J’ai vraiment sursauté en découvrant le texte de l’Ancien Testament prévu pour aujourd’hui par la liste œcuménique de lectures bibliques ! Une liste qui a été établie par l’Eglise chrétienne au fil de siècles d’expérience à l’intention de ses prédicateurs. Il s’agissait, entre autres raisons, d’éviter aux communautés paroissiales d’être prises en otage par les « marottes théologiques » et les thèmes favoris de leurs conducteurs spirituels. Je me soumets personnellement volontiers à cette discipline qui me semble assurer un enseignement plus large, complet, et proche de l’extraordinaire richesse de la Bible.
Pourquoi ai-je sursauté ? Je dois vous avouer que j’ai toujours beaucoup aimé le personnage de David qui m’a depuis longtemps été présenté comme modèle de foi, de courage et d’obéissance, en particulier à l’Ecole du Dimanche. Cet adolescent, berger des troupeaux familiaux que son père Jesse oublie lors du défilé de ses fils devant Samuel, l’envoyé de Dieu ; l’enfant qui s’avance hardiment avec son seul bâton et une fronde vers le géant Goliath, et qui le tue ! Le musicien et le merveilleux poète auquel tant de psaumes sont attribués; le jeune roi qui doit son accession au trône d’Israël non parce qu’il est un « fils à papa », mais par le choix de Dieu et surtout l’ancêtre de Jésus, celui que le Nouveau Testament appelle le Fils de David.
Oui, j’ai sursauté quand j’ai réalisé que ce modèle de vie et de comportement était devenu un fieffé menteur, un vil manipulateur, un adultère et un meurtrier particulièrement odieux. Il profite de son prestige royal pour détourner de sa loyauté conjugale Bathsheba, la belle épouse d’Urie le Hittite, son fidèle compagnon d’arme. Et lorsqu’elle lui annonce qu’elle est enceinte, il fait revenir d’urgence Urie du front et l’encourage à coucher avec sa femme afin que l’enfant à venir puisse lui être attribué. Comme Urie refuse l’invitation par loyauté à l’égard de ses frères d’armes qui, eux, vivent sous tente au milieu de l’ennemi ammonite, il essaye de le saouler mais sans succès !
Finalement il lui remet une lettre cachetée ordonnant à Joab, chef de l’armée, de placer lors de l’attaque Urie, le porteur même de la lettre, de telle manière à ce qu’il ne puisse pas échapper à la mort. Pourquoi le biographe biblique de David a-t-il retenu cet épisode sordide de la vie d’un personnage – somme toute très important pour la théologie et l’histoire d’Israël – comme ne se sont pas gênés de le faire tant d’historiens avant et après lui. Il est vrai qu’à la différence de la littérature héroïque de l’Antiquité, les auteurs bibliques n’ont généralement pas caché les faiblesses et les faux-pas de leurs propres héros, tels Moïse, Jérémie, l’apôtre Pierre par exemple. Ils n’avaient pas de critères éthiques spéciaux pour eux et leur appliquaient les mêmes règles de vie que tout un chacun ! Il y a probablement une autre raison à mon embarras face à cette histoire : les prédicateurs de ma génération – j’ai plus de 70 ans ! – éprouvent pour la plupart une certaine hésitation à parler de sexualité et d’adultère du haut de la chaire, et particulièrement à l’occasion d’un culte radiodiffusé ! Mais voilà ! Il s’agit d’un texte que l’Eglise a estimé, porteur d’un sens et d’un message universel qui nous est adressé aujourd’hui.
Bon ! allons-y et commençons par nous poser hardiment la question de savoir comment David en est arrivé à un comportement aussi répugnant ! La réponse est simple : il est devenu roi ! Il a le pouvoir. Il croit pouvoir dès lors s’autoriser ses vœux les plus chers, les désirs les plus fous, réaliser toutes ses pulsions. C’est en tout cas ce qu’essaye de lui faire réaliser le prophète Nathan au chapitre suivant, en recourant à la parabole suivante : deux hommes vivaient côte à côte dans une ville. L’un était riche et possédait de nombreux troupeaux, alors que l’autre était pauvre et ne possédait qu’une seule petite brebis Mais il la traitait comme ses propres enfants, et la nourrissait « comme si elle était sa fille », dit le texte. Un jour, un visiteur arrive chez le riche. Celui-ci, qui était non seulement riche mais avare, décide de rassasier son hôte en s’emparant de la petite brebis du pauvre. En entendant cette parabole, David est horrifié par l’attitude de l’homme riche et décrète qu’il mérite la mort. Mais Nathan rétorque : « l’homme qui a fait cela, c’est toi » !
David alors prend conscience de l’énormité de ce qu’il a fait et déclare : « Je suis coupable envers le Seigneur, je le reconnais. » Il réalise ainsi qu’il n’a pas seulement causé la mort d’Urie, mais qu’il a gravement offensé Celui qui l’avait choisi dès son jeune âge, qui l’avait soutenu tout au long de ses combats et l’avait entouré de son amour. Il interprète la maladie qui frappe le fils de Bathsheba comme une punition divine et se soumet à un jeûne de repentance si sévère que ses serviteurs prennent peur. Mais après la mort du bébé, il prend conscience que Dieu continue à l’aimer. Il change d’habits, se rend au sanctuaire pour prier, puis se remet à manger à la grande surprise de ses serviteurs. Bathsheba concevra à nouveau un fils, qui succédera à David : le roi Salomon, l’aimé de Dieu !
J’imagine qu’il n’y a pas beaucoup de rois et reines parmi vous qui êtes venus adorer Dieu ce matin à la Chapelle des Arolles, et je ne pense pas qu’il y en ait davantage parmi vous, chères auditrices et chers auditeurs de la Radio Romande. Ce que je sais, par contre, c’est que nous avons toutes et tous fait l’expérience de l’amour inconditionnel de Dieu à notre égard, et que nous en vivons aujourd’hui. En puisant dans leur mémoire, plusieurs parmi nous peuvent découvrir que cet amour divin, ils l’ont perçu particulièrement, comme David, à l’occasion du mauvais usage qu’ils faisaient du pouvoir dont ils avaient été investis au cours de leur vie. Ils/elles n’avaient peut-être pas de prophète Nathan pour leur raconter des paraboles pour ranimer leur conscience, mais ils avaient devant eux le modèle de Jésus-Christ ! Ils se sentaient indignes, peut-être même définitivement disqualifiés par rapport à la mission que Dieu leur avait confiée.
En reconnaissant et en se repentant de l’offense faite à leur prochain et à Dieu, ils se sont découverts pardonnés et réintégrés dans la famille de Dieu. Cet épisode peu ragoûtant nous a donc conduits aux pieds du Fils de David qui, à la différence de son aïeul, a refusé le type de royauté que la foule des convives au festin de la multiplication des pains désirait le forcer à accepter. Car il venait, lui, établir le règne et la seigneurie de Dieu. Contestée, méconnue et rejetée par le monde, cette seigneurie est fondée sur la justice, la miséricorde et la paix. Et c’est avec cette conviction que nous confesserons notre foi tout à l’heure et que nous redisons maintenant avec Thomas : « Mon Seigneur et mon Dieu ! »
Amen !