Choisis la vie !

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Choisis la vie ! C'est le fil conducteur de notre culte de ce matin, en référence à la parole du Deutéronome que nous venons d'entendre: " Voici, j'ai mis aujourd'hui devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction, choisis la vie ! ". Et chacun d'entre nous, ici dans cette chapelle, ou chez soi à l'écoute de la radio, nous nous trouvons interrogés sur nos propres choix de vie par cette parole simple et évidente. Nous sommes en effet invités à lire notre propre chemin de vie, notre existence, sous l'éclairage de cet impératif. Et cette relecture de vie n'est pas toujours facile, car qui peut dire qu'il a toujours fait le bon choix et choisi un chemin de vie ? Cette relecture peut même pour certains devenir éprouvante, quand elle se mêle de regrets ou de remords.
Et pourtant, à première vue, le texte du Deutéronome ne laisse guère de place aux doutes, aux nuances, aux remises en question. Tout a l'air très simple ! Trop simple peut-être ! L'auteur du Deutéronome place en effet ces paroles d'appel à la décision dans la bouche de Moïse, lors d'un dernier discours à Moab, juste avant de pénétrer dans la Terre Promise. Discours donc du seuil, de la frontière, des choix décisifs et le choix est très clair, il y a deux chemins possibles : le chemin du respect de l'Alliance avec Dieu qui conduit à la vie, au bonheur, à la bénédiction et de l'autre, le manquement à la volonté divine qui ne peut qu'entraîner la mort, le malheur, la malédiction.

Cette vision des deux chemins aisément discernables me laisse perplexe : en effet, lorsque nous nous retrouvons confrontés à un choix d'existence, à une décision importante, est-ce que la volonté de Dieu est toujours bien évidente et manifeste ? L'expérience de la vie me semble assez différente de cette vision : souvent, nous ne nous rendons même pas compte de nos choix, nous sommes comme entraînés par le courant et nous ne nous apercevons qu'après coup qu'il y avait un carrefour, et que d'autres choix étaient possibles. Mais même quand nous devons prendre une décision, nous faisons la part des choses parce que tout choix comporte un peu de vie et de mort entremêlés, un peu de bonheur et de malheur inextricablement liés, un peu comme le bon grain et l'ivraie de la parabole. Dans notre monde ambigu et opaque, rien n'est tout blanc ou tout noir, et la plupart du temps, nous essayons de choisir le moindre mal !
Et puis, nous sommes rarement sur un seuil, avec comme une page blanche devant nous que nous pouvons remplir librement, il y a toute notre histoire passée, les pesanteurs personnelles et familiales, tous les éléments que nous n'avons pas choisis et qui influencent nos décisions, si bien que notre part de liberté peut nous sembler bien réduite. Et, une fois le choix effectué, ne sommes-nous pas pris par les doutes, les regrets, avec la tentation d'imaginer toutes les autres voies possibles et des les rêver tellement meilleures que notre vie réelle. Comme si la terre promise du bonheur était toujours dans un ailleurs à tout jamais manqué !
Oui, il y a de quoi être perplexes, voire méfiants. Car, n'y a-t-il pas dans cette séparation de deux chemins bien évidents la tentation de vouloir faire plier la réalité devant la Loi et les principes. On connaît tous des personnes qui semblent savoir mieux que nous ce qui est bon pour nous, et qui veulent nous imposer leur modèle de vie. Mais est-ce vraiment cela que signifie ce " choisis la vie " ? Je verrais plutôt dans cette attitude légaliste un risque de figer la vie, de la glacer dans des principes, de se protéger contre elle, contre son bouillonnement, son impétuosité, ses surprises en s'enfermant et en enfermant l'autre dans des codes rigides.
Avec toutes ces perplexités et ces méfiances, retournons à notre texte biblique, car il nous réserve bien des surprises ! Les spécialistes de la Bible nous disent en effet que ce discours placé dans la bouche de Moïse à l'entrée de la Terre Promise est en fait beaucoup plus tardif, datant du temps de l'exil du peuple juif à Babylone. Ce " choisis la vie " ne retentit donc pas dans une sorte de no man's land, dans un temps vierge et sans problèmes, mais il est proclamé dans une situation d'échec : la terre n'est plus promise, mais elle est perdue, le malheur, la malédiction sont au rendez-vous ! Et c'est là qu'intervient le Deutéronome, littéralement : la deuxième loi, qui est comme une répétition des lois et promesses divines contenues dans les autres livres de la Torah.
L'auteur replace en quelque sorte ses lecteurs ou ses auditeurs sur le seuil, à la frontière, avant toutes les transgressions et les échecs ! Et dans cette situation de malheur, dans cet exil, exil physique et concret, mais aussi exil moral et spirituel, il affirme avec force que la terre promise, que le bonheur est toujours au-devant du peuple, et non pas une réalité à jamais perdue. Le choix de la vie est ainsi toujours une possibilité ouverte, même quand la mort semble triompher ! Et c'est bien ainsi que ce " choisis la vie " n'est pas une parole menaçante, mais bien un Evangile, une parole de grâce. Non pas, " Choisis la vie " une fois pour toutes, et gare si tu faillis sur ton chemin ! Mais plutôt, " à chaque pas, et encore plus, à chaque faux pas de ton cheminement, tu peux toujours à nouveau choisir la vie, car l'appel divin t'est toujours à nouveau adressé ! "

Dans cette perspective de grâce, il y a deux petits mots très importants dans notre texte:

· Le premier qui est répété quatre fois dans ce court texte est le mot aujourd'hui : " Voici, je mets aujourd'hui devant toi la vie et le bonheur… " C'est l'aujourd'hui de l'appel de Dieu auquel nous pouvons répondre dans l'aujourd'hui de chacune de nos vies. Tant que retentit cet " aujourd'hui ", cela signifie que tout n'est pas encore joué, qu'il n'est pas trop tard pour ressaisir les promesses de vie et de bonheur. Dans nos relectures de vie, nous pouvons avoir la désagréable impression que les moments décisifs sont toujours derrière nous, que l'appel a peut-être retenti dans le passé, et soit que nous ayons répondu à cet appel, soit que nous soyons passés à côté, nous ne faisons qu'en subir les conséquences.
Le temps est alors vécu comme un fleuve qui nous emporte dans son torrent, sans nous laisser de moments de répits, de moments où nous pouvons surplomber notre histoire. L'aujourd'hui de Dieu vient mettre comme une sorte de temps d'arrêt à l'écoulement de notre vie : c'est le présent de la présence divine qui nous permet alors de ressaisir notre vie, d'unifier notre passé en vue de donner une forme nouvelle à notre existence, d'intégrer tous les éléments disparates charriés tout au long du cours de nos histoires pour en faire un bel ouvrage.
Ce passé ressaisi dans l'aujourd'hui de Dieu nous ouvre alors à l'avenir, un avenir parfois insoupçonné. N'est-ce pas ce que nous pouvons vivre dans ces moments de méditation ou de recueillement, notamment lorsque nous sommes confrontés à des décisions importantes à prendre : dans ces moments, nous nous plaçons dans la présence divine, ce qui nous permet d'avoir une certaine distance avec le cours tumultueux de nos existences, nous nous recueillons, c'est-à-dire nous rassemblons ce qui d'habitude est totalement dispersé dans nos diverses dimensions de vie, nous nous unifions à partir de ce qui est le centre de notre personne, ce que les psychologues appellent le cœur profond, ou Jésus, la présence du Royaume à l'intérieur de nous et nous pouvons alors discerner ce qui fait vraiment notre personne unique, au-delà de tous les personnages et rôles que nous jouons sans cesse dans nos vies. Dans ces moments-là, souvent la décision à prendre s'impose, sans grande réflexion, car elle prend sa source à ce niveau de notre personne avec lequel nous sommes trop peu en contact dans le quotidien de nos préoccupations. Dans l'aujourd'hui de Dieu, nous découvrons alors des possibilités neuves et l'avenir, le choix de la vie est de nouveau ouvert.

· Ce qui peut nous bloquer dans notre dynamique de vie, et nous fait croire que tout est déjà joué, et que nous ne pouvons rien changer à nos vies, voire pour les plus désespérés d'entre nous, que tout est perdu, c'est qu'on présente souvent les choix de vie comme quelque chose qui nous ramène à un point zéro, à un commencement absolu, effaçant d'un coup tout ce que nous avons vécu, toutes les épreuves et les bonheurs qui ont fait qui nous sommes. Il y aurait comme une bonne fée qui effacerait le passé et nous placerait à un carrefour de chemins où tout serait à nouveau possible. Mais le Deutéronome que nous méditons ce matin nous présente une autre vision, beaucoup plus réaliste et humaine, de nos choix et décisions spirituelles : une voie entre le découragement du " Tout est joué, on n'y peut rien changer ! " et le phantasme du " Tu peux tout recommencer, balayer ta vie passée ", c'est celle qui consiste à réentendre " aujourd'hui " les promesses de vie de Dieu là où nous trouvons à y répondre en nous réappropriant notre histoire pour l'ouvrir à la bénédiction de Dieu. Le choix de la vie ne consiste pas à supprimer notre passé et notre histoire, mais au contraire de les rassembler sous le regard d'amour de Dieu et de Lui permettre de les réorienter et d'en tirer de nouveaux possibles.

· Le deuxième mot libérateur est ce : " Choisis ". L'appel divin qui retentit à nouveau aujourd'hui nous permet un choix : voilà qui est important; malgré le poids de tout ce qui est subi par nous, imposé de l'extérieur, par la société, par notre histoire familiale et personnelle, par notre hérédité, ou de l'intérieur par les choix de vie déjà effectués, les blessures que nous avons vécues, le caractère que nous nous sommes forgé, il y a toujours, malgré tout, un espace de liberté à reconquérir, il y a toujours des choix que nous pouvons effectuer pour plus de vie et de bonheur.
Ce " choisis " s'inscrit alors à faux contre tout fatalisme, toute impression que rien ne pourra changer, et que le lendemain ne sera que répétition de la veille, contre tout sentiment décourageant d'être sur des rails et que rien ne peut nous faire bifurquer. Or, même sur des rails, il y a encore des aiguillages qui permettent un changement de trajectoire. Par ce " choisis ", nous sommes invités à découvrir en nous cet espace de liberté qui reste ouvert, malgré toutes les nécessités de nos vies, cet espace d'innocence qui perdure, malgré toutes les fautes accumulées, ce lieu intérieur d'où nous pouvons à tout moment nous ressaisir (dans tous les sens de ce terme) pour choisir simplement de faire un pas, parfois un pas très modeste, dans une autre direction.

On pourrait lire aussi dans cette perspective le récit évangélique de la guérison des 10 lépreux, le seul qui revienne vers Jésus est Celui qui a su ressaisir sa vie à partir de la parole de guérison qui lui a été dite, celui qui, dit Luc, s'est vu guéri - donc qui a pu avoir un regard sur sa vie, celui qui a fait " retour " - retour sur son passé d'exclusion et de souffrance, pour y intégrer la nouvelle donne apportée par la parole de guérison du Christ. On a l'impression que les autres sont totalement passifs et qu'ils subissent leur vie, lui seul a pu transformer son regard en discernant les signes de la Vie qui s'est approchée et a pu alors revenir sur ses pas pour nommer dans l'Action de grâce Celui qui est Source de toute vie et de toute guérison. A son image, nous pouvons aussi dans nos relectures de vie, non seulement nous arrêter aux chemins de mort que nous avons pris, mais surtout discerner tous ces moments où la Vie s'approche de nous pour nous donner Sa bénédiction et sa guérison.
Ainsi pouvons-nous choisir la vie et répondre à l'appel ou au projet de Dieu pour chacun de nous, non pas en obéissant à des lois extérieures abstraites, non pas en entrant dans un cadre de vie rigide et contraignant, encore moins en suivant des rails totalement tracés par avance pour nous, mais en laissant agir l'Esprit divin en nous, en le laissant nous unifier, nous pacifier, nous rassembler, nous restaurer, car nous savons que nous ne pouvons nous construire qu'en lien avec cette Parole d'amour, de grâce, de pardon, de guérison. Et alors nous découvrirons avec émerveillement que tout dans notre vie, dans notre histoire, dans notre passé, peut être le matériau transfiguré de notre construction spirituelle, tout même nos faiblesses, nos défaillances, nos échecs et les chemins mortifères que nous avons pris.
Comme le dit le philosophe Emmanuel Mounier : " Dieu est assez grand pour faire de nos erreurs mêmes une vocation. ", une vocation à choisir toujours à nouveau la vie.

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Ursula Rehsteiner
Musique
Ardina Nehring, violon