Viens, Esprit Saint !

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En ce dernier dimanche du temps pascal, l'Église nous propose de méditer l'ultime prière de Jésus avant de quitter les siens. Dans cette prière adressée à son Père, Jésus demande l'unité de ceux qui croient en lui, comme une sorte de prélude à l'unité du genre humain : "Que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu'ils soient en nous eux aussi, afin que le monde croie que tu m'as envoyé." (Jean 17, 21)
Que tous soient un ! Voilà qui résonne avec force encore aujourd'hui dans notre monde toujours si divisé ! Que tous soient un ! Voilà qui fait écho à quelque chose de profond en nous, à une certaine nostalgie d'unité, d'harmonie, de plénitude. Que ce soit au sein de nos familles où il y a tant de difficultés de communications, de nos Églises marquées par tant de divisions, de notre société où la "fracture sociale" ne fait que s'accroître, de notre monde enfin où certains prédisent un "choc des civilisations" Comment alors vivre concrètement cette unité, cette harmonie promises par le Christ à ses disciples? Les textes que nous avons entendus nous proposent un chemin, un chemin qui commence par chacun de nous, un chemin de conversion du cœur, comme l'annonçait Ezéchiel. La paix véritable ne peut advenir dans notre monde que si chacun vit une paix intérieure; de même, l'unité des chrétiens, l'unité du genre humain ne seront possibles que si chacun est unifié au plus profond de lui-même, si chacun vit en harmonie avec soi-même, ce qui est loin d'être une voie facile !
Le récit de la guérison par Jésus de l'homme possédé nous montre que pour parvenir à cette unification intérieure, nous avons besoin d'une guérison, d'une libération de tout ce qui nous disperse, nous disloque et nous aliène. Je vous propose ce matin de suivre pas à pas ce récit étrange pour que nous entrions dans cette dynamique de guérison, d'humanisation, d'unification, de pacification produite par la rencontre avec le Christ. Dans l'évangile de Marc, juste avant cette guérison, il y a l'épisode de la tempête apaisée. C'est maintenant une autre tempête que Jésus va apaiser, une tempête intérieure à l'humain, intime, tout aussi dévastatrice que le déchaînement des éléments naturels!

Entrons donc dans ce récit, sans trop de préjugés et sans nous laisser heurter par son côté spectaculaire et extraordinaire. Essayons dans un premier temps de nous identifier à ce personnage anonyme possédé par une légion de démons. Ce n'est pas facile au premier abord ! Le fou, le démoniaque, l'anormal, le bizarre, c'est spontanément toujours l'autre ! Un autre qu'on cherche alors, comme les gens de Gérasa, à dompter (comme s'il était un animal sauvage), qu'on expulse de nos villes si policées. Un autre qu'on considère comme une menace, peut-être parce que nous sommes mis en question par lui dans notre fragile équilibre !
Et pourtant, c'est le premier pas pour faire l'expérience de la Présence libératrice du Christ que de se regarder soi-même en vérité, de ne pas masquer toutes les zones d'ombre qui existent dans nos vies, de ne pas nous identifier à l'image que nous donnons à l'extérieur, image bien nette, mais aussi bien superficielle. Nous ressemblons tous par certains côtés au possédé de l'évangile qui n'a pas une entière maîtrise de sa vie. En chacun de nous, il y a des blessures profondes qui cicatrisent mal, des tristesses inconsolables, des frustrations accumulées, des colères rentrées, des confiances trahies, bref tout ce qui bouillonne en nous, mais que par pudeur, par peur aussi parfois, nous cachons ! Aux autres bien sûr, mais aussi à nous-mêmes, comme si nous avions perdu la clef de ces pièces sombres et en désordre de notre maison intérieure.
Le démoniaque de Gérasa nous renvoie l'image de cet autre côté de l'humain que nous ne voulons pas voir en nous, de cette autre rive de nos vies où nous ne voulons pas aborder. Regardons-le donc non comme un fou ou un possédé qu'il faudrait dompter ou fuir, en tout cas tenir à distance, mais regardons-le comme un frère humain proche avec sa souffrance et ses blessures ! Un homme qui vit dans les tombeaux, le domaine du chaos et de la mort donc, qui ne peut plus avoir de relations sociales, de communications vivantes avec les autres personnes, qui a une attitude autodestructrice (il se déchire avec des pierres) et qui lorsque le Christ paraît ne peut que l'apostropher avec violence : "Je t'adjure, par Dieu, ne me tourmente pas !" comme si la perspective de guérison était une menace pour lui, comme si son enfermement dans ses symptômes était préférable.
Un homme "possédé d'esprits impurs", comme le dit l'évangile qui donc ne se possède plus lui-même, n'a plus de consistance personnelle : "mon nom est légion", un homme ballotté par des désirs contradictoires, des pulsions plus fortes que lui. Un homme disloqué et aliéné à des forces extérieures, qui n'arrive plus à dire "Je", à trouver un centre personnel, une assise spirituelle. Pas besoin d'imaginer des petits démons fourchus ! Le démoniaque dans la Bible, c'est ce qui divise l'être humain, ce qui fait que nous ne sommes plus "intègres" - non au sens moral, mais au sens existentiel - plus entiers, le démoniaque c'est ce qui nous rend étrangers à nous-mêmes.
Mais l'évangile fort heureusement ne s'arrête pas au diagnostic ! Il nous présente surtout la dynamique de guérison qui permet à cet homme de retrouver son unité intérieure par la rencontre avec Jésus Christ.

Face à cet homme désintégré, Jésus, sur qui repose la plénitude de l'Esprit saint, est bien la figure de l'être humain "intègre", parfaitement unifié, en paix avec lui-même, en lien avec la Source de Vie, en communion profonde avec tous les hommes. Jésus ne fuit pas à la vue du possédé, mais il va à sa rencontre ! Il passe sur cette autre rive de l'humain pour apporter un peu de cette Vie qui est en lui, de cette Confiance qui l'habite, de cette Lumière qui pénètre jusqu'aux lieux les plus obscurs, de cet Amour qui est comme un baume sur les blessures intimes ! C'est cette rencontre qui va être facteur de guérison !
On aurait tort de ne voir que le côté spectaculaire de l'exorcisme. En fait, Jésus dissocie l'homme qu'il a en face de lui de ces mauvais esprits qui le possèdent, le font agir à contresens et le rendent malheureux. Il ne le regarde pas comme un fou à enfermer dans une camisole de force, mais comme une personne, unique, irremplaçable. Il ne l'identifie pas à ces démons, mais il sait voir par-delà tous ces actes déstructurés - et destructeurs - l'homme créé à l'image de Dieu, l'homme intègre, l'homme innocent, l'homme blessé. Et c'est ce regard d'amour, ce regard d'acceptation inconditionnelle, qui produit la guérison. Le possédé n'est plus "légion", mais dans le regard d'Amour du Christ il redevient une personne unique et consistante.

N'est-ce pas ainsi que Jésus s'approche de chacun dans les évangiles ? Respectant la femme adultère en lui donnant confiance en sa dignité retrouvée; ne considérant pas Zachée comme un exploiteur et un collaborateur, mais regardant à la profonde solitude de ce malheureux, n'identifiant pas non plus les pharisiens à leur carapace de justice, mais découvrant les failles de ces hommes si fiers d'eux-mêmes; Jésus qui n'enferme personne dans des jugements, mais qui conduit chacun à transformer sa vie, en le faisant sortir du cercle vicieux de la honte et du mépris de soi comme de la fausse justice.

C'est ainsi que le Christ veut aussi nous rencontrer, si nous laissons son Esprit pénétrer l'intimité de nos cœurs pour nous unifier intérieurement et nous faire retrouver ou découvrir notre centre, ce lieu secret de la présence divine en nous, intact malgré toutes les blessures, préservé malgré toutes les chutes qui est notre assise spirituelle. Ce n'est pas nous qui opérons cette unification intérieure, par un effort surhumain, qui risquerait toujours de nous faire rechuter dans les mêmes échecs, mais il suffit simplement de se laisser atteindre au plus profond par le regard d'Amour que le Christ porte sur toute notre vie!
Nous pouvons essayer de vivre cela notamment dans la prière ou la méditation, dans ces moments que l'on appelle du beau mot de "recueillement" - ces temps mis à part dans la dispersion de nos journées où nous pouvons justement recueillir tous les moments épars de nos vies, tous les fragments de nos existences, toutes les sollicitations qui nous éparpillent dans tant d'activités où nous risquons de nous perdre, pour nous recentrer sur l'essentiel et nous unifier intérieurement. Recueillement où nous pouvons laisser l'Esprit besogner en nous et recoller tous les morceaux brisés de notre existence pour en faire quelque chose de beau et de cohérent. Nous pouvons dans ces temps de recueillement laisser retentir et faire nôtre, cette invocation à l'Esprit saint de l'Eglise primitive :

Viens, Saint-Esprit, du ciel fais jaillir l'éclat de ta splendeur.
Viens, Père des pauvres, viens Esprit généreux; viens, Lumière des cœurs.
Toi le Parfait Consolateur, merveilleuse fraîcheur, dans notre âme, tu fais habiter la paix.
Dans la peine, tu es le repos; dans l'épreuve, la force; dans la tristesse, la consolation.
Lumière bienfaisante, pénètre l'intimité de nos cœurs.
Lave notre péché, abreuve notre sécheresse, guéris notre blessure;
Fléchis notre rigidité, enflamme notre tiédeur, redresse notre égarement.

A la fin de notre récit, le possédé désaliéné peut revenir dans son village, dans sa famille. Pacifié, il peut être un artisan de paix; unifié, il peut être facteur d'unité et d'harmonie autour de lui. Celui qui a fait ce passage de la dislocation à l'unité intérieure, qui a retrouvé sa personnalité, sa consistance spirituelle, va devenir apôtre, porteur à son tour d'une parole de libération et d'unification. Il aura pu faire de ses blessures le lieu même où rejoindre les autres dans leurs blessures intimes, pour leur communiquer à son tour la puissance de guérison.
C'est ainsi que la Prière du Christ pour l'Unité est exaucée, lorsque laissant l'Esprit agir en nous, nous produisons ses fruits qui nous ouvrent à des relations nouvelles avec nous-mêmes et avec autrui : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, douceur et maîtrise de soi. "Que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu'ils soient en nous eux aussi, afin que le monde croie que tu m'as envoyé." (Jean 17, 21)

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Ursula Rehsteiner
Musique
Ardina Nehring, violon