selon la Sagesse), il convient que chacun soit "prompt à écouter", "lent à parler" et "lent à la colère", la colère humaine en effet ne travaille pas à la justice de Dieu. C'est pourquoi, écartant loin de vous tout ce qui souille et déborde de dispositions mauvaises, accueillez avec douceur la Parole qui s'enracine en vous et peut sauver vos vies ! Devenez des "metteurs en oeuvre" de la Parole et pas simplement des auditeurs qui se fourvoient dans leurs faux raisonnements. Parce que si quelqu'un est auditeur de la Parole sans en être le "metteur en oeuvre", il ressemble à un homme qui, dans un miroir, cherche à connaître son visage originel et s'observe, puis s'éloigne, et oublie aussitôt comment il était ! En revanche, celui qui se penche attentivement sur la Loi parfaite, celle de la liberté, et s'y maintient en devenant non un auditeur qui oublie, mais un "metteur en oeuvre" qui agit, celui-là heureux sera-t-il dans son agir ! Si quelqu'un semble être religieux mais, ne mettant aucun frein à sa langue, trompe son propre coeur, sa religion est vaine. Une religion pure et limpide, en proximité du Dieu Père, c'est celle-ci : porter secours aux orphelins et aux veuves dans leur détresse, se garder de ce qui souille dans le monde. *
" Un manuscrit ancien digne d'attention, le papyrus (p. 74) comporte une autre leçon :"les protéger du monde".
(Traduction Marc Faessler)

Que signifie, selon les termes de la parabole évangélique, "bâtir sa maison sur le roc" ? (L'exégèse a depuis longtemps remarqué que de nombreux passages de l'épître de Jacques sont des commentaires implicites de "paroles de Jésus", notamment de celles que Matthieu a réunies dans le Sermon sur la Montagne. Jacques 1 : 22-25 renvoie à l'évidence à Matthieu 7 : 21-24 donc à la parabole du "bâtir sur le roc").C'est à cette question implicite qu'à la fin du premier siècle (verset 95 - 100 ap. J.-C.) s'efforce de répondre le passage de l'épître de Jacques que nous venons de lire. Or son actualité tout à fait extraordinaire vient de ce que son auteur affrontait une situation étrangement semblable à la nôtre. L'immensité d'un empire romain cruel et dominateur, laissait éclater de toutes parts, massacres, guerres et exactions. Le fanatisme religieux partout s'exacerbait jusqu'à la persécution. Une constellation de cultes, de sectes d'obédiences diverses aux pratiques divinatoires mystérieuses, tissaient un réseau souterrain dont les pouvoirs tiraient économiquement profit. Noyées dans ces tumultes du monde, les premières communautés chrétiennes, encore bien humbles et modestes, voyaient leur foi chanceler, leur espérance pâlir et leur solidarité mutuelle se refroidir. Un peu comme nous qui n'en pouvons plus des violences dont on nous informe, des fanatismes que nous voyons renaître et de la confusion irrationnelle qui s'empare du "religieux" jusqu'à la corruption et au délire mortifère. Alors, de nos jours comme au premier siècle, s'insinue le doute : sur quoi donc est bâtie la foi pour nous laisser dans une telle impuissance...?

Avec une audace étonnante, l'auteur de l'épître de Jacques va tenter de renverser notre scepticisme, de convertir notre regard naturel trop myope. Il va nous rendre attentifs au fait que, au coeur d'un monde de confusion et de chaos, l'essentiel est de se découvrir, malgré notre impuissance, portés à la vie par Dieu et appelés à en témoigner dans notre éthique. Voyons comment.

L'auteur sait bien que nous nous réunissons tous les dimanches autour du message de l'Evangile. Mais il soupçonne en nous une colère mauvaise conseillère. Nous sommes si indignés devant ce qui se passe dans le monde, notre compréhension naturelle des choses est à ce point mise en échec, que nous nous précipitons sur les paroles évangéliques pour en tirer soit des théories qui ne convainquent personne, soit une consolation imaginaire hâtive, soit une confirmation honteuse de notre scepticisme inavoué : notre erreur est de ne pas laisser travailler la Parole en nous. Car c'est une "Parole qui s'enracine". Dieu se dépose en nous, par la voix prophétique de son Fils, comme un grain qui demande à mûrir, à mourir et à ressusciter. Seule la douceur, écartant en nous, par la voix prophétique de son Fils, comme un grain qui demande à mûrir, à mourir et à ressusciter. Seule la douceur écartant en nous nos colères naturelles ou nos tentations de représailles peut offrir à cette Parole la promptitude d'une ouverture capable de se prolonger en patience d'une croissance. Quelque chose doit croître en nous qui est notre vie même, enracinée, ancrée en Dieu.

Car que dit cette Parole ? Pour l'essentiel, elle dit le "oui" de Dieu à tout être humain. Elle dit le désir du créateur pour sa créature. Elle dit, dans l'ordre biologique où toujours commence la lutte pour la vie, la vocation de sujet vivant qui origine en tout humain sa responsabilité éthique. Elle dit une invisible Tendresse du Père appelée à s'épanouir en solidarité et justice parmi ses enfants. Elle dit cette Loi parfaite de la liberté qui jamais ne dissocie l'Amour reçu de Dieu de l'amour manifesté à autrui. Bref, cette Parole nous requiert d'être les "metteurs en oeuvre" (comme on dit "metteur en scène") de ce qu'elle nous donne. Or elle peut prétendre à cette exigence parce qu'elle rejoint tout humain là où dans son premier devenir d'enfant, il a lui-même accédé à son statut symbolique et originel de sujet vivant.

Il est en effet remarquable que l'auteur de l'épître de Jacques ait, sans le savoir, pris justement pour exemple ce que les psychanalystes modernes nomment le "stade du miroir". Il est aujourd'hui avéré qu'aucun enfant ne naît d'emblée comme un sujet tout fait. Il commence par se vivre comme un prolongement du corps de sa mère. Les premiers temps, s'il passe devant un miroir, il constate un reflet qui le prolonge. Il faudra la voix de ses parents qui, devant le miroir, le nomment pour que l'enfant, dans une joie jubilatoire, se voie. Car soudain il verra ce qu'il ne voit pas, il verra le nom qu'il entend ! Dans la parole, au creux du désir de vie que lui signifie la voix qui le nomme, l'enfant accède à son unité de sujet vivant, à sa différence originaire, à son visage original autre que le reflet qui le représente, c'est-à-dire à une dimension invisible qui le porte dans la vie à partir de l'amour de l'autre. C'est cette dimension, explicitée par le "stade du miroir", que Dieu emprunte lorsqu'il réaffirme son "oui" et son désir de nous par la voix prophétique du Christ. Or cette dimension est d'emblée une "vie qui se met en oeuvre", et c'est elle que manque celui qui, passant rapidement devant un miroir, cherche son visage originel dans un reflet sans voix. Notre visage originel est enfoui en Dieu, là où nos noms sont prononcés dans la récapitulation christique de son Amour et notre agir ne peut qu'en témoigner.

"Bâtir sa maison sur le roc" consiste donc à construire sa vie sur les fondations invisibles de cette Parole-là,qui donne d'agir et nous convoquer à une unité de soi qui ne dissocie pas le dire et le faire. L'éthique devient le critère de la religion vraie qui cherche à se tenir dans la proximité du Père. Le comportement concret est lui-même "parole" au sens fort. "Porter secours aux orphelins et aux veuves" et "se garder de qui souille (ou corrompt) dans le monde", sont deux formules qui lient radicalement la foi chrétienne à l'exigence de justice et au refus de la violence naturelle. Par là même s'affirme un discernement critique. Tout discours religieux, y compris dans le christianisme, qui n'est plus parole témoignant concrètement du "oui" de Dieu pour toutes ses créatures est suspect. Sans frein éthique, ce qui se pare indûment du nom de "religieux" vire rapidement à l'oppression des consciences, au fanatisme, à l'imposture sectaire. C'est un reniement de Dieu.

De nos jours comme au premier siècle, nous restons souvent démunis, incrédules devant la folie humaine et les excès du mal, nous prenant à douter du sens de la foi. Ce dénuement est aussi celui de Dieu qui ne peut imposer la loi parfaite de la liberté. Il ne peut que la proposer. Mais cette toute faiblesse de son Amour est une force qui, en Christ, nous accompagne. L'oubli terrible, 'c'est quand nos vies n'en témoignent plus. La grâce de Dieu a besoin de nos oeuvres de vie. Accueillons donc avec douceur la Parole qui s'enracine en nous, au plus intime du dedans, là où le souffle nous est rendu.

Amen.

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Avec la participation de
Orgue
Didier Godel
Musique