Et si le Christ était notre nourriture…

Eglise Saint-Jean, Lausanne (©AUJ)

Écouter le culte :

Le pain de la vie descendu du ciel… Voilà une réalité de l’évangile un peu particulière que nous avons à découvrir depuis plusieurs dimanches à la radio.

Après avoir parlé de la foi en la parole du Père, après avoir parlé de l'ouverture à son enseignement, Jésus change de vocabulaire. Il parlait auparavant de croire, d’avoir foi, et voilà qu’il parle maintenant avec des verbes très concrets : manger et boire. C’est vraiment le cœur de notre passage d’évangile.

Bien sûr, on pourrait tout de suite penser au sacrement de la cène (communion, eucharistie), mais lorsque Jésus parle à ses disciples, on est encore loin du moment de la dernière cène

C’est comme si Jésus avait donné deux discours : un premier discours sur « la foi, le croire, le mouvement du cœur », et un second discours sur « le manger et boire, sa chair et son sang ».

Vous savez peut-être que dans les Écritures, on parle du Livre, porteur de la Parole, qui doit être mangé, dévoré (Ézéchiel 3,1-3 ; Apocalypse 10, 8-11). Ainsi, dans notre langage courant, nous parlons de « boire des paroles » ou de « dévorer un livre ».  Toutes ces expressions, y compris « manger du regard » et « boire des yeux », signalent une communication exceptionnelle, une volonté d’intégrer ce que l'on dévore, ou du moins de faire un·e avec l’objet de notre intention, de notre désir.

Peut-être bien que ces deux discours de Jésus («croire, avoir foi» et «manger et boire») s'interprètent mutuellement. Ils ne parlent pas de réalités très différentes. Mais lorsqu’on dit « croire, aller vers quelqu’un dans la confiance », on ne dit pas encore quel sera notre rapport final avec cette personne, avec le Christ, avec Jésus.

Dans le langage courant, on dit bien que, pour vivre, il faut manger et surtout boire ; sans eau, pas de vie ! Si Jésus parle de manger et de boire, c’est bien parce qu’il parle d’une réalité de vie ou de mort de celui ou celle qui se met à sa suite.

« Faire un », être uni au Christ, est d’une nécessité vitale pour le disciple. Sinon, pas de relation. Croire en Jésus, aller vers lui, ces expressions ne disent pas jusqu'où va notre lien au Christ.

La chair et le sang disent la réalité toute concrète, toute humaine. Ainsi, en Matthieu 16:17, Jésus dit à Simon que ce n'est pas « la chair et le sang » qui lui ont révélé son origine divine, mais bien le Père. Alors on comprend peu à peu que lorsque Jésus nous dit de manger sa chair et de boire son sang, il nous invite à faire nôtre, à devenir tout ce qu'il est.

Ça paraît impensable, que lui, le Christ, pleinement humain et pleinement Dieu, nous invite à devenir qui il est, ce qu’il est, c’est-à-dire, fille et fils de Dieu, aimé·e, en qui Dieu a mis toute sa joie, cette joie qu’il met en vous, en moi, comme il l’a fait au moment du baptême de Jésus. Le Christ porte et devient ce que nous sommes et nous devenons ce qu'il est.

Manger et boire : ces mots signifient cette identification au Christ. Mais pour manger et boire, il faut un mouvement, une décision, un minimum de déplacement. Il en est de même avec le Christ : nous avons à tout moment de notre vie à faire un choix et à nous déplacer, ou plutôt, accepter d’être déplacé·es par le Christ.

Et puis lorsqu’on entend Jésus qui dit : « Celui qui mange ma chair, celui qui ne mange pas ma chair… », à quoi est-ce que l’on pense ? On pense immédiatement au tout début de la Bible, au livre de la Genèse, où il est écrit : « Celui qui mange du fruit de l'arbre meurt, celui qui n'en mange pas conserve la vie. » Jésus, dans ce passage de l’évangile de Jean, dit l’inverse : « Celui qui mange ma chair vivra éternellement, celui qui ne la mange pas, ne vivra pas. » Renversement de situation !

Dans la tradition chrétienne, comme le rappelle la fresque de cette église Saint-Jean, la croix est considérée comme un arbre, et le fruit « mystérieux » de cet arbre est le Christ crucifié, folie aux yeux des humains, et pourtant cette « folie » est au cœur de la foi des chrétiens. Un fruit mystérieux que le Christ crucifié, qui ne peut être séparé de la résurrection qui est source de vie pour nous-mêmes.

Lorsqu’on relit notre passage de l’évangile de Jean (et les passages précédents), on se rend compte que Jean nous présente toute la Passion de Jésus, en quelques éléments : la multiplication des pains qui annonce la dernière cène, la marche sur les eaux qui annonce la marche sur les eaux de la mort au matin de Pâques, et l'invitation à manger et boire qui annonce une vie d’éternité que nous ne connaissons pas encore… Ces passages de l’évangile de Jean reprennent donc exactement le déroulement de la Passion de Jésus, avec la promesse de vie éternelle qui parle de la résurrection.

Cet évangile nous fait donc, peu à peu, prendre conscience de l'enjeu de la vie humaine et de notre vie. Il y a bien une question de vie ou de mort, déjà aujourd’hui, dans notre quotidien, des enjeux de vie ou de mort, peut-être pas pour survivre, mais pour choisir la vie.

Et le mystère, c’est qu'en faisant nôtres les fruits de la mort – le Christ crucifié – nous la surmontons, cette mort, pas par nos propres forces, mais par l’amour manifesté en Jésus-Christ par Dieu le Père.

Sur notre vie, malgré ses zones d’ombre, ses souffrances, ses blessures, ses misères parfois, ou la misère de certains, que nous ne comprenons pas, que nous n’accepterons jamais, au-delà des zones d’ombre de notre vie, accueillir le Christ en nous, nous permet d’accéder à une existence sur laquelle les forces de destruction n'ont plus de pouvoir. Mais ça, c’est au-delà des apparences…

Alors dans notre quotidien, comment répondre à cet appel de Jésus de manger sa chair et de boire son sang, c’est-à-dire de devenir uni·e à lui ?

Quel choix, dans ma vie personnelle, avec les autres, dans mes relations avec les autres, avec la nature, avec la Terre, avec les autres manières de penser et de croire ?

Sans doute en tournant notre cœur vers lui, le Christ, à tout moment, pas seulement dans les moments difficiles – parfois on y arrive, parfois pas ! – mais aussi dans les moments heureux lorsqu’on y pense moins. Tourner notre cœur vers le Christ en lui disant tout ce qui nous habite – le sombre, oui, comme le lumineux. C’est là déjà notre prière !

Répondre à l’appel de Jésus en lisant quelques lignes de l’évangile et en les répétant, en méditant ces paroles, en les ruminant, les laisser descendre dans notre cœur.

Répondre à son appel en recevant régulièrement la communion.

(Est-ce qu’on se souvient, en tant que réformés, que Calvin souhaitait la communion tous les dimanches lors du culte dominical, mais qu’il n’a pas réussi à le mettre en place à Genève à l’époque ?)

Répondre à l’appel de Jésus en recevant régulièrement le pain et le vin consacrés, qui sont la réalité d’une présence qui nous dépasse et qui nous rejoint, cette présence, dans le cœur comme – et on l’oublie souvent – dans le corps.

(Et si on ne peut pas se déplacer, ne pas hésiter à demander la communion à l’aumônier, à la paroisse, ou au pasteur…)

Répondre à l’appel de Jésus prend différentes formes qui nourrissent la qualité de relation qu’on peut avoir avec les autres. Parce que ce n’est pas facile, les relations humaines, surtout lorsqu’on ne se sent pas accepté ou que l’on n’accepte pas l’autre.

Mais se rattacher au Christ et l’accueillir fait de notre relation quelque chose d’empreint de respect mutuel et d’amitié, d’écoute et de solidarité, on ne peut pas croire sans être solidaire, on ne peut pas manger la chair et boire le sang du Christ sans donner à manger et à boire à celui, à celle, qui en a besoin.

À nous de répondre à l’appel de Jésus par notre confiance en lui et l’accueil de sa présence dans la rencontre avec lui et avec l’autre, dans la Parole si précieuse, et dans la communion, parfois un peu oubliée, mais tellement porteuse pour notre vie.

 

En nous cette prière :

Dieu notre Père, tu nous envoies le Christ, ta Parole faite chair,
et lui nous demande de manger sa chair et de boire son sang !
Donne-nous de l’accueillir en nous, afin de devenir tout ce qu’il est,
alors que lui, le Christ, porte et devient ce que nous sommes :
Il est dès lors notre frère et il habite en nous et en l’autre !
Que sa présence éclaire et nourrisse notre vie, notre cœur,
et nos relations avec les autres !         
Amen.

Dans l'évangile de Jean, au chapitre 6, Jésus se définit lui-même comme «Nourriture, pain vivant descendu du ciel. Et celui ou celle qui en mange, vivra éternellement.»

Comment comprendre Jésus? Faut-il communier aussi souvent que possible – mais ce n’est pas vraiment l’habitude protestante – ou bien ce pain désigne-t-il une autre réalité de la foi?

Par ces mots, Jésus peut nous troubler, mais n’est-ce pas pour lui une manière de nous dire: «Viens et vois»?

Détails

Avec la participation de
Michel Durussel pour les lectures et Paz Fonjallaz pour la prière d'intercession.
Orgue
Matthias Seidel
Musique
Jean-Daniel Courvoisier au hautbois, Constantin Macherel au violoncelle et Josette Weber à l'orgue.