Écouter le culte :
Autour de Jésus, on prie. Partout on prie. On prie dans les synagogues. On prie dans les carrefours. Les juifs prient. Comme les païens au-delà du Jourdain.
Et même les soldats romains à Césarée de Philippe, dans leur temple, ils priaient leurs dieux ; ils priaient l’empereur.
Cette abondance de prières aurait dû réjouir Jésus. Au fond, c’est une bonne chose que les gens prient, non ?
Mais il y a prière et prière, semble dire Jésus. Et certaines pratiques l’agacent. Et même le fâchent.
A ses disciples, Jésus parle de la prière et il n’y va pas par quatre chemins !
« Ne rétrécissez pas la prière … ! » semble dire Jésus.
Comme ceux qui prient pour soigner leur image, pour entretenir leur réputation. Ils ont besoin de reconnaissance, alors prient debout dans les synagogues, dans les carrefours.
« Ceux-là ont déjà reçu leur récompense ! » dit Jésus. Ils sont déjà exaucés puisqu’autour d’eux on les estime, on les admire pour leur piété, leur religiosité.
« Ne rétrécissez pas la prière … ! » semble dire Jésus.
Comme ceux qui, pour être sûrs d’être exaucés, ressassent sans fin les mêmes mots. De vrais moulins à prière ! A force, ils parlent tout seul. Leur prière n’est que soliloque et monologue.
Aujourd’hui, on ne prie plus dans les carrefours et on prie de moins en moins dans les églises. En termes de statistiques, les sociologues disent que la prière résiste et qu’elle résiste plutôt bien. Mais il y a prière et prière, comme dirait Jésus ! Et je crains que la prière chrétienne ne soit grippée, en sursis.
Aujourd’hui, quand on prie, on ne sait plus très bien à qui on s’adresse. Et parfois on prie parce que « on ne sait jamais » ! Ou encore parce qu’il n’y a plus que ça à faire.
La prière chrétienne a mauvaise réputation et cela ne date pas d’aujourd’hui. La prière chrétienne est lestée de bien des soupçons.
Prier…? Mais, vous n’y pensez pas ! C’est une démission ! Une manière de déserter le monde, ou de se donner bonne conscience. La prière…? Cette superstition ! Cet archaïsme ! Ce manque de maturité ! Cette niaiserie improductive, stérile ! Non merci, très peu pour moi !
A force d’être répétés, ces soupçons, tels des virus, ont fini par nous contaminer de l’intérieur. Prier ne va plus de soi, même pour les croyants que nous sommes. Perplexe, on se demande : « Est-ce la prière que Jésus attendait des siens ? Est-ce la prière que Jésus attend de nous aujourd’hui ? N’est-ce pas plutôt des gestes ? Des actes concrets ? Vêtir celui qui est nu. Nourrir celui qui a faim. Visiter le malade et le prisonnier. Recueillir l’étranger. »
Alors, quand il arrive que l’on prie encore…on prie sur la réserve. A la « retirette ». Presque en cachette. Et puis, avec le temps, on se relâche. On prie un peu moins. On prie un peu mou. La prière ne devient même plus qu’une option à la carte. La prière à bien plaire. Et l’on finit par abdiquer.
Je connais cette lente désaffection de la prière. Souvent, elle me guette. Elle n’est jamais très loin. Mais je m’interroge : jusqu’à quand va-t-on se satisfaire de n’être que des intermittents de la prière ? Jusqu’à quand va-t-on laisser la prière se déliter parmi nous ? Jusqu’à quand va-t-on déserter la prière, alors que dans la nuit même où Jésus fut livré, il exhortait ses disciples par ces mots : « Veillez et priez ».
Si la prière est en péril - comme je le crois et j’aimerais me tromper - c’est qu’on l’a rétrécie. Et d’un bon bout ! De la prière, on en a fait une p’tite prière ! Et c’est bien connu, « une p’tite prière, M’sieur le pasteur, cela ne peut pas faire de mal ! » Voilà la prière humiliée. Car la prière est bien plus que ce que nous en avons fait !
La grandeur de la prière n’est pas une affaire de rhétorique, ni de mots, mais de relation. La prière, c’est ce face à face intime dont parle Jésus à ses disciples: « Adresse ta prière à ton Père qui est là, dans le secret ». Oui, prier, c’est se rendre disponible à Dieu. Prier, c’est entrer en dialogue avec Dieu. C’est vrai ma foi que dit comme ça, la prière ça a de l’allure, non ? C’est beau !
Mais franchement, entre nous, comment dialoguer avec un Dieu qui garde le silence ?
Le drame de notre monde, c’est qu’il n’y a que l’immédiateté qui compte pour lui. Si je n’entends pas la voix de Dieu ici et maintenant, sur le champ, c’est qu’il n’a rien à me dire, ou qu’il m’oublie.
Je n’ai jamais entendu la voix de Dieu, et pourtant j’ai la ferme conviction que Dieu n’est pas muet. J’ai la ferme conviction qu’un jour, Dieu a pris la parole, qu’il est entré en dialogue avec les hommes et ce monde.
Souvenez-vous, il a entendu le cri de son peuple esclave en Egypte. Souvenez-vous, il a suscité des prophètes à la parole forte.
Et je crois que Jésus-Christ a été son dernier mot. « Jésus-Christ ? Mais … c’est mon dernier mot » dit Dieu ! Mon dernier mot pour l’homme. Mon dernier mot pour le monde. En lui, tout est dit ! Tout est dit pour hier, pour aujourd’hui et pour demain.
La prière prend sa source dans cette Bonne Nouvelle : en Jésus-Christ, Dieu a une Parole pour nous. Une Parole pour toi. Une Parole pour moi. Une Parole pour le monde. C’est pour cela que la prière chrétienne commence par ouvrir le Livre. Et, là à l’écoute du texte, dans la force de l’Esprit, il arrive que l’Ecriture devienne Parole pour moi.
Une Parole personnelle qui me rejoint dans ma vie.
Une Parole pour temps calme.
Une Parole pour tempête.
Une Parole qui soudain fait sens pour moi.
Une Parole qui me nourrit.
Une Parole qui m’apaise ou me dérange.
Une Parole qui m’éclaire ou parfois me confond.
Une Parole qui me redresse et qui me libère.
Une Parole qui m’appelle !
Et lorsque l’écriture devient Parole pour moi, alors nous pouvons entrer dans ce dialogue avec Dieu et désiré par Lui.
Lorsqu’en ouvrant le Livre, je lis que Dieu a tant aimé le monde, alors je peux moi aussi aimer ce monde. Je peux prier pour lui.
Lorsqu’en ouvrant le Livre, je lis que Dieu m’exhorte à la paix, je peux prier pour la paix ; la paix dans la monde et la paix en moi.
Lorsqu’en ouvrant le Livre, je lis que Dieu est plus grand que mon cœur qui parfois me condamne, je peux me présenter devant lui tel que je suis, avec mes bassesses, mes abîmes et mes chutes, et je peux lui demander avec humilité de me relever, de me redresser. Lorsqu’en ouvrant le Livre, je lis que Dieu a appelé des pêcheurs Galiléens à le suivre, je me sens appelé.
Oui, la prière peut infuser tout ma vie, ma manière d’être au monde. Oui, la prière peut être l’humus, le creuset dans lequel se fondent mes choix de vie, mes gestes, mes actes.
Il n’y a pas d’action chrétienne sans prière.
Alors oui, ne rétrécissons pas la prière, car par elle, nous donnons la parole à Dieu dans nos vies !
Alors oui, ne rétrécissons pas la prière, car par elle, nous donnons la parole à Dieu dans notre monde qui en a tant besoin.
Amen.