Yes ! We can ! Oui ! Nous pouvons ! Vous vous souvenez certainement de cette affirmation répétée à plusieurs reprises par le président des Etats-Unis d’Amérique Barack Obama le soir de son élection : Yes ! We can !, peu à peu reprise par les milliers de citoyens américains venus l’acclamer. Elle fait désormais presque partie de notre langage : Yes ! We can !
Peut-être vous rappelez-vous à quel moment de son discours de victoire il a utilisé cette expression : il racontait alors l’histoire de cette très vieille dame d’Atlanta, Ann Nixon Cooper, venue en chaise roulante au bureau de vote glisser son bulletin dans l’urne. Âgée de 106 ans, elle appartenait à la génération née juste après l’abolition de l’esclavage. Pendant de longues années elle avait participé à la longue lutte pour les droits civiques, à une époque où elle ne pouvait pas voter pour deux raisons : à cause de la couleur de sa peau et parce qu’elle était une femme. Elle a vécu de bien douloureuses humiliations, mais aussi de grands espoirs lorsque, par exemple, elle a entendu le pasteur Martin Luther King affirmer avec force dans sa ville d’Atlanta : « We shall overcome ! Nous vaincrons ; nous vivrons en paix ; ensemble Noirs et Blancs, nous serons vainqueurs ! Les paroles même du chant d’ouverture de notre culte tout à l’heure. Avec la foule des autres militants, elle avait supplié la liberté de venir l’envelopper et de changer les pleurs en cris de joie : Oh ! Freedom over me !
Elle a vu des écoles réservées jadis aux seuls enfants blancs s’ouvrir aux enfants noirs, des descendants d’esclaves admis dans les grandes universités. Elle a vu des chrétiennes et des chrétiens de race blanche la rejoindre en nombre croissant lors des nombreuses marches organisées dans le cadre de la lutte pour les droits civiques. Elle a vu des paroisses protestantes s’engager concrètement pour pallier les graves déficiences du système de protection sociale et sanitaire américain, à l’égard du peuple noir en particulier, en créant des écoles, des infirmeries, même des banques destinées à aider des paroissiens à lancer leur propre entreprise à des taux très favorables, des bureaux d’assurances, des bureaux de placement, des services juridiques réservés aux plus démunis.
Alors que Malcolm X prétendait à l’époque que le christianisme ne servirait jamais que les intérêts de la race blanche et qu’il encourageait les Noirs à adopter la foi musulmane, faite pour eux, affirmait-il, Ann Nixon Cooper est restée fidèle à sa foi protestante. Avec la grande majorité de son peuple, elle avait réalisé que le Dieu de la Bible est un allié sûr des humiliés et des persécutés, de celles et ceux qui sont foulés au pied, mais se relèvent et luttent pour que justice leur soit rendue :
Sow righteous seeds ! Oh puissions-nous semer la justice en vue de la récolte qui vient, qui vient pour tous les hommes ! Oh quelle joie ce jour-là ! Nous entendrons alors Jésus nous dire : Approchez-vous, vous qui êtes bénis ! Je vous couronne, vous avez gagné ! Ils se sont identifiés à tous les malheureux qui, dès l’époque biblique, ont littéralement assiégé Dieu de leurs prières, et dont le Livre des Psaumes nous apprend qu’ils ont été entendus. Celle dont Ann Nixon Cooper porte le prénom, la femme stérile dont tout le monde se moque, y compris le prêtre de Silo qui la prend pour une poivrote et lui ordonne de quitter le sanctuaire. Mais Anne se rebiffe et, courtoisement mais fermement, remet l’ecclésiastique face à ses responsabilités d’homme de Dieu.
La suite, on la connaît : Dieu répond à sa prière, et elle accouchera de Samuel, prototype des grands prophètes d’Israël. Et Daniel dans la fosse aux lions ; et le petit David face au géant Goliath. Une longue lignée qui culmine dans l’agonie de Jésus sur la croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » mais surtout dans sa glorieuse résurrection le jour de Pâques.
Car aux côtés de tous ces personnages bibliques, c’est bien Jésus-Christ, le personnage central des Negro Spirituals et des Gospel Songs que chantent les Compagnons du Jourdain et tous les groupes qui se produisent à Martigny ce week-end, et c’est à lui seul que nous dédions cette édition de Gospel Air. Mais rappelons-nous en les écoutant qu’ils sont les documents même de l’histoire tourmentée du peuple noir, faite de hauts et de bas, de blues et de gospels qui en font la musique religieuse la plus populaire au monde.
Ann Nixon Cooper avait des yeux pour voir et des oreilles pour entendre de nombreux exaucements tout au long de son parcours de militance pour que justice soit rendue à son peuple. Pourtant, elle n’aurait jamais imaginé, disait-elle au lendemain de l’élection, assister de son vivant à l’élection d’un président des Etats-Unis d’Amérique à la peau noire ! Elle partage cette joyeuse surprise avec la vaste majorité des communautés chrétiennes réunies en ce dimanche aux Etats-Unis et avec la nôtre, puisque, selon l’Epître aux Galates, il n’y a plus ni Juifs ni non-Juifs, ni homme ni femme, ni Blancs ni Noirs dans l’Eglise du Christ ! Nous pouvons désormais manifester joyeusement notre communion avec les Eglises noires américaines aujourd’hui et je vous invite à le faire par la prière.
Amen !